Je découvre avec stupéfaction un cahier de brouillon marqué au feutre noir « journal de M., 15 ans, année 2005 ». Ce ne peut être une coïncidence. Je dévore les pages, mieux écrites que les miennes, ayant l'impression de lire ma propre histoire.
« 25 février 2005
Le psy dit que je suis dépressif. Ma mère ne s'en remet pas. Mon père ne comprend pas. Moi-même, j'ignore ce qui m'aspire dans les méandres de ce désespoir. Je n'ai plus goût à rien. La nourriture ne me sert qu'à alimenter ce gouffre que je ne peux plus remplir. La compagnie de mes congénères m'exaspère. La lumière me heurte si violemment qu'elle est devenue mon ennemie mortelle. Mes nuits agitées précèdent mes journées mornes et vident mon être de son reste d'énergie. »À mesure que le temps passe, les phrases rapetissent, les entrées sont de plus en plus espacées, à l'instar de mon propre journal.
« 10 mars 2005
Je suis épuisé d'avance par cette activité d'écriture, qui autrefois me procurait un plaisir immense. Chaque jour qui se lève est une corvée, chaque nuit qui tombe me happe un peu plus dans ma solitude funeste.22 mars 2005
Hier encore, mon sourire charmeur avait conquis ton cœur, ma belle Éloise. Ma froideur nouvelle te fait fuir et je n'en éprouve aucun ressentiment, presque du soulagement.15 avril 2005
Déprime. Morosité. Fatigue. Que dire de plus ?3 juin 2005
Les jours sont longs, le soleil tape, je... »Je fixe le petit papier cartonné qui accompagne ce carnet perturbant. Aucun nom, aucune adresse, aucune explication, juste un numéro de téléphone. Je commence à saisir les premiers chiffres sur mon clavier, mon cœur s'accélérant à chaque nouvelle entrée. La remontée acide m'empêche de continuer. Je déverse mes craintes dans ma corbeille à papier, sous forme de bile odorante et douloureuse. Pour l'heure, je profite de l'inspiration naissant en moi. Les mots s'enchaînent sur mon écran tel un train à grande vitesse. J'effectue des recherches pour mieux aborder ce qui me poussait à penser que j'étais un vampire.
***
— Ça pue le fauve ici ! s'écrie ma mère en ouvrant la fenêtre.
Depuis deux jours, une frénésie démentielle s'est emparée de moi. Mes yeux restent rivés sur ma prose, tandis que mes doigts se déchaînent. Je ne fais de pauses que pour mes besoins primaires et relire le journal mystérieux. J'écris, j'efface, je réécris, je corrige.
— Juste quelques secondes, maman, dis-je en levant mon index en l'air.
Ma main pianote, déversant mon génie tel le grand final d'une partition. Les dernières notes avant de l'atteindre, ce doux nirvana. Encore une. Voilà ! « Fin » marquée au Times New Roman. Soulagement. Je m'effondre en arrière, vidé.
***
Un mois s'est écoulé depuis que j'ai envoyé mon œuvre. Je dois me nourrir. J'utilise le peu d'énergie qu'il me reste pour élaborer un plan. Je commence par me laver. Puis, je descends diner avec mes parents. Je leur présente mes excuses pour être resté ainsi enfermé. Je leur annonce la grande nouvelle : mon tapuscrit est achevé. Ravie, ma mère me félicite de ce dur labeur. Mon père marmonne une insulte, que je préfère ignorer. Je leur confie vouloir me coucher tôt, car je dois vois mon éditeur demain matin. Nous nous souhaitons une bonne nuit. Assuré qu'ils ne viendront pas dans ma chambre, j'enfile ma tenue de chasse. Sur la pointe des pieds, je me faufile dans le couloir.
— Basti ? Mais que fais-tu ?
Bravo, je ne me félicite pas ! N'importe quel adolescent est capable de faire le mur. Moi, je n'ai même pas franchi l'escalier. Vite, une idée. Une excuse. N'importe quoi.

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Anormal
HorrorTW : sexe ; meurtres ; viols ; scènes violentes, choquantes et dérangeantes - public adulte uniquement *** Comment s'intégrer dans cette société qui rejette ceux qu'elle considère comme anormal ? Je n'en ai aucune idée. Je préfère rester dans l'omb...