Dilemne pour un futur incertain

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J’ai envie de vomir. L’odeur du beurre d’arachides ressemble à celle d’un cadavre de chat écrasé sur le bord d’une autoroute en pleine canicule. Je voudrais trouver le courage de retirer sa main de là, mais je ne peux qu’émettre un grognement sourd. Ça bouge en effet. Je me sens comme si je dois aller m’asseoir sur la lunette et me vider de toute la bile supplémentaire qui s’est accumulée dans mon estomac.

— Je peux? demande Mathieu qui vient de se placer sur ma droite.

— Pourquoi pas, lancé-je, découragé. Pourquoi ne pas aller acheter des cigares en chocolat et célébrer la future naissance des envahisseurs, hein? Ça va te faire une belle jambe Mathieu, quand on télédiffusera ta biographie sur le canal D en te décrivant comme celui qui aura mis au monde les nouveau-nés Darth Vader et compagnie. »

— N’exagère donc pas tant, Norm. Tu trouves que Céleste ressemble à Alien? Elle te semble menaçante avec ses beaux grands yeux mouillés? Ça ne se compare pas avec Audrée, ça, mon vieux. Un nouveau jour va se lever et tout ce que tu trouves à dire c’est qu’on va se retrouver avec une armée de mutants prêts à détruire la planète, notre planète où vivent à la fois Britney Spears, les lecteurs MP3, l’Internet, le macaroni Kraft? Tu veux rire de nous? Je trouve que c’est pour moi l’opportunité idéale pour créer des liens, s’ouvrir sur le monde. S’accoupler avec un être venu d’une autre planète, c’est digne de mention, d’honneurs, de fierté.

— Je te préférais mourant du cancer, Mathieu. Je peux changer ton personnage dans ma démence? J’irais à tes funérailles, je pleurerais, je boirais ma peine et je ne dessaoulerais plus, voilà ce quoi j’aspire.

Céleste retire sa main, inquiète de ce commentaire dont j’ignore si elle en a pleinement apprécié le contenu.

Je profite de son détachement pour poursuivre sur ma lancée, croyant fermement qu’elle ne comprendra plus un seul mot que je m’apprête à dire :

— Tu crois vraiment, Céleste, que je désire ces univers, ces enfants que tu m’as implantés, que tu m’as forcé de porter, qui ne sont ni tout à fait humain ni tout à fait de ta race? Tu crois vraiment que nous sommes unis pour l’éternité parce que tu as mis ta langue ou je ne sais pas trop quoi dans ce que j’ai de plus intime et que je vais me laisser manipuler comme ça pendant quoi, 9 mois? 6 mois? Ça fait un peu plus de 24 heures et ça grouille, ça bouge, ça gigote et je suis un père porteur involontaire que tu as épousé pour je sais quelle sorte de dessein. Ne m’as-tu jamais demandé mon opinion? Et si… et si je désirais me faire avorter, hein? Qu’est-ce que tu dirais, Céleste chérie?

Je vois rouge, bleu, jaune. Je faiblis à chaque mot. Les petits êtres tentent de se débattre, de ne pas entendre mes mots. Je m’en fous. Je n’ai pas de temps à perdre.

Chaque seconde qui s’écoule, m’écroule, me tue, m’exaspère. Je suis au cœur de l’opposé de l’abandon. On me possède, on me manipule. Je commence même à douter de ma schizophrénie. Ce devrait être la mienne et c’est désormais la sienne.

Céleste pâlit, ce qui ne lui donne pas un beau teint, j’avoue. Elle se raidit et réalise que ses mœurs ne correspondent pas nécessairement aux miennes, qu’elle s’est engagée sur un terrain glissant.

Mathieu nous regarde tous les deux, hésitant vraisemblablement à prendre parti.

Tout à coup, Céleste lâche un souffle strident. Ses bras se placent droits devant elle et elle se met à léviter s’arrêtant à moins d’une trentaine de centimètres du plafond.

Je la vois regarder Mathieu avec un air que ne m’enchante guère. Mon meilleur ami ravale sa salive et m’implore du regard de retirer mes paroles, craignant le pire.

Ma femme en bleu [version originale]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant