Chapitre 5 « Le corso fleuri »

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Après le déjeuner officiel dans la grande salle du banquet, Candice n'avait eu qu'une demi-heure pour se reposer avant de se préparer pour aller à la Chancellerie avec le roi.

Elle s'était donc rendue avec le roi, sa mère et un grand nombre de fonctionnaires à la Chancellerie pour assister au corso fleuri.

Candice était en train de penser que le roi était peut être mécontent d'avoir repoussé l'invitation de la comtesse, alors elle faisait de son mieux pour se montrer charmante et spirituelle.

Elle espérait que Terrence ignorait les soupçons qu'elle avait conçus sur ses relations avec l'ambassadrice de France, et qu'il ne supposait pas qu'elle cachait d'autres raisons que celles qu'elle avait invoquées pour rester en territoire maxençois lors du défilé. Elle avait appris par la suite que le capitaine Salazar était ravi de sa réaction. Elle aurait cependant voulu lui demander de ne pas en parler, mais elle n'avait pas trouvé l'occasion d'avoir une conversation privée avec lui.

Sa mère avait pensé que les maxençois apprécieraient que Candice porte une robe à fond blanc pour faire son apparition au balcon.

- Il faut que vous ayez l'air d'une future mariée!

La robe qu'elle avait choisie était très élégante. Elle était blanche avec une jupe légèrement froncée. Chaque fronce était retenue par un ruban du même bleu pâle qui ornait son petit chapeau.

Elle était ravissante et paraissait très jeune lorsqu'elle descendit les marches du palais vers le roi qui l'attendait, entouré de ses courtisans. Il lui baisa la main et elle ne sut définir l'expression qu'elle lut dans ses yeux. Elle espéra que c'était de l'admiration, mais elle n'en était pas sûre, car elle avait aperçu une moue ironique sur son visage.

- Êtes-vous toujours aussi ponctuelle? lui demanda-t-il tout en se dirigeant vers leur voiture. J'avais pensé que j'aurais toujours à attendre ma fiancée et certainement aussi mon épouse!

- Sans doute en vous impatientant! dit Candice en riant. Je serai très attentive à ce que Votre Majesté n'ait pas à supporter ce genre de désagrément; j'en connais les dangers!

- Vous parlez comme si vous aviez l'expérience des hommes impatients, dit le roi.

- Maman m'a expliqué que mon père se mettait très en colère lorsque quelqu'un le faisait attendre, répondit Candice. C'est pourquoi j'ai également peur d'être trop ponctuelle et de ne trouver personne pour m'accueillir.

Ils arrivèrent à la voiture et à partir de ce moment-là, les acclamations de la foule couvrirent leurs paroles. La distance séparant la Chancellerie du palais n'était pas très longue mais Candice eut le temps d'être enivrée par les vivats et par les fleurs lancées dans la voiture comme lors de son arrivée. Il y avait aussi une profusion de drapeaux anglais qui se mêlaient aux drapeaux maxençois.

- Êtes-vous toujours aussi chaleureusement acclamé dans votre capitale? Demanda Candice au roi.

- Très rarement, répondit-il avec franchise, c'est vous qu'ils applaudissent.

- Pas moi seule, répondit Candice, mais nous deux puisque nous sommes ensemble.

Elle redoutait son ironie mais il commença par sourire avant de constater d'un ton moqueur;

- Vous dites toujours ce qu'il faut dire. Je ne peux m'empêcher de penser que vous avez été bien entraînée!

- Ce n'est pas très flatteur, dit Candice d'un ton sérieux, autant dire que je suis un chien savant.

Terrence se mit à rire et elle vit qu'il était surpris par son sens de la repartie. Ils furent reçus avec solennité à la porte de la Chancellerie, un ancien bâtiment sombre et austère. On les escorta jusqu'à la salle du Conseil qui se trouvait à l'étage. C'était du balcon de cette pièce qu'ils devaient suivre le défilé. A leur arrivée, une enfant – probablement la fille d'un des fonctionnaires présents– était venue offrir un bouquet de fleurs à Candice. Elle l'avait pris, après avoir remercié de quelques mots l'enfant, et elle avait monté l'escalier en le tenant à la main. Il y eut des nouvelles présentations dans la salle du Conseil, en particulier avec des femmes de fonctionnaires.

Au moment où les laquais ouvraient les grandes fenêtres qui donnaient sur le balcon, Candice perçut la voix du capitaine Salazar à côté d'elle.

- Ce sont les Français de Maxence, dit-il à voix basse, qui portent des œillets blancs. Pour les Espagnols, ce sont des rouges!

Candice regarda alors attentivement son bouquet. Lorsque l'enfant le lui avait remis, elle avait remarqué qu'il était à dominance blanche. Mais maintenant seulement elle se rendait compte qu'il était composé uniquement d'œillets blancs. Elle pensa « l'oublier » sur la table de la salle du Conseil, mais craignit qu'un courtisan scrupuleux le lui remette entre les mains. Elle regarda autour d'elle et aperçut que d'autres femmes tenaient aussi des bouquets. Puis elle remarqua qu'une multitude de fleurs avaient été disposées sur toutes les tables de la pièce.

- Que vos fleurs sont belles! dit-elle en s'adressant à tous ceux qui l'entouraient. Je ne saurais dire quel réconfort elles apportent à quelqu'un qui a quitté le froid et la grisaille d'Angleterre.

Lorsqu'elle fut près de la table, elle se tourna pour sourire à la femme qui était à ses côtés et dit :

- Je me réjouis tant à l'idée de visiter vos distilleries. On m'a parlé des senteurs délicieuses des parfums fabriqués à Greum.

- Nous espérons vivement que vous apprécierez, madame, répondit la femme.

Candice observa encore cette profusion de fleurs et remarqua que les bouquets étaient presque entièrement d'œillets rouges.

- Je me demande, dit-elle sur un ton presque confidentiel à sa voisine si je ne pourrais pas prendre aussi quelques-unes de ces magnifiques œillets rouges? Ils dégagent un tel parfum!

Sans attendre la réponse, elle prit une pleine poignée et les disposa harmonieusement dans son bouquet.

- N'est-ce pas charmant, madame? fit remarquer une autre femme qui se tenait près d'elle. Nous sommes tellement ravis que vous aimiez nos fleurs.

- Elles sont aussi belles que votre pays, dit Candice et votre pays est merveilleux!

Les fenêtres du balcon étaient maintenant grandes ouvertes. Candice se retourna pour rejoindre le roi qui ne l'avait pas suivie lorsqu'elle s'était avancée pour contempler les fleurs.

Il jeta un coup d'œil au bouquet, blanc et rouge, qu'elle tenait et, s'il en comprit la signification, il n'en laissa rien paraître. Dehors, la foule, elle, apprécia son geste à sa juste valeur. Lorsque Candice monta sur la petite estrade qu'on avait placée sur le balcon et sur laquelle se trouvaient deux chaises, une rumeur de liesse s'éleva. Ce furent tout d'abord les mêmes acclamations que celles qu'elle avait entendues sur le chemin du palais à la Chancellerie. Puis, comme par magie, du rouge apparut de toutes parts, des drapeaux, des mouchoirs, des cravates et des foulards rouges furent agités et ceux qui les agitaient semblaient crier plus fort que les autres.

Candice répondait aux acclamations par des signes de la main. Dès qu'ils furent installés au balcon, le cortège défila sous leurs yeux. Il y avait des chars et des voitures de toutes sortes, des charrettes tirées par des hommes qui avaient pris la place des habituels chevaux. De jolies filles vêtues de costumes traditionnels de Maxence, étaient assises sous des arches de coquillages géants, des étoiles et des cœurs faits de fleurs. Le cortège se terminait par des voitures remplies d'hommes et de femmes déguisés pour la bataille.

On lançait des fleurs de toutes parts et l'air était chargé de parfums. Tout se passait dans la gaieté. Lorsque Candice quitta la Chancellerie, elle fit à tous de chaleureux adieux.

- Je me suis plus amusée que je ne saurais l'exprimer.

- Cela vous a-t-il plu? demanda le roi lorsqu'ils eurent regagné leur voiture.

- Il est triste de penser qu'il faudra attendre encore un an avant de revoir pareil spectacle, dit-elle. Que vont faire ces gens ce soir?

- Ils vont danser, boire et organiser des feux d'artifices, répondit le roi.

Candice soupira.

- Quelle chance ils ont! J'aimerais tellement aller danser!

- J'ai bien peur que cela soit impossible, dit le roi.

- Et si nous nous déguisions? suggéra Candice.

- Je ne crois pas que votre mère approuverait cette initiative!

- Elle ne serait pas contre. Elle sait que je suis impulsive. Vous avez sûrement raison, elle n'approuverait pas ça d'une future reine, reconnut Candice à contrecœur. Pourquoi le peuple a-t-il plus d'occasions de s'amuser que nous?

- Vous croyez cela? demanda Terrence, en fait, ils travaillent dur presque toute l'année pour ces quelques heures de joie.

- Comme nous, si nous voulons remplir correctement notre rôle de gouvernants.

- Et quelle sera votre tâche, demanda-t-il, en dehors de l'obligation d'assister aux cérémonies officielles comme l'inauguration d'un hôtel de ville ou la visite d'un hôpital?

Elle avait le sentiment qu'il parlait délibérément sur un ton ironique et elle répondit :

- Je ne peux pas croire que ce soient vos seules activités! Mais tout d'abord, je dois apprendre à connaître la population et à la comprendre.

- Pensez-vous que ce sera facile? demanda le roi.

- Pourquoi pas? répondit Candice enthousiaste. J'ai la conviction que tous les êtres humains, quelle que soit la classe à laquelle ils appartiennent, ont quelque chose en commun! Même s'ils ont des soucis et des problèmes différents, ils recherchent tous le bonheur.

Alors qu'ils approchaient du palais, le souverain se pencha vers elle pour murmurer :

- Vous êtes très différente de ce que j'imaginais.

- Vous vous attendiez à voir quelqu'un de hautain et d'autoritaire, dénué d'intelligence?

Les propos du Premier ministre lui revinrent à l'esprit et elle ajouta :

- Eh bien sûr, avec des dents saillantes!

Le roi se mit à rire.

- Vous ai-je dit que vos dents ressemblaient à des perles?

- Ce compliment semble sortir d'un roman que maman ne m'autoriserait pas à lire, dit-elle, mais je suis ravie de l'accepter.

- On a déjà dû vous faire tant de compliments en Angleterre! dit le roi.

- Assez peu en vérité, répondit Candice, c'est pourquoi j'en suis avide.

Le roi rit doucement. Comme elle était rafraîchissante avec son honnêteté. Comme ils arrivèrent au palais, ils n'eurent pas le loisir de continuer cette conversation. Le mariage devait avoir lieu le lendemain, Candice ne fut pas autorisée à dîner avec son futur époux. Elle se retrouva donc seule avec sa mère.

- Comment allez-vous ma chérie?

- Je vais bien maman...

- Pas trop nerveuse?

- Un peu... je vais devenir reine demain, maman.

- J'ai vu ce que vous avez fait à la chancellerie avec les fleurs, tout le monde en parle. Le peuple vous adore déjà! Vous avez vu l'acclamation?

- Le roi semble penser que c'est uniquement pour moi...

- Eh bien avoir une maîtresse française ne l'a pas rendu populaire auprès de la population espagnole...

- Ils n'auraient tout de même pas voulu qu'il ait une maîtresse espagnole aussi?

- Eh bien pourquoi pas? dit sa mère, il veut imiter les souverains français qui avaient plusieurs maîtresses, non? Et les reines avaient des amants...

- Maman, arrêtez, je vous en prie, je suis déjà malade de le savoir avec l'ambassadrice de France...

- Oh Candy. Il va falloir que vous supportiez. Dites-vous que vous serez sa femme et la seule reine... J'ai vu comment vous avez poliment refusé l'invitation d'aller regarder le défiler à leur ambassade...

- Je n'avais vraiment aucune envie que ma première sortie officielle avec le roi se passe chez sa maîtresse!

- Vous êtes un bon diplomate. Vous vous êtes servi des détails diplomatiques pour refuser d'aller chez la maîtresse du roi...

- Ce qui me révolte c'est de voir tout le monde accepter cette situation...

- Vous aimez le roi, n'est-ce pas ma chérie? dit sa mère doucement.

- Oh maman, depuis l'instant où j'ai posé les yeux sur lui...

- C'est une bonne base pour vous, l'amour...

- Être reine n'est pas important pour moi, je voudrais qu'il m'aime comme il aime l'ambassadrice de France...

- Ma chérie, vous ne savez pas s'il aime l'ambassadrice de France, vous savez que c'est sa maîtresse, c'est tout...

Candy pensa à la façon dont ils s'étaient regardés...

- Je vais devoir lui demander alors.

- Candy...

- Maman, c'est ma vie... Je remplis mon devoir, j'obéis mais je vais gérer mon mariage comme je l'entends...

- Vous n'allez pas prendre un amant si vous êtes désespérée?

- Vous aviez un amant, vous?

- Non, j'aimais votre père...

Georgie regarda sa fille et elle se revit à son âge. Elle s'approcha et la serra dans ses bras pour la rassurer.

- Je suis sûre que vous vous en sortirez à merveille...

Elles terminèrent de manger et Candy se retira, car demain, c'était le grand jour. Candy pensa à l'ambassadrice de France et elle se demanda si le roi allait la voir ce soir... et elle eut un pincement au cœur en y pensant. Elle ne pouvait s'empêcher d'être triste car elle avait trouvé sa rivale à la fois séduisante et bien différente d'elle. Elle comprenait qu'un homme puisse trouver du charme à ses prunelles sombres et à ses lèvres sensuelles. Elle imagina Terrence se penchant pour les embrasser et elle fut effleurée par l'idée que son mariage était peut-être déjà un échec. Qu'avait-elle en comparaison de l'ambassadrice à offrir à un homme? Le roi et l'ambassadrice allaient bien ensemble. Ils avaient tous les deux l'expérience du monde, alors qu'elle n'était qu'une petite fille ignorante qui connaissait peu de choses en dehors de Hampton Court Palace. Elle ne pouvait s'empêcher de se rappeler la façon dont l'ambassadrice avait regardé Terrence et la voix caressante avec laquelle elle lui avait parlé.

« Elle l'aime et il l'aime. »

Candice en était convaincue. Cette idée la désolait...




CANDICE ET LE ROIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant