Nous roulons l’un derrière l’autre et en arrivant à la hauteur du bloc, Mathieu trouve une place de stationnement à quelques mètres de l’entrée principale. J’entre au garage et je gare la voiture.
Il y a deux hommes qui s’embrassent près de la porte qui mène à l’ascenseur. Ils cessent leur pourléchage en me voyant. C’est le concierge, un homme marié qui pue la cigarette comme d’autres empeste le bonheur. Il est accompagné d’un type d’une vingtaine d’années tout au plus. Je le vois remonter sa braguette et je souris à l’idée d’avoir dérangé ce vieux pervers que je croyais mort depuis quinze ans. Je ne les regarde pas sans doute par respect. Le fait de l’ignorer pourrait peut-être le rassurer.
Je m’en fous.
J’entre dans le hall menant à l’ascenseur et j’appuie sur le bouton Rez-de-chaussée. Les portes s’ouvrent rapidement et je m’engouffre dans l’ascenseur en fermant les yeux. J’entends les panneaux glisser et l’air moite se refermer sur moi. Le ventilateur de plafond a des ratées. Le néon est recouvert d’une épaisse couche de poussière grasse. Je déteste cet habitacle et tout ce qui y gravite. J’en ai mal au cœur.
La lente ascension démarre avec une secousse puis je sens la cabine monter. Il n’y a qu’un étage et je m’impatiente déjà. Tout s’arrête avec vacarme. Le ventilateur s’arrête. Les portes s’ouvrent. Je vois la silhouette de Mathieu qui regarde autour, cherchant je ne sais quoi. Je lui ouvre la porte et nous revenons vers l’ascenseur dont les portes sont toujours ouvertes.
— Cet édifice pue le moisi, me dit-il. Vous devriez faire inspecter les lieux par des spécialistes. C’est un nid à maladies ici.
— Prend une grande respiration, ça va peut-être te guérir, on ne sait pas.
J’entends un « très drôle, le twit » pas très convaincant. L’ascension reprend de plus belle. Arrivé à l’étage, il n’attend pas que les portes soient complètement ouvertes et se précipite dans le corridor.
— En sortant, je descendrai par les marches. On se croirait dans un film d’horreur dans cet ascenseur. Ce n’est pas croyable tout ce que tu endures, Normand.
Je hausse les épaules. Je sors la clé et l’insère dans la serrure. J’entrouvre, m’attendant au pire, mais le silence de mon petit 4 et demi ressemble bien à celui de la veille, ou plutôt à celui du petit matin.
Nous entrons enfin et je lui fais signe de me suivre à la chambre. La porte est fermée. Toujours pas de bruit.
S’y trouve-t-elle encore? Je n’ai même pas imaginé qu’elle puisse avoir disparu après notre étrange copulation. Après tout, c’est fort possible. En m’implantant ses rejetons, et en me disant son truc d’univers, elle avait peut-être en effet créé ce lien invisible entre les êtres qui les unifie, malgré la distance, quel que soit cet univers d’où elle vient.
Mathieu semble impatient d’ouvrir la porte. Je lui fais signe que non. De reculer un peu. Je pose ma main sur la poignée. J’ouvre la porte. Il n’y a personne. Les draps froissés me rappellent le reste de nuit pour le moins torride et la matinée agitée.
Lui ai-je fait peur ou a-t-elle réalisé son erreur en s’acoquinant avec un terrien soûlon? À moins que ces petits copains ne soient venus la quérir en la grondant et l’envoyer en Sibérie interstellaire pour purger sa peine.
— Et bien, il semble que ta nouvelle conquête ne t’a même pas donné la chance de tomber en amour avec elle. Elle a plié bagage à ce que je vois.
Les yeux de Mathieu balaient la chambre et il n’y trouve pas la moindre trace des vêtements que je lui ai décrits un peu plus tôt. Il ouvre la garde-robe et siffle en voyant mon désordre. L’odeur de vieilles godasses défraîchies a de quoi déplaire à ce fin gourmet qui peut affirmer sans rire que le fumet d’un Oka bien vieilli et à la température de la pièce est ce qui se fait de mieux comme parfum pour ses papilles gustatives. Mais, ce que mes pieds transpirent n’inspirerait pas le plus talentueux de fromagers. On ne pourrait même pas m’employer dans une usine de peur que je ne gâte le produit.
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Ma femme en bleu [version originale]
Science FictionÉmergeant lentement d'une bonne cuite, Normand Poitras se réveille auprès de celle qu'il appellera Céleste, une femme à la peau bleue, au sang froid et aux yeux baignant dans une gélatine visqueuse. Comme il tente de l'inviter gentiment à quitter le...