Chapitre 12 « Perspectives d'avenir... »

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« Je suis là depuis cinq jours » pensait Candice en regardant la vallée.

Elle espérait voir le roi et ses soldats arriver par la route étroite et poussiéreuse qui menait au palais. Elle commençait à perdre patience.

« S'il n'envoie personne me chercher demain, je partirai le rejoindre quoi qu'il puisse en penser » décida-t-elle.

Un officier lui apportait tous les soirs un message en provenance de Greum mais ce n'étaient que de brefs rapports militaires. Comme Candice l'avait craint, les insurgés s'étaient réorganisés et de sérieux affrontements avaient eu lieu dans certains quartiers de la ville et aux alentours du palais.

Elle était à Huesca depuis trois jours lorsque Dorothea était arrivée, escortée de soldats, dans une voiture de l'armée, apportant avec elle des malles pleines de vêtements.

Le capitaine Salazar l'avait immédiatement introduite dans la pièce ou se trouvait Candice.

- Voici de la visite, madame, annonça-t-il avec le sourire. Quelqu'un que vous attendiez depuis longtemps.

Candy pensa un instant que c'était le roi. Elle se retourna et se leva d'un bond.

- Dorothea! s'écria-t-elle. Je me languissais de vous!

- C'est Sa Majesté qui a organisé mon départ, répondit Dorothea. J'ai avec moi la plupart des robes de Votre Majesté.

- Je vous remercie car elles me manquaient, dit Candice.

Puis elle demanda d'un ton plus sérieux :

- Que se passe-t-il à Greum?

Dorothea lui donna les détails qu'elle n'avait pu avoir par le messager du roi. Elle raconta que la révolution avait commencé par des coups de feu et des rassemblements des gens qui criaient dans les rues et incendiaient des maisons dans les quartiers pauvres de la ville. C'étaient ces flammes que Candice avait vues avec le roi lorsqu'ils fuyaient dans la montagne.

- Une grande confusion a tout d'abord régné dans le palais, expliqua Dorothea, car personne ne comprenait ce qui arrivait. Puis le premier ministre et d'autres membres du gouvernement sont venus chercher Sa Majesté. Je leur ai alors expliqué que vous étiez partis tous les deux pour Lézignan.

- Quelle a été leur réaction? Demanda Candice.

- Ils ont tout d'abord paru surpris. Votre Majesté, puis devant l'ampleur des manifestations, ils ont affirmé que c'était le mieux que vous ayez pu faire.

- Et après? Demanda Candice avec empressement.

- La foule rassemblée devant les portes du palais criait : « A bas la monarchie! » et lançait des injures à l'adresse du roi.

N'ayant aucune envie d'en connaitre les termes exacts, Candice laissa continuer Dorothea :

- Des coups de feu furent tirés en direction du palais et personne ne se sentait plus en sécurité. Plus tard dans la journée, on apprit que l'armée arrivait par la route de la côte, tout alors a changé!

- Dans quel sens?

- En fait, Votre Majesté, beaucoup de gens ne m'avaient pas crue lorsque j'avais dit que le roi était parti à Lézignan. Ils restaient persuadés que vous vous étiez réfugiés tous les deux en France.

- Comment ont-ils pu imaginer que Sa Majesté puisse se conduire de façon si déloyale? demanda Candice révoltée.

Puis elle se dit qu'on pouvait comprendre leur réaction si l'on pensait à l'amitié qui semblait unir le roi et l'empereur et à la prédominance de l'influence française dans la capitale, sans parler de la comtesse Legrand, l'ambassadrice de France et la maîtresse du roi!

- Je suis montée avec Tomàs et Alistair sur le toit du palais et nous avons pu voir l'affrontement entre les troupes et les révolutionnaires qui ont finalement dû se replier, continua Dorothea.

- Avaient-ils des armes? demanda Candice.

- Oui et toutes d'origine française, répondit Dorothea. C'étaient des modèles très récents d'après les rumeurs qu'a entendues Tomas.

Candice poussa un soupir.

- Enfin, ils ont été vaincus?

- Oui, par Sa Majesté! s'exclama Dorothea. Lorsque le roi a fait défiler ses troupes dans le centre de la ville, tout le monde l'acclamait.

- N'était-ce pas dangereux? s'inquiéta Candice, il aurait pu être tué par un tireur embusqué sur le toit.

- Nous y avons tous pensé, Votre Majesté, nous sommes allés sur la place du marché ou le roi s'est adressé à la foule. Les gens étaient très fiers que leur souverain leur parle ainsi, puis nous nous sommes tous mis à pleurer en écoutant son discours tant il était émouvant!

- Qu'a dit Sa Majesté?

- Il a promis que les erreurs du passé ne se reproduiraient plus, répondit Dorothea et il a réclamé notre aide pour faire de Maxence un pays libre et prospère!

Il y avait des larmes dans les yeux de Dorothea comme si l'émotion que le roi avait suscitée était toujours présente en elle. Candice aurait voulu l'entendre aussi... Elle était sûre que Terrence avait été magnifique et que sa détermination, née au lendemain de la nuit dans la grotte, avait dû produire une forte impression sur la foule.

« C'était lui, avait-elle dit, ce que le peuple attendait depuis des années. » Il ne faisait pas de doute qu'il le suivrait.

Elle changea avec grand plaisir sa tenue de cavalière contre une des jolies robes à crinoline qu'elle avait achetées à Londres. Sa tenue fit l'admiration des paysannes lorsqu'elle alla parler comme les autres jours avec les gens qui se rassemblaient devant les grilles. De plus en plus de monde venaient la voir, même des petits villages des Pyrénées les plus reculés ; certains devaient partir avant le lever du soleil pour arriver au palais au moment où elle sortait. Elle ne savait plus que faire de toutes les fleurs qu'on lui donnait chaque après-midi. Mais elle ne pouvait supporter l'idée de le jeter.

Finalement elle se fit accompagner de deux jeunes filles du village qui étaient venues travailler au palais pour les recueillir et bientôt toute la demeure fut emplie de grandes vasques pleines de bouquets qui dégageaient un parfum de bonne odeur. Elle remarqua qu'on avait renforcé la garde aux portes du palais et en demanda la raison au capitaine Salazar.

- Le commandant des Dragons, madame, craint que vous preniez trop de risques.

- Comment peut-il penser que je suis en danger au milieu de ces paysans chaleureux?

- Un étranger peut toujours se glisser parmi eux, madame. On sait maintenant à Greum que vous êtes ici...

Le lendemain, il se produisit un incident qui aurait pu se transformer en drame sans la présence du capitaine Salazar. La foule rassemblée derrière les grilles semblait ce jour-là encore plus dense que d'habitude. Les femmes portaient toutes le costume traditionnel: jupe rouge, corsage blanc brodé et bustier noir. Les enfants avaient des rubans clairs dans les cheveux et la plupart tenaient un bouquet de fleurs à la main. On aurait dit une véritable fête. On pria Candice de bénir les enfants.

- Comment puis-je faire une telle chose? Avait-elle alors demandé au capitaine.

- Ces gens croient au droit divin du roi, madame, répondit le capitaine et Votre Majesté est si délicieusement belle, douce et gentille qu'ils vous considèrent déjà comme une sainte!

Candice le regarda avec surprise croyant qu'il plaisantait. Mais son regard était dénué d'ironie et elle comprit que c'était aussi le fond de sa pensée; plus d'une fois lorsqu'ils parlaient ensemble, elle avait pu voir l'adoration dans ses yeux. Candice s'approcha donc d'une femme qui avait cinq enfants dont quatre étaient en âge de marcher. Elle avait fait plusieurs kilomètres avec eux en portant le dernier qui n'avait que deux mois, dans ses bras pour qu'ils puissent voir la reine.

- Bénissez-les, Votre Majesté, bénissez-les! supplia-t-elle, pour qu'ils soient heureux toute leur vie!

- Je suis sûre qu'ils seront heureux d'avoir une mère qui les aime tant, répondit Candice.

Ensuite, comme elle savait que cela ferait plaisir à cette simple femme, elle posa sa main sur la tête de chacun des enfants, espérant que la petite prière qu'elle dirait ne paraîtrait pas blasphématoire. Quand elle se retourna pour parler à quelqu'un d'autre, elle vit un homme un peu à l'écart de la foule esquisser un mouvement rapide du bras. Elle n'eut pas le temps de prendre conscience du danger qu'elle était déjà plaquée au sol par le capitaine Salazar. Un coup de feu partit... De la foule s'éleva un cri puis une rumeur de colère et les soldats eurent juste le temps de rattraper l'homme avant qu'il ne soit lynché.

Le capitaine Salazar aida Candice à se relever doucement.

- Comment vous sentez-vous? demanda-t-il inquiet.

Elle sentit son inquiétude et plus encore... il avait beaucoup d'affection pour elle. Elle se sentit en sécurité dans ses bras. Il la protégerait avec sa vie...Elle venait d'en avoir la preuve.

- Tout va bien, répondit la jeune reine un peu tremblante.

Les paysannes s'approchèrent d'elle, s'agenouillant pour toucher le bas de sa robe, bouleversées qu'on ait voulu faire du mal à leur reine.

- Ce n'est rien, dit Candice, d'une voix assez forte pour couvrir le bruit de la foule.

- Il faut que vous rentriez au palais, madame, dit le capitaine.

- Mais je n'ai pas encore parlé à tout le monde! Et maintenant que le danger est écarté, demandez-leur de se calmer, je n'ai pas l'intention de les abandonner!

L'homme qui avait tiré sur elle avait été arrêté et elle apprit plus tard qu'il serait jugé à Greum.

- Il pourrait y avoir un autre attentat, madame, insista le capitaine très bas pour que la reine soit seule à l'entendre.

- Je ne crois pas, s'il y avait ici d'autres assassins en puissante, ils ont déjà dû s'enfuir!

En dépit des protestations du capitaine, elle resta encore une heure parmi la foule.

Ce n'est qu'après être rentrée au palais qu'elle prit conscience qu'elle aurait pu mourir.

« Qu'aurait pensé le roi s'il avait appris que j'étais morte? » se demanda-t-elle.

Aurait-il été touché comme elle le serait si c'était lui qui avait été tué? Ou se serait-il senti soulagé d'être débarrassé d'une femme qui lui avait été imposée par la reine Victoria?

Deux jours après son arrivée au palais, Candice avait vu entrer dans les jardins plusieurs voitures qu'elle n'attendait pas. C'étaient des maxençois appartenant à des grandes familles de la région. Ils désiraient simplement signer le livre des visiteurs officiels, comme il y en a dans tous les palais et continuer leur route.

À leur grande surprise, Candice les reçut en personne, et plus encore, les invita à prendre le thé avec elle. C'est une chose qui ne s'était jamais produite. Non seulement la nouvelle raine riait et parlait de façon très simple et naturelle, mais contrairement à ce que leur avaient rapporté les gens de Greum, elle paraissait très intéressée par cette partie du royaume ou ils vivaient. Les premiers visiteurs quittèrent le palais à la fois étonnés et séduits par Candice et sur leurs conseils, un grand nombre de leurs amis et voisins vinrent au palais.

- Je pense madame, dit le capitaine, qu'il serait judicieux que vous choisissiez quelques dames d'honneur parmi les familles noble qui viennent ici pour présenter leurs respects.

- Dois-je le faire maintenant?

- On vous jugera mal, madame, si vous n'avez pas de dames d'honneur.

- Ça m'est égal, ils peuvent dire ce qu'ils veulent, mais je n'ai pas l'intention de former une cour sans prendre l'avis de Sa Majesté et surtout avant qu'il ne m'ait rejointe.

Le capitaine n'insista pas, mais Candice savait qu'il avait raison. C'était la première fois qu'elle refusait sa proposition. Mais elle ne voulait absolument pas prendre d'initiatives qui risqueraient de la gêner lorsque le roi la rejoindrait. Elle désirait être seule avec lui et si cela était possible, passer une partie de leur lune de miel dans cette demeure de rêve. Il avait parlé de l'amener dans une villa près de la mer et elle se souvenait qu'il lui avait dit qu'elle se trouvait près de la frontière française. Elle s'était demandé sur le moment, s'il avait choisi cette villa pour être à proximité de ses amis. Est-ce qu'il voudra rester avec elle à Huesca? Pensait-il, comme elle, que les merveilleuses pièces mauresques, les patios et les jardins tropicaux constituaient un have d'amour idéal?

Elle fut parcourue de frissons à cette idée. Ensuite, elle se souvint que le roi ne l'aimait peut-être pas et qu'il ne verrait dans ce lieu qui l'enchantait qu'un palais délabré ne valant même pas la peine d'être restauré.

« L'image qu'on perçoit avec les yeux n'est peut-être que le reflet de celle qu'on a dans le cœur, songea Candice en se demandant si le roi partageait son opinion.

Il y avait tant de choses dont elle voulait parler avec lui, tant de questions qu'elle voulait lui poser! Elle gardait toujours les souvenirs des conversations qu'ils avaient eues le lendemain de leur mariage et rétrospectivement, elle jugeait que c'était pour elle de grands moments. Lui les considérait peut-être différemment...

Ces heures d'attente passaient avec une lenteur extrême. Son désir de l'avoir près d'elle était parfois si intense qu'elle en était presque effrayée. La nuit dans son grand lit de roi, sous le coquillage de nacre, elle entendait chanter les rossignols dans le jardin et pensait que la beauté du clair de lune était gâchée par son absence. Elle évoquait la nuit de leur mariage quand le roi s'était allongé à côté d'elle et qu'il avait promis qu'il ne la toucherait pas... Elle savait maintenant que, s'il était là, elle voudrait qu'il la serre dans ses bras et le lui demandait.

- Je l'aime!

Mais combien de femmes avaient déjà dormi dans cette chambre de marbre et d'albâtre et murmuré ces mêmes mots?

- Si Terrence n'est pas là demain, je vais aller le rejoindre! se répétait-elle à la longueur de la journée.

Elle avait pris le thé avec une douzaine de personnes venues lui rendre visite. Ces gens lui plaisaient et elle voulait devenir leur amie. Elle ne pouvait s'empêcher de les comparer à ceux qu'elle avait rencontrés à Greum. Il lui était difficile de penser sans haine aux traîtres qui avaient aidé les Français dans leurs manigances contre Maxence. Elle savait qu'il lui serait difficile à l'avenir de ne pas montrer son antipathie à leur égard, elle allait éventuellement leur pardonner. En attendant, elle allait choisir ses dames d'honneur parmi les femmes venant exclusivement de la partie espagnole du pays.

Après le dîner, l'officier arriva avec le bulletin officiel de Greum.

« La ville est calme maintenant. Aucune émeute n'a éclaté depuis plus de vingt-quatre heures. Le Parlement est en session et le Premier ministre en d'accord avec Sa Majesté le roi, a remanié la composition du cabinet. »

Candice sentit son cœur bondir de joie. Le roi ne s'occupait pas seulement de l'armée, il prenait en main toutes les affaires! Elle savait qu'avec l'armée, le roi avait gagné d'avance car c'est l'armée qui contrôle le pays...Elle était à présent convaincue que les sympathisants français se verraient retirer leur pouvoir et qu'ils seraient remplacés par de vrais Maxençois. Elle savait que c'était aussi l'opinion du capitaine Salazar. Lorsque le messager s'en alla, elle se tourna vers lui et dit en souriant :

- Ce que vous avez toujours désiré est en train de se réaliser, capitaine!

- Entièrement grâce à vous, madame.

- Le roi aurait peut-être été sauvé sans... moi.

- Qui d'autre aurait pu découvrir ce complot? demanda le capitaine Salazar, qui d'autre aurait fait appel à moi assez rapidement pour Sa Majesté ait le temps de s'enfuir?

- Je suis heureuse de penser que je... l'ai sauvé, dit Candice à voix basse.

- Je crois que vous ne l'avez pas sauvé seulement sur ce plan-là...

Elle savait de quoi il parlait, mais elle ne pouvait s'empêcher de se demande si le roi aurait autant de reconnaissance envers elle que ses serviteurs. Car la découverte d'un complot français allait l'obliger à rompre avec la princesse!

La veille, le bulletin du roi se terminait par :

« Tous les résidents Français, y compris l'ambassadeur de Sa Majesté l'empereur Napoléon III, ont été priés de quitter Maxence. Ils devront donc demander une autorisation de séjour s'ils désirent y revenir. »

Cette mesure avait surpris Candice et le capitaine, si bien qu'ils avaient eu du mal à en mesurer toute la portée...

CANDICE ET LE ROIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant