Chapitre 3.1

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Ce matin, comme tous les dimanches, nous prenons le petit déjeuner en famille. Le silence est, si c'est possible, encore un peu plus tendu qu'hier. Mes symptômes semblent s'empirer, ma tête tourne et mes mains tremblent sans cesse, au point que lorsque je tente d'attraper ma tasse de café, la moitié se déverse sur la table. Mon regard se fixe sur les petites gouttes qui s'étendent lentement et tâchent la jolie nappe blanche. Je sens le regard réprobateur de M. Heston, mais me rend compte qu'il m'est impossible de relever la tête vers lui. Le café sur la table rougit, pour prendre la consistance chaude et épaisse du sang. Un violent frisson me traverse à cette vue hypnotisante. 

Soudain, je ressens une douleur vive, comme si un poignard me transperçait le dos, et je me cambre tandis que ma boîte crânienne se contracte à l'extrême. Je me tends de tout mon être, mes membres deviennent d'une froideur inquiétante : dans le reflet de la grande glace en face de moi, je vois mes lèvres se teinter de violet, et mes yeux déjà noirs s'assombrir un peu plus. La voix pleine d'horreur de Mme Heston et les cris de son mari me parviennent de loin, étouffés par le bourdonnement croissant de mes oreilles. Tout tourne autour de moi, des flashs m'éblouissent et me brûlent la rétine, sans que je ne puisse esquisser le moindre mouvement pour stopper cette torture. Puis, la salle s'efface autour de moi pour laisser place à un immense hangar. 

Allongé sur le sol, je perçois la salle faiblement éclairée par les lumières de néons clignotants. Un mouvement brusque me fait sursauter, mais quand je scrute la pénombre, rien ne semble avoir bougé. Maladroitement, je me redresse, ignorant la douleur qui tiraille mes muscles : est-ce un rêve, un cauchemar, une hallucination ? Je tente de ne pas me laisser décontenancer et cherche à tâtons le couteau que je garde dans une poche interne de mon pantalon. Ma main ne rencontre que le vide, et je me tends un peu plus à mesure que je réalise que cette de scène n'a aucun sens et ne peut qu'être le fruit d'une manipulation de mon esprit. Je sais à quel point les entités ténébreuses peuvent emprisonner notre conscience, à défaut de pouvoir nous blesser physiquement si notre peau ne touche aucun mur. Plusieurs cas de traqueurs devenus complètement fous ont déjà été recensés. À nouveau, un mouvement furtif attire mon attention: des ombres tournoient dans la salle, toute puissantes dans ces ténèbres. Au milieu de ce cercle infernal, je cherche désespérément du regard une solution qui, je le sais, ne viendra pas.

« Liam ?! » m'appelle une voix dans le noir.

Un frisson d'horreur me traverse quand je reconnais la voix d'Estelle, si douce et innocente :

« - Estelle, ne reste pas là ! 

Seul le silence répond à l'écho déformé, presque diabolique, de ma voix. 

- Estelle ! Répond-moi, t'es où ? »

Le contact d'un métal froid sur mes poignets me surprend. J'étouffe un cri de surprise quand j'aperçois une lourde chaîne, sortie de nul part, qui les lie ensemble à présent. Mon cœur se déchaîne dans ma poitrine, je me débats, hystérique, refusant d'être servi en pâture aux ombres.

 Mon propre esprit s'acharne contre moi, révélant mes peurs les plus enfouies. Dans la pénombre apparait le visage de M.Heston, les sourcils froncés et ses petits yeux étincelant d'une lueur de cruauté. Je tente de fermer les yeux pour me soustraire a cette vision mais à travers mes paupière, son visage est remplacé par celui de mon père, en sang, le regard complétement noir, comme habité par une ombre. La panique me gagne, toute pensée rationnelle m'échappe, j'oublie que tout cela n'est qu'une hallucination. Mon cœur s'emballe de plus belle sans que je ne puisse plus rien faire pour le contrôler.  Mes cris de rage, de douleur et de frustration résonnent dans la salle, à mesure que je sens la froideur des âmes prisonnières autour de moi s'approcher dangereusement. Elle s'insinue sournoisement dans tout mon être, et se fraie un chemin jusqu'à mon âme, en gelant tous mes organes au passage. Ce vent glacial alourdit mes membres et engourdit mes sens, jusqu'à que je chute sur le sol, paralysé, finalement résolu à mourir dans l'incompréhension la plus totale. Je ferme les yeux pour ne pas assister à ma propre fin, et me prépare à la douleur, j'abandonne la peur pour une froide résignation. Mais rien ne vient. 

The Dark SideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant