Chapitre 10 «La fuite»

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La comtesse Legrand était toujours en train d'attendre le roi dans son salon privé. La porte s'ouvrit et elle se retourna pour dire :

- Enfin! Mon chéri...

Mais elle ne termina pas sa phrase. Car ce n'était pas Sa Majesté, mais son premier valet, Alistair. Ce dernier la regarda dans sa robe provocante, comme elle était séduisante, comme le beau serpent qu'elle était.

- Mme Legrand? dit-il, je suis navré de vous décevoir, mais Sa Majesté n'est pas disponible pour le moment. Il vous contactera quand il sera disposé à vous voir. Si prochaine fois il y a...

- Mais enfin comment ose-t-il m'abandonner comme ça pour une vieille nourrice?

- Une vieille nourrice qui l'aime comme un fils et qui ne le trahirait jamais? dit Alistair ironiquement.

La comtesse ne put s'empêcher de rougir. Elle se mit à s'arranger pour partir. Elle prit une longue cape noire, qui avait été posée sur un fauteuil près de la porte de sortie pour la revêtir.

- Je parlerai au roi de votre insolence!

- Tant que vous y êtes, dites aussi à votre empereur que votre mission a échoué. Maxence ne sera jamais annexé à la France! Et ça va de soi, votre séjour à Maxence est terminé et votre ambassade est désormais fermée. La France est maintenant considérée comme un pays hostile envers Maxence. La reine Victoria se fera un plaisir de protéger nos intérêts, surtout après avoir envoyé sa nièce pour être la parfaite épouse pour notre roi.

- Mais...

- C'est fini, Mme la comtesse... ne revenez plus au palais et ne revenez plus à Maxence...

- Vous ne me raccompagnez pas jusqu'à la porte?

- Vous pouvez y aller vous-même, toute seule, comme une grande! Je ne vais pas risquer de me faire enlever à la place du roi ... car c'est ce que vous voulez n'est-ce pas? Gagner du temps... le temps qu'on se rende compte de la méprise... vous serez loin!

Elle lui jeta un regard noir et se dirigea vers la porte de sortie. Alistair vit la dame avec sa cape à capuchon noire partir et il ferma la porte derrière elle et la verrouilla. Il était très content de la tournure des événements. Le roi avait été forcé de voir la réalité en face. La comtesse s'était jouée de lui et sans la reine, les conséquences auraient été désastreuses pour Maxence. Dieu bénisse la reine Candice de Maxence et le reine Victoria qui a eu la bonne idée de l'envoyer pour qu'elle épouse leur souverain.

« Bonne chance Votre Majesté, se dit Alistair, nous comptons tous sur vous, tout Maxence dépend de vous! »

oOoOoOoOoOo

Le couple royal et le capitaine Salazar se glissèrent le long des couloirs sombres dans la partie du palais qui était habitée par les domestiques. Ils arrivèrent enfin à une porte que le capitaine Salazar s'empressa d'ouvrir. Dehors trois hommes attendaient dans la même tenue qu'eux. Ils étaient déjà en selle et tenaient chacun un autre cheval pas la bride. Le roi ne pouvait les reconnaître à cause de l'obscurité.

- Capitaine Seizo, capitaine Maureso et lieutenant Tuledo, Sire, présenta le capitaine Salazar à voix basse.

Les officies saluèrent et le monarque se mit en selle sur un grand étalon noir pendant que le capitaine Salazar aidait Candice. Deux officiers se placèrent en avant. Le roi et Candice les suivirent tandis que le capitaine Salazar et le lieutenant Tuledo fermaient la marche. Ils quittèrent le palais par derrière et se dirigèrent vers une petite entrée qui n'était pas utilisée que par les fournisseurs. Deux sentinelles se mirent au garde-à-vous en voyant les officiers. Ils ouvrirent les portes et les cavaliers sortirent sans hâte. C'est seulement lorsqu'ils furent suffisamment éloignés du palais que l'officier de tête accéléra l'allure. Dès qu'ils eurent dépassé les bâtiments qui entouraient la demeure royale, ils se mirent au galop. Ils se retrouvèrent bientôt dans la forêt, là où Candice et son mari étaient passés le matin même. C'était une nuit claire de demi-lune, ce qui leur permettait de se diriger aisément. Quand ils eurent parcouru un ou deux kilomètres, ils quittèrent la petite route et grimpèrent vers la montagne en suivant un petit sentier dont l'étroitesse les obligeait à avancer les uns derrière les autres, avec lenteur. Aucun d'entre eux ne parlait et on n'entendait que le martèlement des sabots des chevaux. Après une heure d'escalade, le roi arrêta son cheval sur un petit terre-plein et se retourna pour regarder en arrière. Candice s'approcha de lui. Ils dominaient Greum. La plupart des maisons étaient perdues dans l'obscurité, mais au centre de la ville on pouvait distinguer la lumière vive d'un feu. Un deuxième feu apparut sur la droite et un troisième sur la gauche.

- La révolution a commencé, Sire! dit le capitaine Salazar à voix basse.

Sans répondre, le roi remit son cheval sur le chemin et ils recommencèrent à grimper. Candice sentait maintenant l'air froid venu des sommets enneigés lui piquer le visage et elle avait le nez glacé. Les chevaux commençaient à souffler, tout en sueur. Il sembla à Candice qu'ils avaient atteint le sommet lorsque l'officier de tête fit une pause. Le capitaine Salazar dépassa Candice pour s'approcher du roi.

- Il y a deux grottes ici. Vous vous souvenez sûrement qu'elles ont servi quelques fois à faire des tirs de mines. Je crois que nous devrions faire halte par ici...

Le roi tourna la tête mais ne dit rien.

- Il serait dangereux de redescendre l'autre versant qui est très pentu tant qu'il ne fait pas clair, expliqua le capitaine Salazar. Je propose, Sire, que nous attendions ici le lever du jour avant de repartir pour Lezignan.

- Très bien, répondit le souverain.

Il était descendu de son cheval tout en parlant et s'approcha de Candice pour l'aider à mettre pied à terre. La vision de ces feux dans la vallée, à Greum, les avait impressionnés. Mais il était encore plus effrayant de penser que c'était une tentative délibérée pour destituer le roi de son trône et en faire un simple pion dans l'échiquier politique français.

Les officiers vidèrent leurs sacoches. Un des hommes s'avança en éclaireur dans la grotte et quelques instants plus tard, une faible lueur apparut à l'intérieur.

- Voulez-vous entrer, Sire? demanda le capitaine Salazar, une lumière dans la montagne pourrait attirer l'attention.

- Bien sûr, dit le roi.

Il mit son bras autour des épaules de Candice et l'attira contre lui. Elle pensait que l'entrée de la grotte devait être basse, mais en fait son mari n'eut même pas à se baisser. Ils s'enfoncèrent dans un passage taillé dans une pierre, guidés par la lumière. Ils débouchèrent dans une vaste salle, mais l'officier qui marchait en éclaireur leur demanda de les suivre jusqu'à une deuxième salle, moins grande. Il leva sa lanterne et Candice put voir un tas de paille sur le sol dans un coin et une caisse de bois au centre entourée de plusieurs gros rondins sur lesquels on pouvait s'asseoir.

- On dirait que quelqu'un est déjà venu ici! s'exclama le roi.

- Les montagnards et les bergers s'en servent comme refuge en hiver, Sire, lorsqu'ils sont surpris par la neige, répondit l'officier. J'y venais souvent lorsque j'étais jeune!

- Je crois que je suis déjà venu, dit le roi après réflexion.

L'officier posa sa lanterne sur la caisse en bois.

- Je vais voir si je ne peux pas trouver quelque chose pour vous installer un peu plus confortablement, madame, dit-il à Candice.

Il retourna dans la première salle et la jeune femme entendit les bruits des chevaux qu'ils avaient fait entrer aussi. Quelques instants plus tard, le capitaine Salazar réapparut, une fiasque à la main.

- J'ai pensé, Sire, que vous apprécierez d'avoir quelque chose pour vous réchauffer! dit-il. Malheureusement, j'ai oublié de prendre un verre!

- Je crois que je pourrai m'en passer, dit le roi.

Le capitaine Salazar tendit la fiasque à son souverain et Candice vit qu'il portait une couverture sous son autre bras. Il l'étala sur la paille.

- Cela vous évitera au moins de vous salir, madame, dit-il. Je crains que dans la précipitation, nous n'ayons pris qu'une couverture pour nous tous.

- Je suis sûre que tout ira bien, sourit Candice.

- Si vous avez besoin de quoi que ce soit, Sire, dit le capitaine Salazar, n'hésitez pas à nous le demander. Nous ferons de notre mieux pour vous satisfaire.

Il s'inclina.

- Merci, Salazar, répondit le roi, inutile de vous dire à quel point je vous suis reconnaissant... et je...

- Je suis à votre service, Votre Majesté, l'interrompit le capitaine.

Il sortit et Candice regarda le roi avec appréhension. Elle ne savait pas ce qu'il pouvait penser. Elle avait senti qu'il était en colère, très en colère lorsqu'elle lui avait dévoilé le plan de ses « amis ». Elle avait bien vu qu'il avait quitté le palais de mauvaise grâce et qu'à ce moment-là il ne la croyait pas encore. Elle frémissait rétrospectivement en imaginant ce qui se serait passé si Dorothea s'était trompée, s'il n'y avait pas eu de révolution, et si ce complot n'avait existé que dans la tête de Tomàs. Les feux qu''ils avaient vus lui avaient prouvé que ce n'était pas une erreur : une révolte avait éclaté et le capitaine et elle avaient épargné au roi l'humiliation de la défaite.

Terrence lui tendit la fiasque.

- Buvez un peu, dit-il, cela vous évitera de prendre froid.

Comme elle désirait ardemment lui faire plaisir, elle s'exécuta bien que l'eau de vie lui brûla tout le corps. Elle se mit à tousser.

- Encore un peu! lui ordonna son époux.

Et elle avala une autre gorgée. Il but à son tour, puis reposa la fiasque sur la caisse près de la lanterne.

- Vous devriez vous allonger, Candice, lui suggéra-t-il.

Elle ôta sa capuche et déboutonna l'attache de sa cape. Elle pensait qu'elle pourrait s'en couvrir lorsqu'elle serait allongée sur la couverture. Le roi s'assit sur un des rondins de bois en lui tournant le dos. Pendant quelques instants, son regard resta perdu dans le vague. Ensuite, comme il restait debout, l'air perplexe tout en la regardant, il dit à voix basse :

- Vous aviez raison, j'ai tout gâché!

Il y avait tant de tristesse dans sa voix, qu'instinctivement, Candice se rapprocha de lui. Sans réfléchir, elle posa son bras sur ses épaules.

- Tout s'arrangera, dit-elle doucement, je suis sûre que tout ira bien.

Il se tourna vers elle, et d'une façon très naturelle, comme un enfant qui a besoin d'être consolé, posa sa tête contre sa poitrine.

- Comment ai-je pu être aussi bête? demanda-t-il et son sentiment de culpabilité était encore plus poignant que la tristesse qu'il avait laissé paraître auparavant.

- Vous allez gagner, dit-elle avec confiance, je le sais!

Il ne répondit pas mais elle sentit sa tête peser contre elle. Elle l'entourait maintenant de ses deux bras et il s'abandonnait complètement contre elle. Elle voulait le rassurer et pour l'aider, elle voulait avant tout lui donner du courage. Mais comme elle ne pouvait trouver les mots qu'il fallait, elle le serrait contre elle et priait ardemment pour que tout se passe bien...

Le roi gardait le silence. Candice finit par dire d'une voix douce :

- Je crois que vous devriez vous reposer. Vous aurez beaucoup à faire demain.

Elle frissonnait de froid tout en parlant et Terrence releva la tête.

- Vous avez quitté votre cape, dit-il d'un ton presque accusateur. Allongez-vous, Candice et je vais la poser sur vous.

- Il faut que vous... vous allongiez...aussi.

Elle eut tout d'abord l'impression qu'il allait refuser. Elle s'installa alors sur la couverture qui était posée sur la paille et il se pencha pour la recouvrir de la lourde cape avant de s'allonger à côté d'elle et étendre la sienne sur eux deux. Ils restèrent ainsi l'un près de l'autre sans bouger. La flamme de la lanterne oscillait dans le courant d'air et jetait des ombres bizarres sur le plafond voûté de la grotte.

- Le froid deviendra encore plus vif au cours de la nuit, dit le roi au bout d'un moment, il serait peut-être souhaitable que vous vous rapprochiez de moi. La seule façon de garder notre chaleur est de rester serré l'un contre l'autre.

Comme il sentait son hésitation, il ajouta :

- Les officiers dans l'autre salle dorment sûrement contre leur cheval. C'est une des premières choses qu'on apprend lors des manœuvres. Les nuits dans la montagne peuvent être tellement froides!

Candice s'approcha de lui. Il passa son bras autour d'elle mais en appuyant sa tête contre son épaule, elle poussa un petit cri.

- Ahh!

- Qu'y-a-t-il? demanda-t-il surpris.

- J'ai griffé ma joue contre vos décorations!

- Je vais les enlever et les jeter, dit-il, je n'ai plus le droit de les porter!

Il y avait tant de violence contenue dans ses paroles que Candice répondit :

- Non... vous ne pouvez pas faire ça! Vous devez au contraire en être fier.

Le roi ne répondit pas et après quelques instants, elle ajouta :

- Quoi qu'il arrive, il ne faut pas vous sentir... en état d'infériorité.

- Et pourquoi pas? demanda-t-il amèrement. Je me sens non seulement en état d'infériorité mais aussi humilié.

- Vous avez fait une erreur, dit Candice, votre peuple peut le comprendre, mais il attend que vous vous montriez fort et résolu dans l'adversité : il lui faut un guide en qui il puisse croire.

Il y eut un silence puis elle continua :

- Un homme fort peut se faire amputer d'un membre parce qu'il est gangrené et survivre, alors qu'un homme faible en mourra... même si le reste du corps est sain.

- J'avais confiance en l'empereur... dit le roi, comme s'il se parlait à lui-même.

- ...Et vous venez de découvrir que c'est un traître, dit Candice, je comprends parfaitement votre déception et votre douleur. Mais une seule chose compte vraiment aujourd'hui, c'est de débarrasser Maxence de ses ennemis et de restaurer la confiance que tous les Maxençois devraient avoir en leur propre puissance.

- Croyez-vous que j'en sois capable? demanda le roi.

- J'en suis sûre, dit Candice d'un ton convaincu. Comme je vous l'ai dit le premier jour, vous êtes exactement ce qu'un roi doit être, c'est-à-dire, le souverain que le peuple suit.

Elle entendit Terrence prendre une inspiration et posa alors délicatement sa tête contre son épaule quand elle sentit son bras se serrer autour d'elle.

- Croyez-vous en moi, Candice? demanda le roi, Je veux une réponse sincère.

- Je crois en vous, dit-elle avec une solennité qui donnait à ses paroles la valeur d'un serment.

Terrence attendit avant de répondre :

- Merci, merci Candice!

Il y eut un silence. Comme elle avait froid malgré l'épaisse cape, Candice se serra instinctivement un peu fort contre son époux. Elle ressentit alors une sensation nouvelle pour elle : c'était à la fois étrange et agréable, effrayant et merveilleux. Presque sans s'en rendre compte, obéissant à un désir de son corps plus qu'à une décision de son esprit, elle se rapprocha et comme elle ne voulait pas qu'il se sente trop abattu, elle dit sur un ton délibérément amusé :

- Nous faisons le contraire des héros des contes. Nous ne découvrons pas la richesse après la pauvreté mais la paille après les draps de soie!

- Et nous passons une lune de miel qui sort de l'ordinaire! ajouta le roi.

- Quand nous serons vieux, dit Candice, ce sera une aventure que nous pourrons raconter à nos petits-enfants.

- Combien voudriez-vous en avoir? demanda Terrence.

- Environ une douzaine, dit la jeune femme d'un ton enjoué. Qui sait?

- Il n'y a que vous pour en décider, répondit le roi, on ne peut pas avoir des petits-enfants sans avoir d'enfants et on ne peut pas avoir d'enfants sans faire l'amour, Candice!

Il la sentit se raidir et ajouta pour la rassurer :

- De toute façon, ce n'est pas le moment d'en parler. Mais avant que vous ne vous endormiez, il faut que je vous remercie.

- Attendez que tout soit terminé, pria Candice, peut-être était-ce une erreur de fuir. Peut-être aurait-il mieux valu affronter les... insurgés sur les marches du palais?

- Cela n'aurait pu se produire sans effusion de sang, répondit le roi, et Maxence aurait perdu son monarque.

- Au moins ici, vous êtes sauf!

- Nous saurons demain quel en est le prix!

Candice voulut répondre, mais avant qu'elle eut la possibilité de parler, le roi dit :

- Essayez de vous reposer. Vous avez eu une longue journée pleine d'émotions après une cérémonie de mariage épuisante, elle-même précédée d'un voyage encore plus éprouvant. Vous ne saviez pas ce qui vous attendait lorsque vous avez quitté le calme et la sécurité de l'Angleterre!

- Quoi qu'il puisse arriver demain, murmura Candice, je serai heureuse... vraiment très heureuse d'être venue!

« Parce que je suis auprès de vous et il n'y a aucun autre endroit où j'aurais voulu être, se dit-elle. »

Terrence était en train de réfléchir. Il avait été berné, la comtesse était venue le séduire dans un seul but, celui de le trahir pour que la France puisse envahir son pays. L'ambassadeur de France à Maxence avait une mission bien spécifique, lui et sa femme... Candice... il ne la connaissait que depuis deux jours et elle jouait son rôle à la perfection, l'épouse parfaite qui encourage son mari, qui pourtant était en mauvaise posture avec une autre femme. Au lieu de faire une scène de jalousie comme toute femme amoureuse ou pas de son mari, elle prononça des paroles encourageantes. Cette femme, était absolument merveilleuse. Entendre ça de sa bouche avait eu pour effet de lui redonner confiance en lui. Il la serra fort contre lui...

« Je n'aurais jamais cru dire ça, mais merci Reine Victoria, pour la merveilleuse épouse que vous m'avez envoyée! » se dit-il.

Sans Candice, il serait prisonnier en France en ce moment en train de regarder son pays se faire envahir par ses « amis », sans pouvoir rien faire. Elle avait sauvé le pays et lui aussi... Son cœur explosa d'amour pour sa femme. Il l'aimait... mais il devait arranger la situation de son pays d'abord avant de filer le parfait amour avec elle...Il devait se ressaisir et arrêter de s'apitoyer sur son sort et se battre pour ne pas perdre la souveraineté de son pays. Il devait être l'homme que Candice pensait qu'il était, il allait lutter pour son pays.

Candice avait sûrement dû dormir et pourtant, il lui sembla qu'elle venait juste de fermer les yeux lorsque la voix du capitaine Salazar la fit sursauter.

- Le jour se lève, Sire.

Le roi se redressa en dégageant son bras doucement et se leva.

- Je suis prêt à partir dès qu'il fera suffisamment clair.

- J'ai une proposition à vous faire, Sire, dit le capitaine Salazar.

- Je vous écoute, répondit le roi.

- Nous avons discuté ensemble, répondit le capitaine Salazar et nous pensons, Sire, qu'il serait peut-être plus prudent que vous partiez en avant sans la reine. Nous sommes convaincus que l'armée est loyale et qu'elle exécutera tous vos ordres...

Il fit une pause et puis il ajouta :

- Mais nous savons aussi que des idées révolutionnaires se sont propagées dans le pays et que certains soldats pourraient profiter de l'occasion pour fomenter des troubles.

Le capitaine Salazar s'arrêta pour regarder Candice puis ajouta calmement :

- Nous pensons qu'il serait plus sûr que Sa Majesté vous rejoigne plus tard.

- Vous avez certainement raison, Salazar, répondit le roi. En fait, il n'est pas du tout nécessaire que Sa Majesté m'accompagne à la caserne. Je dois essayer de rallier l'armée et marcher immédiatement avec elle sur Greum en passant par la route de la côte. Là, je ferai rétablir l'ordre et emprisonner ou exiler tous les insurgés et les révolutionnaires.

Le roi parlait avec une fermeté qui surprit Candice. Il était déjà différent de l'homme qui se sentait si malheureux et si humilié durant la nuit. Elle avait maintenant en face d'elle un homme prêt à affirmer son autorité à prendre la direction des opérations son habit de cavalière.

- Où pensez-vous que je puisse emmener Sa Majesté, Sire? demanda le capitaine Salazar avec respect.

Candice s'aperçut au ton de sa voix que lui aussi, était surpris et soulagé par le changement d'attitude du roi.

- Le palais de Huesca n'est pas loin des casernes, répondit Terrence, il est fermé depuis des années, mais je sais qu'il est gardé par les Dragons de mon père. S'il en est qui resteront toujours fidèles a la monarchie, ce sont bien eux.

- Vous avez tout à fait raison, Sire! approuva le capitaine Salazar. Les gardes des Dragons mourraient pour la Couronne et Sa Majesté sera en toute sûreté au palais.

- Vous accompagnerez Sa Majesté là-bas, Salazar et je vous y rejoindrai dès que cela sera possible.

Candice eut du mal à ne pas crier qu'elle voulait rester avec lui, et qu'elle ne voulait pas être tenue éloignée pour de simples raisons de sécurité. Elle savait cependant qu'elle risquait de le gêner. Il avait à jouer son rôle d'homme et une faible femme ne pouvait l'y aider.

Le roi ramassa sa cape et la jeta sur ses épaules. Puis il prit son képi et se tourna vers Candice. Le capitaine Salazar avait quitté la salle et ils étaient seuls. Terrence la regarda à la lueur vacillante de la lanterne. Elle avait enlevé son foulard blanc et ses cheveux retombaient maintenant librement sur ses épaules. Ses grands yeux bleus inquiets étaient fixés sur lui.

- Prenez soin de vous, ma merveilleuse épouse! dit-il, je penserai à vous et j'agirai de telle façon que vous pourrez être fière de moi.

Candice lui tendit les mains spontanément.

- Ne prenez pas de ... risques inutiles! le pria-t-elle.

- Je n'éviterai pas le danger, répondit-il, mais je ferai tout pour vous revenir.

Il eut un sourire qui l'émut profondément.

- Il me reste encore à relever votre défi, dit-il doucement.

Elle leva les yeux vers lui et crut un instant qu'il allait l'embrasser pour lui dire au revoir. Mais il se contenta de lui prendre les deux mains qu'il porta à ses lèvres. Il les retourna et embrassa ses paumes l'une après l'autre. Ses lèvres étaient chaudes et fermes et ses baisers ardents. Leur contact éveilla chez Candice la même sensation trouble qu'elle avait ressentie lorsqu'ils étaient allongés l'un contre l'autre sur la paille. C'était la même sensation, encore plus intense, plus émouvante et son cœur sauta dans sa poitrine. Puis le roi se dégagea, se retourna sans un mot et sortit. Elle le suivit, gardant au creux de ses mains le souvenir du contact de ses lèvres. Le cheval du roi l'attendait à l'entrée de la grotte et les trois officiers étaient déjà prêts a partir.

Le capitaine Salazar tenait l'étalon noir par la bride. Le roi prit les rênes et se mit en selle.

- Prenez soin de Sa Majesté, Salazar, dit-il, je vous confie ce que j'ai de plus précieux!

- Je le sais, Sire, répondit le capitaine.

Terrence tourna la tête pour contempler Candice. Dans la lumière grise de l'aube, elle ressemblait à un ange venu d'un autre monde. Elle aurait pu être l'esprit du printemps apportant au sortir de l'hiver la promesse de l'espoir et du soleil.

Le roi promena son regard sur son visage pendant quelques secondes, puis éperonna son cheval pour rejoindre les trois officiers qui s'étaient mis en route.

Candice les regarda s'éloigner... Elle redouta soudain de voir son époux partir pour toujours, de le voir disparaître ainsi dans la brume matinale sans espoir de retour. Elle eut la certitude qu'elle l'aimait. Au bout d'une demi-heure, le capitaine Salazar lui dit qu'ils pouvaient maintenant grimper jusqu'au sommet, pour redescendre de l'autre côté. Il faisait alors grand jour et la vallée était inondée de soleil, tandis que la brume des montagnes se dissipait peu à peu.

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CANDICE ET LE ROIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant