Chapitre 7 « La réception »

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Candice avait l'impression de vivre un rêve. Elle était dans la cathédrale devant tous ces souverains, tous les dignitaires et le peuple maxençois en train d'épouser le roi. À la fin de la cérémonie, elle sera la reine de Maxence, la reine. Mais tout ça ne lui disait rien qui vaille, si elle n'avait pas l'amour de son mari, car elle le savait, son mari était amoureux d'une autre femme. Elle écoutait ce que disait l'évêque, sur l'amour et la définition du mariage. Comme elle aurait voulu que le roi l'aime. Pourquoi ne l'avait-on pas envoyé plus tôt pour qu'elle puisse faire sa connaissance... Mais elle savait qu'elle l'aimait déjà. C'était lui qui devait tomber amoureux d'elle.

Elle répéta comme une automate ce que l'évêque lui disait et Terrence aussi... À la fin, elle était mariée au roi. Elle était la reine de Maxence. Elle aurait dû être heureuse, mais elle pensa au roi qui était avec sa maitresse la veille encore après leur escapade. Comment avait-il pu la voir après leur escapade? Enfin il était libre de faire ce qu'il voulait avec la femme qu'il aimait, non?

Terrence entendait les vœux prononcés par l'évêque et les répétait machinalement. Il venait de s'unir à la princesse qu'il avait rencontrée seulement la veille et qui malgré tout l'avait fasciné par sa candeur et sa fraîcheur. Il était le roi, et c'était comme ça que les choses se passaient s'il voulait le soutien de l'Angleterre. Mais l'empereur lui avait assuré qu'il n'annexerait pas Maxence à la France. Mais avoir une grande puissance comme l'Angleterre derrière lui, ne ferait pas de mal à Maxence. Mieux vaut prévoir que guérir. Et la comtesse... Les paroles de sa mère lui revinrent en tête. Il voulait imiter les souverains français, réputés pour avoir plusieurs maîtresses... Avoir une femme mariée comme maîtresse était un peu un moyen pour ne pas s'engager... Mais il était le roi, il avait à présent une reine...en tant que souverain, il pouvait faire ce qu'il voulait... Mais ça ne plaisait pas à sa mère et pour une raison quelconque, il ne voulait pas déplaire à sa mère... et à Candice. Mais Candice n'était pas au courant de son écart de conduite. Personne n'était au courant. Il devait arrêter de penser à tout cela. La nouvelle reine, à ses cotés était la chouchou du peuple, après une seule journée! Le peuple l'acclamait mieux, grâce à elle, elle a montré l'unité du peuple. Il l'avait amené danser au village la nuit dernière pour lui faire plaisir et elle s'était tellement amusée, comme une petite fille. Il s'était amusé avec elle, pendant quelques heures, les deux heures qu'a duré leur escapade, il avait oublié qu'il était le roi avec de lourdes responsabilités. Il s'était bien amusé a danser avec sa future femme parmi les gens, parmi son peuple qui lui manifestait son amour... Il fut en mesure de sentir l'amour que son peuple avait pour son souverain et la souveraine, grâce à Candice... Son geste lui montrait qu'il l'aimait bien, il cherchait son estime.

Ils sortirent de la cathédrale et le peuple dehors était en train de les acclamer fort et de lancer des fleurs. Le peuple leur souhait tous les vœux de bonheur. Ils montèrent dans le carrosse royal qui devait les ramener de la cathédrale jusqu'au palais, tout en faisant des signes de la main. Terrence murmura:

- Cette bénédiction, quelle épreuve Candice!

- Cela vous a donc été tellement pénible? dit Candice consternée.

- En vérité, j'ai trouvé cette cérémonie bien ennuyeuse! répondit le roi.

- J'en suis désolée, dit-elle d'une voix mal assurée.

- Mais pourquoi? Il ne faut pas vous plaindre! Le jour de votre mariage ne doit-il pas être un moment unique?

Son ton était cynique, mais lorsqu'il remarqua l'expression navrée de Candice, il lui prit la main :

- Pardonnez-moi, lui dit-il sur un ton tout à fait différent. Je voudrais que vous soyez heureuse. J'oublie parfois que vous êtes si jeune, que tout est nouveau pour vous et sans doute très plaisant.

- Certes, répondit Candice sans savoir si elle pensait à la cérémonie ou à la sensation que la main du roi posée sur la sienne faisait naître en elle.

Une fois au château, ils sortirent et la foule les acclamait toujours et ils les saluèrent de la main et ensuite, ils montèrent ensemble les escaliers pour entrer dans le palais.

Ils restèrent debout à la porte pour accueillir tous les invités qui les félicitaient et offraient des bouquets de fleurs à Candice. Après un temps qui lui parut interminable, ils passèrent à table. Candice ne se souvint pas combien de plats ont défilé devant elle, mais elle avait l'impression que ce repas n'en finissait pas. Elle commençait a se sentir un peu lasse. La couronne de diamants pesait littéralement sur sa tête et elle étouffait. Elle savait pourtant qu'elle devait se montrer à la hauteur pour plaire aux invités royaux qui étaient venus de si loin pour assister à la cérémonie. Il était facile de charmer les hommes, mais elle avait le sentiment que les reines et les princesses la regardaient d'un air un peu supérieur, comme si elles la trouvaient trop jeune pour prendre place parmi elles. Peut-être n'était-ce qu'une impression qui venait de ce qu'elle se sentait plus tendue qu'elle ne l'avait jamais été.

Il y avait de longs discours exclusivement en français, auxquels le roi dut répondre.

Candice fut rassurée par la brièveté de ses interventions et vit avec plaisir qu'il réussissait à faire rire l'assemblée. Il dit combien il souhaitait à tous la bienvenue en ce jour qui était le plus merveilleux de sa vie, celui où il épousait une femme à la fois belle et spirituelle et qu'il remerciait le destin du présent qu'il lui faisait.

« Il ne croit pas un mot de ce qu'il dit » pensa Candice.

Malgré elle son regard se dirigea vers la table des représentants diplomatiques de différents pays. Elle vit la comtesse Legrand; il aurait d'ailleurs été impossible de ne pas la remarquer, même au milieu d'une assemblée encore plus dense. Elle portait une robe vert émeraude, plus large et plus sophistiquée que celles qu'avaient revêtues toutes les autres invitées. Sa tiare était plus haute et plus impressionnante et les émeraudes et les diamants qu'elle portait autour du cou et des poignets surpassaient presque en éclats toutes les autres parures. Mais ce n'était pas la somptuosité de sa toilette qui attira le regard d'Anastasia : c'était l'éclat de son visage. Candice était la belle du jour, mais c'était comme si la comtesse voulait montrer qu'elle venait après la nouvelle reine.

« Elle est fascinante! conclut Candice avec tristesse, elle est plus que je ne pourrais jamais le devenir! »

Elle voyait la comtesse s'agiter en parlant, les yeux pétillants, et elle comprenait l'effet qu'elle pouvait produire sur les diplomates qui la connaissaient pourtant bien. Elle se demanda si le roi la regardait, et bien qu'elle put constater qu'il n'en était rien, elle ne put s'empêcher de penser qu'il remarquerait forcément un personnage aussi extraordinaire, même s'il n'en avait pas l'intention.

Quand le repas fut terminé, il y eut une réception dans la galerie des Glaces à laquelle un plus grand nombre de personnes avaient été conviées. Sa mère s'approcha d'elle et lui glissa à l'oreille.

- N'oubliez pas, c'est vous la reine. Le roi n'a qu'une seule femme et c'est vous. Ne vous laissez pas intimider...

Sa mère la connaissait et elle avait voulu la rassurer. Sa mère avait raison. C'était elle la reine, c'était le jour de son mariage, elle allait arrêter de penser à la maîtresse du roi!

Il y avait un gâteau de mariage à six étages et du champagne en abondance. Un orchestre jouait discrètement de la musique classique. Le couple royal ouvrit la piste de danse. Candice avait l'impression de flotter dans les airs quand elle dansait avec le roi, elle souriait de toutes ses dents. Le roi aussi souriait en la regardant dans les yeux. Comme il avait de beaux yeux, comme il était beau. Son cœur se mit à battre la chamade.

La reine était une excellente danseuse. La reine Victoria avait bien enseigné sa pupille, elle était aimée du peuple, ce qui était sans doute la chose la plus importante et il se surprit à penser à elle avec beaucoup d'affection. Quand il pensa qu'il avait voulu que son bateau coule pour ne pas obéir à la reine, mais il savait que la reine Victoria n'aurait pas abandonné, elle lui aurait trouvé une autre jeune femme. En tout cas pour le moment danser avec sa femme était exquis. Il se souvint de leur escapade de la veille combien ils s'était amusés.

- J'aime bien danser avec vous aussi officiellement devant tous ces souverains, et vous dansez très bien, Votre Majesté.

- Aussi bien que Richard? demanda le roi en souriant.

- Richard mon danseur de la rue était incomparable pour la rue. Vous êtes incomparables pour la salle de bal.

- Vous êtes aussi gracieuse qu'Anastasia.

- Merci Votre Majesté.

Les autres couples les avaient rejoints sur la piste de danse et tout le monde dansait en célébrant les noces du roi Terrence de Maxence.

Candy dansa ensuite avec le premier ministre, avec le capitaine Salazar et plusieurs autres souverains et bien sûr avec le roi, plusieurs fois.

Elle se reposait entre deux danses quand le capitaine Salazar lui tendit soudain un verre de champagne.

- J'ai l'impression que vous en avez besoin, madame.

- Merci, répondit Candice d'un ton reconnaissant.


Trois fois durant la réception, Candice et le roi se montrèrent au balcon du palais pour saluer la foule.

Puis après la réception qui lui sembla avoir duré des heures, la nouvelle reine dut faire ses adieux à sa mère et sa belle-mère. Le roi était là aussi.

- Faites un bon voyage mère, dit le roi, un peu de changement de pays vous fera du bien.

- Je vais me reposer un peu, dit la Reine Eleonor, et visiter Londres avec la grande duchesse et je pourrai visiter aussi la reine Victoria pour la remercier de vous avoir envoyé une épouse parfaite.

Terrence sourit.

- Soyez sage, lui chuchota-t-elle pendant qu'elle le serrait dans ses bras.

- Au revoir, maman chérie, dit Candice chaleureusement.

- Au revoir ma fille chérie, répondit la grande-duchesse, ce fut un très beau jour. Mon seul regret est que votre père n'ait pas été là pour vous voir ici et rencontrer votre mari!

- Je suis sûre qu'il aurait été heureux, maman.

- Il aurait été aux anges d'apprendre que sa fille est devenue reine.

- J'espère être à la hauteur.

- J'ai confiance en vous. Vous êtes une souveraine née... regardez ce que vous avez fait hier. Tout le monde en parle encore. Je n'ai aucune inquiétude à votre sujet. Vous allez être une reine parfaite. Jouez votre rôle à la perfection. Le peuple vous aime et le roi va suivre, j'en suis persuadée. Vous avez vu ce qu'il a fait pour vous hier avec la fête et la danse? Il vous aime déjà... Il ne le sait pas encore. C'est tout. Donnez-lui du temps.

- Maman...

- J'ai raison.

- Merci maman pour votre confiance.

Elle serra encore sa maman fort dans ses bras.

- Je vous aime, maman.

- Je vous aime aussi, ma chérie.

La grande-duchesse, la reine Eleonor et les autres voyageurs sortirent par une petite porte derrière le palais pour éviter la foule. Candice et le roi leur firent des signes d'adieu jusqu'à ce que la voiture ait disparu.

En retournant vers la grande salle avec son mari, Candice se sentit pour la première fois très seule comme si son dernier lien avec l'Angleterre venait d'être tranché. Il ne lui restait plus personne, maintenant, sur qui s'appuyer, personne pour la guider, à moins que son mari... Elle regarda Terrence avec anxiété.

- Êtes-vous fatiguée? demanda-t-il. Désirez-vous vous reposer? Je dois encore faire de nombreux adieux avant d'être libéré de tous mes devoirs.

- Si personne n'y voit une atteinte au protocole, dit Candice, j'aimerais bien me débarrasser de ma couronne qui est si lourde!

- Comme je suis négligeant! s'excusa le roi, j'aurais dû pourtant me rappeler que ma mère se plaignait toujours que son poids lui donnait la migraine. Vous auriez peut-être pu l'échanger contre une autre, plus légère.

- C'est trop tard maintenant, dit Candice en souriant, mais si vous êtes sûr que mon absence ne choquera personne, je monterais bien un moment dans ma chambre.

- Je vous rejoindrai dès que je le pourrai, dit Terrence, merci Candice d'avoir été si aimable avec tout le monde.

Il prit sa main qu'il baisa alors que le capitaine Salazar arrivait près d'elle pour la conduire à sa chambre. Quand elle fut sûre que les serviteurs ne pouvaient plus entendre, elle demanda :

- Me suis-je conduite comme il faut?

- Vous le savez bien, madame! Vous avez été absolument merveilleuse!

Après avoir gravi quelques marches, il dit :

- Votre geste d'hier – pour le bouquet – a beaucoup touché la population. Les journaux ne parlent que de cela!

- J'ai peur de ne pas avoir le temps de les lire, dit Candice.

- Ce n'est pas surprenant, répondit-il, mais les gens ont senti que vous vous intéressiez à eux. C'est exactement ce que j'avais espéré de votre part.

- Je vous dois tellement!

Elle vit l'expression de plaisir dans le regard du capitaine puis elle lui souhaita le bonsoir et se retira dans sa chambre où l'attendait Dorothea. C'était avec soulagement que Candice s'assit pour qu'elle lui enlève la couronne. Elle regarda alors une petite horloge d'or placée sur sa coiffeuse et s'aperçut qu'il était beaucoup plus tard qu'elle ne le pensait.

- Votre Majesté désire-t-elle boire ou manger quelque chose? lui demanda Dorothea.

Candice fit non de la tête.

- Je ne pourrais plus rien avaler, répondit-elle, ce repas m'a paru interminable.

- Habituellement, lorsqu'il est seul, Sa Majesté mange très rapidement et se contente d'un petit nombre de plats.

- Je ne peux que l'en féliciter, dit Candice.

- Désirez-vous vous mettre au lit, Votre Majesté? demanda Dorothea.

- Je vais me déshabiller, répondit Candice. Très peu d'invités sont déjà partis et j'ai l'impression que le roi ne pourra pas se libérer avant longtemps.

- Je dirais au moins une heure, répondit Dorothea, Votre Majesté a eu une journée harassante, mais vous êtes si belle! Bien plus belle qu'aucune femme de Maxence...

Candice prit un bain parfumé et enfila une des magnifiques chemises de nuit ornées de dentelle qu'elle avait achetées avec sa mère dans Bond Street. Elle mit par-dessus une robe de chambre de satin bleu pâle dont les larges manches étaient bordées de molleton de soie. Dorothea lui brossa longuement ses cheveux après avoir défait son beau chignon. Avec ses cheveux blonds et ses grands yeux verts, elle ressemblait à un ange tombé du ciel.

Il était près de onze heures et demie lorsque Dorothea la quitta, mais Candide ne se mit pas au lit. Elle alla s'asseoir dans un fauteuil profond près de la cheminée. Il avait fait chaud pendant la journée, mais à présent, on sentait l'air frais venu des montagnes enneigées. Son regard se perdit dans les flammes et minuit sonna à la pendule quand s'ouvrit la porte qui communiquait avec la suite du roi.

Il avait quitté ses vêtements d'apparat et portait une longue robe de chambre qui lui descendait jusqu'aux pieds, avec un col de velours.

- Pas encore au lit, Candice? demanda-t-il, je pensais que vous seriez épuisée après une telle journée!

- Je suis fatiguée, répondit-elle, mais je voudrais vous parler.

Terrence eut un sourire.

- N'est-il pas un peu tard pour parler?

- Pas pour ce que je voudrais vous dire, répondit Candice.

Il la regarda et elle avait l'impression qu'il essayait de scruter son visage pour connaître ses pensées secrètes. Il s'installa dans un fauteuil en face d'elle. La lumière des flammes se reflétait sur les cheveux de Candice et éclairait son visage grave. Des chandeliers jetaient une aura de lumière sur le grand lit à baldaquin.

- Nous n'avons pas eu l'occasion d'être seuls jusqu'à maintenant, dit le roi, comme Candice ne se décidait pas à parler. Je suis réellement désolé que la tempête vous ait retardée et que nous n'ayons pas eu le temps de mieux nous connaître avant notre mariage!

Il s'arrêta quelques instants et reprit :

- Puis-je vous dire combien je suis heureux que vous soyez ma femme? J'ai le sentiment, Candice, que nous avons beaucoup d'années de bonheur devant nous.

La jeune femme retint son souffle, puis commença d'une petite voix :

- Vous ne serez pas fâché si je vous dis ce que pense?

- Il me paraît très improbable que je puisse me fâcher contre vous, répondit le roi.

- Vous ne pouvez pas en être sûr avant d'avoir entendu ce que je veux vous dire.

- Je ne vois pas du tout de quoi vous désirez me parler, dit-il, mais si cela peut vous rassurer, je vous promets de ne pas me fâcher!

Candice le fixa de ses yeux très verts éclairés par les flammes.

- Je voudrais être complètement honnête avec vous. Vous êtes mon mari, je ne veux rien vous cacher.

- Je vous écoute.

- Je pense que vous trouveriez normal, ce soir, maintenant que nous sommes mariés... de faire l'amour avec moi...

- C'est en effet l'usage entre un homme et une femme nouvellement mariés.

- C'est ce que j'ai entendu dire... L'expression s'appelle « faire l'amour » et je trouve que ça serait une erreur pour nous deux.

La surprise du roi était visible. Alors qu'il était resté enfoncé dans son fauteuil pour regarder Candice, il se redressait maintenant et son visage était tout à fait sérieux.

- Pourquoi pensez-vous que ce serait une erreur? demanda-t-il.

- Parce que, répondit Candice, pour que deux personnes s'unissent ainsi, il faut qu'elles soient amoureuses l'une de l'autre, non?

Le roi resta muet pendant quelques instants, puis répliqua:

- Nous n'avons pas eu le temps, Candice, de tomber amoureux...

Son cœur était en train de lui dire le contraire. Il aimait bien cette jeune fille qui avait fasciné tout son peuple...

- Je le sais, répondit la jeune fille et comme je sais que vous aimez quelqu'un d'autre, je ne voudrais pas que vous simuliez avec moi.

Le roi se raidit.

- Qui vous a parlé de ça? demanda-t-il brusquement.

Candice ne répondit pas tout de suite et il continua :

- Si je savais que c'était une des personnes attachées à mon service – le capitaine Salazar, par exemple - je le renverrais sur-le-champ!

- Non, non. Le capitaine Salazar ne prendrait pas la liberté de parler d'une chose aussi intime, répondit Candice, je savais que votre cœur était pris avant de quitter l'Angleterre.

Le roi la regarda avec stupéfaction. Il pensa à ce que sa mère lui disait, que sa liaison avec l'ambassadrice de France était un secret de polichinelle.

- C'est absolument impossible! s'emporta le roi, qui oserait le suggérer? Qui pourrait savoir?

- Là n'est pas le plus important, répondit Candice, le fait est que je sais que vous aimez quelqu'un.

- Et vous avez cependant accepté de m'épouser? demanda le roi.

- Je n'avais pas le choix. Enfin, ce n'est pas tout à fait vrai.

- Il y a quelqu'un d'autre qui aurait voulu se marier avec vous? demanda Terrence.

- Oui, cela est vrai, admit Candice. Mais on ne nous y aurait pas autorisés et nous n'avions d'autres solution que la fuite.

- Et vous n'en avez pas eu le courage?

Une moue ironique se dessina sur les lèvres du roi.

- Si je l'avais réellement aimé, je l'aurais suivi, répondit Candice, sans m'inquiéter de la colère de maman et de celle de la reine, mais je ne l'aimais pas.

- Et lui, il vous aimait?

- Oui.

- N'avez-vous cependant pas été tentée de partir avec un homme qui vous aimait plutôt que de venir dans un pays inconnu vous marier avec un homme qui en aime une autre?

- J'y ai réfléchi, répondit Candice, mais comme j'étais sûre de ne pas aimer Archibald, j'ai pensé que ça serait stupide de provoquer un tel scandale.

- Êtes-vous tout à fait sûre de ne pas l'aimer? demanda le roi avec curiosité.

- Quand il a essayé de m'embrasser, je l'ai... repoussé car je n'en avais pas envie, expliqua Candice.

- Personne ne vous a jamais embrassée? demanda Terrence incrédule.

Candice fit non de la tête.

- Non et c'est pourquoi je ne voudrais pas que vous m'embrassiez en pensant à une autre.

- Je ne le ferais pas, dit le roi d'une voix grave, j'aimerais beaucoup vous embrasser, Candice, et je sais qu'à ce moment-là, je ne penserais pas à quelqu'un d'autre.

- Vous ne pouvez en être sûr, et moi je crois que je penserais à elle.

Le roi se leva comme s'il lui était difficile de rester assis plus longtemps. Il se mit à arpenter la pièce.

- Je vais vous parler franchement, Candice, dit-il après quelques instants, jamais je n'aurais imaginé avoir une telle conversation avec vous le soir de nos noces. Je comprends que vous ayez voulu me faire part de vos désirs, mais il me semble indispensable que nous puissions avoir une vie conjugale normale.

Il fit une pause, puis il continua :

- En m'unissant à vous, je ne penserais pas à quelqu'un d'autre, mais à vous et je souhaite que nous connaissions un jour ce moment de satisfaction et de bonheur incomparable!

Candice le regarda puis elle continua :

- On m'a parlé des jolies femmes de Paris et on m'a dit que les hommes du monde tels que vous et l'empereur, les fréquentiez et leur offriez de magnifiques cadeaux...

Elle fit une pause...

- Continuez, dit le roi.

- Je ne comprends pas pourquoi on dépense tant d'argent pour ces femmes mais je crois peut-être à tort que la différence entre ce qu'elles apportent à un homme et ce que je pourrais apporter, c'est l'amour.

Le roi resta silencieux et soudain immobile.

- Vous pouvez rire de ce que je pense, continua Candice, car sûrement l'acte d'amour entre un homme et une femme a-t-il toujours été le même à travers les âges depuis Adam et Ève.

Le roi restant muet, elle poursuivit :

- C'est pourquoi la différence que je vois ne doit pas se situer sur le plan physique, mais sur le plan affectif. Ai-je tort?

Il y eut un silence, comme si la question restait suspendue entre eux, puis Terrence dit d'une voix très calme:

- Non Candice. Vous avez raison! Mais je me demande comment vous avez pu arriver toute seule à ces conclusions.

- J'ai pensé à la façon dont l'amour avait inspiré tant de personnes dans le passé, répondit Candice. J'ai pensé à Hélène de Troie, aux chevaliers qui se battaient pour gagner les faveurs de leur bien-aimée et qui étaient prêts a mourir pour leur prouver leur amour.

Elle eut un petit geste nerveux de la main et continua :

- J'ai pensé à Roméo et Juliette, à Dante et Béatrice et à bien d'autres amants célèbres. Je suis convaincue que ce qui est important, ce qui peut rendre un mariage heureux, c'est l'amour!

Le roi avait le regard fixé sur son visage et elle continua :

- Je vous prie de ne pas vous fâcher, mais de comprendre. Il n'y a pas d'amour entre nous...

« Du moins de votre côté, car moi je sais que je vous aime déjà » se dit-elle.

- Nous serons totalement mari et femme quand il y aura de l'amour entre nous, s'il y a de l'amour entre nous un jour!

- Cela ne me fâche pas du tout, dit le roi, je suis tout simplement surpris.

- J'ai le plus grand désir d'être une bonne reine, dit Candice, et je voudrais aussi être une bonne épouse... Je crois qu'il me sera possible de vous aimer lorsque je vous connaîtrai mieux...

Elle poussa un soupir et lui dit :

- Mais vous... peut-être ... ne m'aimerez-vous jamais?

Sa mère lui avait dit que le roi l'aimait et qu'il ne le savait pas encore...

« Je pense que je commence à vous aimer, je crois, vous me fascinez... je vais vous conquérir » se dit-il.

Il y eut un long silence.

- Je crois que le temps seul peut apporter une réponse à vos interrogations, dit enfin Terrence. Vous m'avez parlé avec tant de sensibilité et d'intelligence, Candice! On ne m'avait pas dit que vous aviez l'esprit si fin. Je ne m'y attendais pas.

- C'est très aimable de votre part de ne pas être fâché.

- Je regrette sincèrement que vous ayez eu connaissance de mes écarts de conduite, continua le roi, c'est une chose qui n'aurait pas dû se produire

Candice se mit à sourire.

- Tout le monde parle des rois! Je ne crois pas qu'avec la meilleure volonté du monde vous ayez pu garder secrètes vos affaires de cœur!

Le roi parut interloqué.

- Vous voulez dire que tout ce que je fais est connu de tous?

- Les gens ne peuvent pas avoir des certitudes absolues, mais ils bavardent. Si incroyables qu'il paraisse, les scandales sont commentés d'un pays à l'autre, par ceux qui aiment les commérages, particulièrement lorsqu'il s'agit de séduisants monarques!

Elle pensa à Lady Pony-March et le roi rit un peu tristement.

- Je vois que j'avais sous-estimé ma propre importance. C'est pourtant quelque chose dont on m'a rarement accusé dans le passé! Ma mère avait raison, mon écart de conduite est un secret de polichinelle!

Il fit une pause et il reprit :

- Si je prends en compte ce que vous venez juste de me dire, Candice, tout ce que nous allons faire ensemble maintenant sera connu et jugé dans tout Maxence.

- C'est vrai, acquiesça la jeune reine.

- Et c'est pourquoi, si j'accepte vos conditions et quitte votre chambre à cette heure pour aller dormir dans mon propre lit, ce sera surement un sujet de médisance, sinon un scandale demain matin!

Candice le regarda d'un air interrogatif et il continua :

- Ce que je vous propose donc, c'est de rester ici pendant quelques heures au moins, en m'allongeant sur votre lit.

Il vit son trouble et ajouta rapidement :

- Vous pouvez avoir confiance en moi. Je vous donne ma parole, Candice, que je ne tenterai ni de vous embrasser ni de vous caresser – bien que j'en aie grande envie – avant que vous ne m'y invitiez. Cela vous rassure-t-il?

Candice essaya de réfléchir rapidement. Elle se dit que si l'on pensait que le roi n'avait pas partagé sa couche, comme tout le monde s'y attendait, si l'on savait qu'il avait dormi dans sa propre chambre, il n'y aurait qu'une explication possible... Tout Maxence penserait que son engouement pour la comtesse Legrand l'avait rendu aveugle aux charmes de sa jeune épouse. Sa proposition était donc très ingénieuse.

- Vous avez raison, dit-elle. Quoi que nous fassions, nous ne devons pas laisser croire que notre mariage n'est pas consommé.

- Très bien, dit le roi, je ferai exactement ce que vous désirez, Candice et j'espère qu'un jour vous serez amoureuse de moi!

Il lui sourit avec tant de grâce que, pendant un bref instant, elle eut envie d'avouer :

« Je crois que je vous aime déjà! Embrassez-moi je vous en prie, je voudrais savoir si c'est aussi extraordinaire que je l'imagine! »

Mais le souvenir des yeux de la comtesse levés vers lui lui traversa l'esprit. Elle se rappela qu'ils avaient passé la nuit précédente ensemble, après leur escapade. Elle imagina leurs étreintes et elle frissonna. Elle se rappela des paroles de sa mère, le roi n'avait qu'une seule femme... Le roi pouvait la trouver amusante, il pourrait même la trouver aussi séduisante que les jolies femmes de Paris, mais ce n'était pas ce qu'elle voulait. Elle voulait l'amour; l'amour dont avait parlé l'archevêque pendant le service religieux, l'idylle romantique dont il est question dans les livres, l'amour qui était une émanation divine...

- Merci d'être si gentil et si compréhensif, dit-elle en se levant du fauteuil pour se mettre debout face à lui.

Il était juste à un mètre d'elle et elle savait qu'il aurait été facile d'avancer vers lui et de se blottir dans ses bras. La sensation qu'elle éprouvait était toute différente de celle qu'elle avait ressentie face à Archibald. Sans ses chaussures à talons, elle se sentait toute petite a coté de lui.

- Vous êtes fatiguée, Candice. Il faut vous coucher, conseilla le roi. Mettez-vous dans votre lit, je vais m'allonger un peu à coté de vous avant de regagner ma chambre.

Candice se dirigea vers leur couche nuptiale et pendant que le roi était occupé à remettre une bûche dans l'âtre, elle retira prestement sa robe de chambre et se mit sous les draps. Il se retourna et elle lui sembla toute perdue dans ce grand lit a baldaquin, surmonté de la couronne de la reine.

- Je souffle les bougies? Demanda-t-il.

- Oui, s'il vous plaît, répondit Candice.

Il souffla donc les bougies qui se trouvaient à côté d'elle puis fit le tour du lit pour éteindre toutes les lumières. Il commença par s'asseoir puis posa sa tête sur l'oreiller et remonta la couverture en dentelle de Venise sur lui.

- Vous pouvez dormir Candice, dit-il. Je suis tout à fait bien et je vais peut-être m'endormir aussi.

- Qu'allons-nous faire demain? demanda-t-elle.

- Si vous le désirez, nous ferons une promenade le matin, dit-il. Nous pourrions prendre notre déjeuner dans mon pavillon de chasse qui se trouve à l'extérieur de la ville et puis nous reviendrons tranquillement en profitant de la campagne.

- Cela me plairait vraiment beaucoup! dit Candice. J'avais espéré que nous partirions en voyage de noces?

- Comme vous arriviez juste après une long périple répondit le roi, j'avais pensé que vous préfériez prendre au moins deux jours de repos ici. Ensuite, j'ai prévu un séjour sur la côte dans une villa que je possède près de la frontière française. Elle est entourée de très grands jardins, merveilleux à cette époque de l'année.

- J'aimerais beaucoup y aller!

Elle ajouta d'un ton hésitant :

- Vous n'avez pas peur de vous ennuyer, seul avec moi?

Elle pensait à ce que faisaient les jeunes mariés pendant leur lune de miel.

- Si vous continuez à être aussi surprenante que vous l'avez été jusqu'à présent, je suis sûr, Candice que je ne m'ennuierai pas!

- J'en suis heureuse, dit-elle. Il y a rien qui m'effraie plus que l'idée de vous paraître insignifiante!

- Je ne crois pas que ça soit possible, répondit le roi, vous êtes pleine de fantaisie.

L'intonation ironique n'échappa pas à Candice. Il y eu un silence. Puis d'une voix ensommeillée et lente elle demanda :

- Sont-elles très belles?

- Qui?

- Les femmes à Paris?

Le roi réfléchit et il répondit :

- Elles sont comme des jolis jouets, aux couleurs brillantes. Elle sont faites d'une matière ordinaire mais possèdent des aimants qui attirent l'argent des hommes fortunés!

Candice ne répondit pas. Il se tourna vers elle; elle dormait déjà! A la lumière du feu, elle semblait bien jeune, innocente et vulnérable. Le roi resta un long moment à la contempler.

CANDICE ET LE ROIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant