L'étaux de fer qui enserre mon crâne se resserre de seconde en seconde, mon sang pulse douloureusement dans mes tempes. Mon corps me semble à la fois infiniment léger et horriblement lourd, je ne sais même pas si je sens encore mes jambes. J'essaie d'analyser les odeurs, les bruits, mais rien ne me parvient. Je tente vainement d'ouvrir les yeux, mes paupières restent lourdes. Mon corps endolori refuse de m'obéir. Bientôt le faible écho de voix lointaines résonne dans le silence, je tente de me concentrer sur leur provenance et finis par reconnaître la voix stridente de Mme. Heston. Il me faut encore quelques minutes pour forcer mon esprit engourdi à discerner ses paroles :
« C'est inadmissible ! Je ne peux pas laisser ce moins que rien prendre la place de ma fille ! Je refuse ! C'est non discutable ! La discussion est close, et je ne reviendrai pas sur ma décision.
- Madame, vous n'êtes pas responsable de ce garçon, votre avis n'a aucune importance. Il nous rejoindra dès qu'il sera remis, répond une voix masculine inconnue.
- Comment oser vous remettre en question notre autorité sous notre propre toit ? intervient Edouard. Il est sous ma garde depuis 10 ans !
- Il est majeur, Monsieur. Cette décision lui appartient. Nous comptons sur vous pour faire votre devoir. »
La porte claque et bientôt, des pas lourds font grincer l'escalier. La porte s'ouvre brusquement, mais je ne parviens toujours pas à ouvrir les yeux. Je sens néanmoins que l'on tire les rideaux et la luminosité m'assaille à travers mes paupières. La voix ferme de M. Heston s'élève alors, semblant s'adresser à moi :
« Lève-toi, flemmard, ça fait deux jours que tu dors. Le repas est prêt dans 10 min, tu as intérêt à être en bas d'ici là. »
Je lutte contre le sommeil qui tente de me faire replonger et arrive enfin à distinguer le plafond qui me brûle de son éblouissante luminosité. Peu à peu, je retrouve l'usage de mes membres. Je reconnais ma chambre toute en bois, sous les toits. Mais qu'ai-je bien pu faire pour me retrouver dans cet état ? A chaque mouvement que j'esquisse, je sens la douleur pulser et s'ajouter à mon mal de tête. Je finis tout de même par prendre mon courage à deux mains et passer mes jambes engourdies sur le bord du lit pour me redresser. Lorsque je me trouve enfin assis, un haut le cœur me fait gémir. Ce devait être plus bruyant que je ne l'ai cru puisque la porte s'ouvre une nouvelle fois sur Estelle, la mine affolée.
« Liam, tu es réveillé ! Ne bouge pas, tu vas tomber ! Ça va, comment tu te sens ? »
Je grogne en guise de réponse, et soudain tout me revient : les ombres, Estelle, puis un immense trou noir. Je ne peux m'empêcher de l'attirer dans mes bras quand je réalise qu'elle n'a pas une seule égratignure. Si je n'étais pas aussi mal, je pourrais presque croire à un rêve. Estelle passe ses bras autour de moi et serre vigoureusement mon torse, m'arrachant une grimace.
« Je ne pourrai jamais assez te remercier, Liam... murmure-t-elle contre mon épaule. »
Je ferme les yeux, respire son odeur apaisante et soupire de soulagement. Soudain la cloche annonçant le repas retentit, et je me tends. Si je ne suis pas rapidement en bas, je vais passer un mauvais quart d'heure. Je tente de pousser sur mes jambes pour me lever, mais tout tourne autour de moi. Heureusement, Estelle est là pour me retenir. Ma vision se floute et je lutte pour ne pas m'évanouir. Difficilement, je fais quelques pas en m'appuyant sur ma sœur, passe un tee-shirt et un bas, puis commence la longue descente des escaliers. Lorsque j'arrive en bas, je tremble de tous mes membres sous l'effort. Enfin dans l'immense salle à manger, je m'effondre sur la chaise, m'installe devant la table déjà servie, et ignore le regard assassin de M. Heston. Un silence lourd pèse sur la salle, je ne sais toujours pas comment Estelle et moi nous sommes retrouvés sain et sauf au château. Seul le bruit des couverts résonne, je n'ose relever les yeux vers les adultes qui me lancent des regards lourds de sens. Je pique ma fourchette dans la nourriture mais j'ai l'impression que la moindre bouchée suffirait à me faire déverser le peu qu'il me reste dans l'estomac, sur le sol. D'habitude, le silence m'apaise et je ne m'en plains pas, mais celui-là est particulièrement tendu. Je fini par le briser, et demande d'une voix froide :
« Qui était l'homme de ce matin, que me voulait-il ? »
Je ne précise pas de qui je parle exactement, mais à la vue des visages décomposés et pleins de rage me faisant face, je me doute qu'ils savent parfaitement qui je mentionne.
« - Nous n'avons aucun compte à te rendre, Liam, crache Monsieur Heston. Nous avons évité à ce cher monsieur de perdre son temps en rencontrant une créature telle que toi.
J'ignore ces insultes auxquelles je suis habitué avec tout de même une grimace vexée :
- Je ne le répèterai pas. Que me voulait-il ? Assené-je.
- Je te suggère de baisser d'un ton ! Et cesse de t'accorder autant d'importance, personne ne se soucie de toi !
Je bouillonne de rage devant ce mépris et serre tant mes couverts dans mon poing que mes phalanges blanchissent.
- Pour la dernière fois, j'exige une réponse, répété-je, la voix tremblante de fureur.
Un couteau se plante bruyamment dans le bois de la table, à quelques centimètres de ma main.
- Et je n'ai aucunement l'obligation de te la donner ! Hurle le père de famille, excédé. Tant que tu vis sous ce toit, c'est avec mes règles ! »
Avant de faire quelque chose que je regrette, je me lève si brusquement que ma chaise tombe à la renverse dans un fracas assourdissant, et quitte la salle avec empressement, en tentant d'ignorer les vertiges et la faiblesse de mes jambes. Ce refus me met hors de moi ! Je suis en droit de réclamer des informations me concernant. Je me dirige sans réfléchir vers la salle d'entraînement, rase les murs, courbe la nuque pour éviter le plafond de pierre et pousse la lourde porte de métal dans un grincement strident. À ma gauche, je saisis dans la foulée l'arc noir et les flèches suspendues au mur puis m'approche des cibles au fond de la salle. Je tente de canaliser toute mon attention sur le cercle rouge, au centre, malgré les protestations de mon corps qui n'est toujours pas prêt à coopérer. A une dizaine de mètre, ma vue se précise, le vacarme de ma tête s'estompe. La corde se tend, la flèche siffle et frappe en vibrant le bord de la cible. Je soupire, et enchaîne les suivantes, jusqu'à ce qu'elles percent toutes le centre sans exception. Je répète le mouvement, jusqu'à la perfection. Au bout d'une heure environ, la porte grince à nouveau dans mon dos, puis les pas légers d'Estelle me rejoignent. Je ne me retourne pas, ne sachant pas si je suis capable d'avoir une conversation dans l'immédiat. Sa main se pose pourtant sur mon épaule et me force à la regarder dans les yeux.
« C'était un homme de l'ordre, ce matin. Je pense que ça a un rapport avec l'attaque de l'autre soir. Peut-être qu'on pourra en savoir un peu plus avec un flukophone, non ? Me dit-elle avec un sourire timide »
Dans ma colère, je n'y avais même pas pensé. Cet instrument rouillé est un entortillement de tuyaux de cuivre qui se termine par un bout en s'élargissant, et par l'autre en rétrécissant, pour être facilement placé contre l'oreille, afin d'entendre les cliquetis irréguliers du flux d'informations de l'ordre des traqueurs. Cette série de son n'a aucun mal à être traduit de la même manière que le morse, puisque nous y avons été entraînés depuis plus de 10 ans. Quelque part, dans le lieu secret qui abrite la population des frères de lumière et de ténèbres, des dizaines d'hommes et de femmes sont chargés de tapoter sur le sol ces sons à la fréquence bien particulière qui traverse les pavés de Paris, et s'entendent avec un flukophone dans toute la ville.
« La clef du coffre est dans la chambre de tes parents, et je n'ai aucune idée d'où il se trouve, soupiré-je.
- Chaque chose en son temps. Trouvons la clef, déjà... Je vais faire diversion. Toi, tu file à l'étage et tu la récupères, elle se trouve dans le dernier tiroir de la coiffeuse de ma mère, déclare-t-elle à voix basse. »
Je hoche la tête, puis on échange un regard complice.Ça faisait longtemps que l'on n'avait pas mené une opération « capitainecrabe et coq en chef » comme on les appelait, petit.

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The Dark Side
Paranormal"Je plonge mon regard dans le sien, d'un bleu si clair, si pur. Si Lumineux. Elle est mon contraire, mon opposé, mais à cette instant je réalise... qu'elle m'est essentielle" La Quête de Liam Kates débute le jour où voulant sauver sa sœur, il révèle...