The Dark Side

Chapitre 5.1

Toutes les bougies s'éteignent, ne laissant pour seule source de lumière que la grande cheminée, et plongeant la salle dans une atmosphère inquiétante et vacillante. Je songe soudain à mon père, qui, il y a plusieurs années, a dû vivre la même cérémonie. Je devrais être fier d'enfin prendre le relais pour avoir l'opportunité d'un jour me montrer à sa hauteur. Pourtant, à cause de la manière dont j'ai été conduit de force jusqu'ici, je ne peux m'empêcher d'être méfiant vis-à-vis de cet institut.

Le premier nom est prononcé haut et fort :

« Elliott Rossi. Tu te destines à la lourde tâche de traqueur d'ombre, tu y dédis ta vie, ton âme, ton cœur.

C'est un jeune homme tout maigre, mais qui garde la tête haute. Il presse le creux de sa main contre la lame et son sang disparait dans l'un des tubes alambiqués. Dans un bruit assourdissant, le luminographe se met à vibrer. Toute la salle retient son souffle. Une aiguille s'affole sur le cadran, mais finit par se stopper un peu avant la moitié.

- Frère des ténèbres, 41 nebrae . Félicitation Eliott ! Pour t'accompagner dans cette quête d'équilibre, il te faut à présent un partenaire.

La machine continue de vibrer, à tel point que je me demande si elle ne va pas exploser, puis le marteau imprime sur un bout de vieux papier un nom en italique. La directrice reprend une grande inspiration puis déclame :

- Leïla Lemoine. Sœur de Lumière, 59 nebrae, Félicitation !

- Léonie Richard. »

La jeune fille, rousse et à la carrure large, dépose son sang. Le luminographe détermine la part de Lumière sur une échelle de 1 à 100 nebrae. Les paires qui sont alors formées doivent être parfaitement complémentaires. Tout le monde attend le bruit significatif de la machine en marche mais seul le silence angoissé nous répond. Sans même lui adresser un regard, la directrice prononce le nom suivant.

La cérémonie se poursuit, répétant toujours le même discours. Plus mon tour approche, plus je me tends. J'ai peur à chaque seconde que le nom d'Estelle soit appelé avant le mien. Elle est juste derrière moi dans la queue, mais m'ignore toujours royalement. Ce silence et la pointe de crainte dans ses yeux me plantent un poignard dans la poitrine chaque fois que je croise son regard.

Les minutes me semblent des heures avant que la directrice ne prononce enfin :

« Liam Kales.

Mon cœur se met à battre la chamade. Je réalise à peine que je passe la première épreuve pour devenir traqueur d'ombre alors qu'il y a quelques heures, je me trouvais dans la rue, songeant à mon avenir plus qu'incertain. Pourtant, être appelé pour être un traqueur d'ombre est un honneur, et ne peut être refusé.

Je m'avance lentement, la tête basse, et presse ma paume moite contre la lame. La douleur n'atteint même pas mon cerveau. Le silence me terrifie. Devenir un traqueur d'ombre a finalement toujours été l'unique but de ma vie, bien que je n'y ai que très peu cru. Venger mon père. Seulement je ne pensais pas que cela arriverait de cette manière. 

Soudain, le mécanisme se met en marche et je ne peux retenir un soupir de soulagement. Qui sait ce que l'ordre aurait fait de moi si je m'étais avéré inapte à combattre les ombres. L'aiguille s'excite, vacille, ne se décide pas. Elle se bloque finalement à l'extrémité droite. Je la fixe, ahurit. Elle ne peut pas s'arrêter là, ce n'est pas possible. La directrice s'avance, d'une pâleur inquiétante. Elle se penche par-dessus mon épaule pour détailler le cadran, et fini par annoncer d'une voix blanche :

- Frère des ténèbres, 1 nebrae.

Non, ce doit être une erreur. Je ne peux pas abriter autant de ténèbres. Je suis presque une ombre. Je ne remarque même pas les murmures étonnés qui se sont élevés dans la salle. La directrice en oublie de me féliciter, le luminographe reprend son travail. Je prends une grande inspiration lorsque la dirigeante saisit le papier et tente en vain de me ressaisir.