Chapitre 4 ~ Ambre

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La main glacée de ma mère serre mon épaule frêle avec tant de force que j'ai du mal faire abstraction de la douleur pour regarder où je vais. Je suffoque depuis que l'atmosphère effervescente de la pièce m'a frappée de plein fouet. Je vacille et manque de trébucher à chaque coup de coude que je reçois : l'entrée pourtant immense de l'Institut des Ténèbres et de la Lumière grouille de monde. Les prénoms fusent de partout, on appelle, on s'affole, on interpelle. Je sens une main s'accrocher à mon poignet, que je tire vers moi, comme brulée. Un visage mûr surgit devant moi, bien trop proche du mien.

« Vous n'auriez pas vu ma fille ? Eleanor, une brune, les yeux verts ? Non ? »

Le père repart avant même que j'ai pu formuler une réponse. Je reste quelques instant immobile, perplexe, mais le sifflement agacé de ma mère me rappelle à l'ordre et je reprends ma difficile avancée. Quelqu'un me bouscule, je me retourne brusquement, déséquilibrée.

« Pardon, mais ne restez pas en plein milieu ! » s'exclame le responsable.

« Excusez-moi ! Vous n'auriez pas vu ma valise ? Elle est noire et rouge ! »

Je secoue la tête, exaspérée, et me fait toute petite pour essayer de me frayer un passage dans la foule.

« Ambre, relève le menton, on ne marche pas en regardant ses pieds », claque la voix de ma mère. Je n'ose rien répondre et m'exécute.

D'énormes torches flamboyantes éclairent le hall, et deux somptueux escaliers symétriques sont présents à l'entrée, accompagnés d'étranges statues de pierre ressemblant à des gargouilles munies de cornes de diable. La lumière vacille, le bruit qui résonne est insoutenable.

Soudain, une énorme cloche sonne 3 coups qui retentissent lourdement dans le hall, tout le monde se tait. Ce brusque silence parait surnaturel, presque assourdissant. Les murmures reprennent progressivement, puis les parents se précipitent vers leurs enfants, les enlacent comme si c'était la dernière fois. La pièce devient le spectacle déchirant des séparations familiales. Il y a des crises de larme, de la panique, des sourires tristes et des mains qui s'agitent. 

J'assiste à ces effusions de sentiments avec un pincement au cœur. Je me retourne vers ma mère, et lève le regard vers elle, attendant qu'elle fasse le premier pas. Nous n'avons jamais eu une relation très affective toutes les deux, mais derrière son masque de froideur, je distingue son inquiétude et sa tristesse de me quitter ici. Elle me serre brièvement la main et murmure en me regardant dans les yeux :

« Ne nous déçoit pas, Ambre. »

Elle tourne ensuite les talons, et j'observe sa silhouette mince disparaitre dans la foule, une boule dans la gorge.

D'un mouvement de tête je me tire de cette contemplation douloureuse. Deux coups résonnent à nouveau, semblant faire trembler toute la bâtisse. La pièce se vide progressivement et les jeunes se dirigent vers une imposante porte en arche, aussi haute que le plafond, lourde et spectaculaire. Je suis le mouvement, jusqu'à parvenir dans l'immense salle de réception, éblouie. Celle-ci est éclairée par de gigantesques lustres aux milliers de bougies. D'innombrables tables rondes en bois massif sont disposées dans la pièce. Au centre, se trouve ce qui semble être la table de professeurs, percée au milieu par un feu de plusieurs mètres de haut s'agitant furieusement entre les vitres cylindriques qui s'élèvent jusqu'au plafond. 

Tout le monde prend progressivement place autour des tables sur lesquelles règne déjà un repas somptueux. Je lance un regard circulaire sur ce spectacle impressionnant, ne sachant que faire de mon corps. A force de rester immobile à contempler les autres s'installer, je me fais soudainement bousculer et je tombe brusquement en avant. Mes genoux et mes poignets heurtent maladroitement le sol, je tente de me relever comme je le peux malgré la douleur de ma peau malmenée. Je finis donc par tirer la chaise la plus proche et m'y assois en ignorant volontairement la personne assise à cette table. La salle se remplit peu à peu, parcourue de conversations animées et de rencontres. La cloche sonne un dernier coup, le silence s'installe dans la pièce, et la directrice se lève, la tête haute et le regard sévère. 

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