Encore une fois, c’est Mathieu qui me tire de ce que je crois être une descente aux enfers, voire une mort certaine.
Le chemin lumineux sur lequel je me sens entraîné me guide doucement, mais sûrement vers la fin, vers le dénouement de cette longue, trop longue épreuve. Je la perçois comme une séquence de douleurs mêlée d’une joie inexplicable.
Tout ce qui m’a été révélé est à la fois potentiellement réalisable. J’y crois.
Que l’on m’impose une conception du monde, je peux l’accepter, mais qu’on me force à concevoir des enfants au prix de ma vie, je regrette, je ne peux l’accepter.
Ma vie, je le sais, est éphémère. Elle est un grain de sable si fin dans cette immense plage qui s’étend à l’infini. Si tous les humains ne réalisaient que cela sans le contexte de la place, ils auraient d’excellentes raisons d’en finir, de mettre fin à leur jour. Pourquoi en effet se complaire à n’être qu’une infinie poussière?
Et pourtant, je suis désormais convaincu que la moindre parcelle de l’univers, qu’il soit le mien ou celui d’un dieu caché derrière son rideau de mysticisme, cette moindre parcelle a son rôle à jouer.
Je me rappelle ce film qui passe et repasse à chaque Noël, avec James Stewart, dans lequel il joue le rôle d’un homme désespéré, George Bailey, qui veut mettre fin à ses jours, croyant vraiment que tous ses malheurs viennent de lui et qu’il ne vaut rien. Au moment de se jeter dans les eaux glacées, il entend des cris de détresse. Il y a, au beau milieu de la rivière un homme qui demande de l’aide. Sans hésiter, il oublie son projet, l’espace d’un instant et saute à l’eau pour le sauver. L’homme lui en est reconnaissant et l’autre raconte son histoire avec beaucoup de désespoir. Le rescapé lui demande ce qu’aurait le monde sans sa présence sur terre. Bailey lui répond que ça n’aurait rien changé. Et débute ce qui est le cœur de cette histoire : ce que le monde aurait été sans lui et on reste surprit de l’impact que l’on a sur le monde, si minime soit-il.
C’est la voix, non pas celle de l’ange de George Bailey, de Mathieu, qui me réveille, qui me tire de la facilité vers laquelle je me suis laissé tenter de flotter. Je vois d’abord son ombre au-dessus de moi. Je le sens soulever mes paupières, prendre mon pouls, retirer l’aiguille, s’affairer tout autour de moi.
Il dépose une serviette mouillée sur mon front. Il me rassure. Je suis éveillé, mais je ne réagis pas. Je suis engourdi et encore sur ce nuage de béatitude qui m’a laissé des traces d’éternité au fond de moi. Puis, peu à peu, les douleurs me rejoignent. Je perçois du mouvement au bas de mon ventre. Ça gigote, ça rue dans les brancards, ça se défend. Je me remets à transpirer et cette fois la douleur m’assaille sans m’épargner. Je crie.
— Calme-toi. Respire. Le produit semble faire effet. L’intensité des battements de cœur ralentit. Nous allons faire une échographie. J’ai arrêté le traitement. Tu t’en allais. C’est une chance que je suis passé vérifier le dosage. J’aurais dû te mettre un capteur à toi aussi. J’ai été bête. Mon amitié pour toi et ma peur ne m’ont pas bien guidé. Excuse-moi.
Je n’ai que faire de ses excuses. Il a fait son travail de son mieux en considérant les circonstances. Un autre aurait peut-être encore plus paniqué.
Il apporte l’équipement près de moi et bientôt j’ai le petit revolver sur le ventre qui se déplace lentement. L’image est encore floue, mais on distingue clairement que les êtres sont de mieux en mieux formés.
Je vois les bras, les jambes, la ligne de la colonne vertébrale. Au-dessus de cette ligne, une protubérance ovale sur laquelle deux points noirs et une tache floue m’apparaissent comme la tête. Je les vois gigoter.
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Ma femme en bleu [version originale]
Science FictionÉmergeant lentement d'une bonne cuite, Normand Poitras se réveille auprès de celle qu'il appellera Céleste, une femme à la peau bleue, au sang froid et aux yeux baignant dans une gélatine visqueuse. Comme il tente de l'inviter gentiment à quitter le...