⌜𝕕𝕖𝕦𝕩⌟

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Bonne lecture !

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Jean prend rapidement ses marques, et comprend que personne ne va à la laverie un dimanche matin à 8H. Il les comprend, et normalement il aurait fait la même, mais pouvoir laver ses vêtements dans le calme (et profiter d'un peu de silence à l'odeur de lessive) et traîner sur son téléphone en paix, ça n'a pas de prix.

Son sommeil s'en remettra. Et il peut toujours faire la sieste, quand tous les abrutis de l'étage se décident à descendre dans le parc du lycée pour jouer au foot.

Donc, c'est au bout de la troisième semaine sans croiser personne que Jean peut présenter l'affirmation : la laverie à 8H un dimanche, c'est plus ou moins le bon plan. Descendre en pyjama, les cheveux encore aplatis d'un côté, ses fidèles mules un peu moches aux pieds.

Cette fois, il prend son temps pour avancer jusqu'à la machine numéro trois. Ce n'est pas une très grande pièce, allant avec le reste de l'internat un peu décrépi : des radiateurs sans doute trop vieux, des machines usées qui ont autrefois été blanches, une odeur chaude dans l'air avec des accents de fraîcheur et de propre. Tout est un peu humide, aussi, et avec les sèches linges et l'électricité statique, Jean ne manque jamais de se prendre un coup de jus en se laissant tomber au bout du banc.

Mettre ses affaires dans le tambour, lancer la petite capsule à l'intérieur, et régler le tout avant d'appuyer sur démarrer. Même avec les yeux encore fatigués et emmitouflé dans sa veste épaisse du matin, Jean peut faire ça sans problème.

Il ignore, comme d'habitude, son ventre grognant qui commence à se réveiller, et sort son téléphone pour enfiler ses écouteurs et lancer un épisode de la série qu'il regarde en ce moment. Parfois, il plaint sincèrement ceux qui n'ont pas un abonnement téléphonique correct, car passer quelques mois sans internet lui paraît être une punition assez affreuse. Bon, à présent, il est devenu suffisamment proche d'Armin pour que ce dernier lui donne tranquillement le code de la clé 4G qu'il planque dans son placard, et qu'il a honteusement hacké pour qu'elle ne lui coûte rien du tout.

Toute la chambre en profite. Jean est bien content de pouvoir télécharger quelques épisodes en venant discuter un peu le soir.

Un bâillement étouffé s'échappe de sa bouche. Au même moment, la porte de la laverie s'ouvre et son regard se pose sur la figure d'Eren Jaeger. La seule fenêtre, en hauteur et au bout de la pièce, illumine le soul-sol d'une couleur oranger qui n'agresse pas trop les yeux.

Il voit Eren plisser les paupières. La porte se referme dans son dos. Jean se tend, prêt à une nouvelle confrontation, et son pouce peine à trouver le bon endroit sur son écran pour mettre son épisode en pause : quand il y parvient, seul le son du tambour de la machine en face de lui se fait entendre.

Eren s'est déjà avancé dans la pièce, sans dire un mot.

Son panier, celui qu'il tient à bout de bras, est affreusement rempli et Jean trouve ça presque étrange : rares sont ceux qui rentrent chez eux les week-ends. La plupart des garçons et des filles du lycée viennent de loin, et Jean sait qu'ils sont catégorisés en tant « qu'enfant à problèmes ».

Son propre père lui a dit de se mettre un peu de plomb dans la tête, et sa mère lui a dit au revoir : le message est passé on ne peut plus clairement, et Jean s'est fait à l'idée de ne pas rentrer avant les prochaines vacances. Ce qui lui va bien, finalement. Autant rester ici, plutôt que de bouder dans sa chambre et se sentir un peu coupable de ne pas aider sa mère à faire la vaisselle.

Jean observe Eren, du coup de l'œil.

Ce silence le surprend, car maintenant il sait qu'Eren Jaeger n'est pratiquement jamais silencieux : il crée des bagarres à chaque coin de couloir, et les seules personnes avec qui il semble s'entendre sont le petit groupe présent dans la chambre (et encore, Jean le voit souvent échanger des regards pleins de colère avec Reiner). Eren est le roi de la provocation, ça aussi il s'en est rendu compte. Un mot, un ton particulièrement désagréable, et n'importe qui semble prêt à lui foutre son poing dans la tronche.

Quelqu'un semble l'avoir fait récemment, d'ailleurs, car le coin de la lèvre d'Eren est coupé, et un peu violacé. C'est discret, mais c'est là. Comme ses cernes, aussi, et son panier de linge rempli à ras bord alors même qu'il est parti le vendredi pour soi-disant rentrer chez ses parents (des informations venant d'Armin, que Jean n'a absolument pas demandé mais apparemment son regard traînait trop du côté du lit vide, dans la chambre).

Jean attend. Un petit moment quand même : le bruit des machines, son propre cœur, le fourmillement dans son ventre plein d'attente, mais finalement rien ne vient et Eren reste silencieux. Il finit par s'asseoir par terre, contre un sèche-linge éteint. Il rabat la capuche de son sweat-shirt sur sa tête, et Jean croit rêver quand il le voit dodeliner de la tête.

Trois minutes plus tard, Eren s'est endormi dans la laverie.

Jean remet ses écouteurs, et relance son épisode, sans pouvoir se retenir de jeter de temps à autre un coup d'œil au garçon étrangement silencieux, et à sa mine un peu éteinte.

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Des bisous !

Quitte à guider mes pas || EreJeanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant