Chapitre 3.2

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Estelle et moi faisons la course. Le premier aura le droit à la part supplémentaire de gâteau au chocolat pour le goûter. Je n'y ai jamais le droit, alors je cours le plus vite possible, je n'entends plus rien à part les battements de mon cœur. Quelques branches écorchent mes pieds nus, mais j'ignore la douleur. J'accélère encore, et atteint la balançoire le premier. Estelle arrive juste après, riant aux éclats, ses petits pieds nus dans l'herbe bien verte fraîchement coupée. Nous reprenons notre souffle, un grand sourire aux lèvres, puis on se balance un long moment, partageant les histoires qu'on a entendues hier à l'école. La brise fraîche caresse notre visage, on ne voit pas le temps passer. Lorsque le clocher sonne quatre heures, je viens réclamer ma récompense en bombant le torse. Dans la cuisine, le trophée trône, alléchant. Je porte la pâtisserie à la bouche, savourant ce plaisir si rare, quand M. Heston entre dans la cuisine, furieux.

« Liam ! Qu'est ce que tu crois être entrain de faire, je peux savoir ?! Regarde moi dans les yeux ! Depuis quand tu te permets de voler la nourriture de ma fille ? Tu n'es qu'un domestique Kales, tu entends ? Tu ne mérite pas ce genre de privilège et il serait temps que tu le comprenne » crache-t-il.

D'un mouvement brusque il me fait lâcher la part de gâteau, me faisant trébucher au passage. Ma tête tape violemment contre le carrelage et une vive douleur se loge dans mon crâne. Sa main vient gifler ma joue, il me lance un regard noir et en partant, il fait volontairement tomber le verre posé sur la table. Des milliers de minuscules bouts tranchants viennent s'enfoncer dans ma peau. Je brûle, je bouillonne, j'ai envie d'hurler. C'est tellement injuste. Mais je serre les dents, très fort, et ferme les yeux. Les hommes ne pleurent pas, m'a dit Monsieur Heston. Je ne suis pas faible. Je ne suis pas faible.

Je me réveille en sursaut, plongé dans le noir. L'humidité a trempé mon T-shirt, me faisant trembler de froid. Je prends vaguement conscience d'être assis sur une chaise, une corde solide liant mes poignets derrière mon dos. Instantanément, mes hallucinations me reviennent à l'esprit et je me demande si, cette fois-ci, je mourrai absorbé par les ombres. Pourtant la pièce est petite et ressemble davantage à une cage. Au travers des barreaux se distinguent d'autres cellules comme la mienne, aux occupants bien moins humains, diffus, d'une noirceur ténébreuse. Je tire brutalement sur mes liens pour m'en extirper, mais la corde ne fait que s'enfoncer plus profondément dans ma chair. Mes yeux scannent les alentours à la recherche de quelque chose de tranchant, je ne dispose que du couteau dans mon pantalon, auquel je ne peux accéder malgré mes contorsions. 

Soudain, un bruit de métal me fait sursauter. Des pas approchent, fermes et déterminés. Ils résonnent avant de s'estomper dans l'air dont l'épaisseur anormale m'empêche de bien respirer. La porte de la cellule s'ouvre en grand, laissant passer un homme grand et mince, à la mine grave, et deux jeunes, armés jusqu'aux dents. Mes muscles se tendent et mes poings se ferment, prêt à me défendre malgré ma position de faiblesse.

« Bonjour Liam, commence l'homme. J'espère que tu voudras bien m'excuser, ce n'est pas dans mon habitude d'accueillir mes futurs élèves de cette manière, mais tu m'accorderas que le jeune homme que j'ai en face de moi peut difficilement être qualifié d'habituel. »

Un fin sourire ironique étire ses lèvres, il commence à tourner lentement en rond autour de ma chaise, et reprend d'une voix calme:

« Ton habileté au combat, ton courage et ta dévotion pour ta famille sont à prendre en compte, bien sûr, mais ce dont je veux parler, c'est qu'à deux reprises, à deux reprises, une activité ténébreuse plus qu'intense a déréglé tous nos appareils, provoquant une panique sans nom dans l'Ordre. Par conséquent, 3 victimes humaines de plus à ajouter au bilan de cette semaine. 2 fois en quelques jours, Liam. 3 morts. Le conseil national de l'ordre s'est réuni hier, décidant s'il fallait tout simplement abattre le responsable, ou bien essayer de comprendre. Evidemment, et contre mon avis personnel, la curiosité a pris le dessus sur la sécurité, et nous voilà réunis aujourd'hui-

The Dark SideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant