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Je déchiffre à peine les paroles de bienvenue du commandant de bord. En reconstituant les mots que j'ai compris, et la logique des faits, nous venons de nous poser dans un aéroport de New York.

Les deux dernières semaines sont comme un soir de beuverie : je peux raconter les grandes lignes, mais tout le contexte est flou. Mon éditeur a pu magouiller avec les connaissances de Natascha pour m'obtenir un passeport, un visa de travail et un billet d'avion en business class. Ma mère n'en revenait pas, elle qui connait parfaitement les délais de l'administration française. Comme quoi, le piston ça fonctionne toujours. Qu'elle était fière de son fils ! Même mon père m'a félicité, encore !

Il me manque tous les codes pour évoluer dans ce monde. Quand tu n'es personne, chaque bizarrerie dont tu fais preuve te propulse au rang de « malade mental », « mauviette », « tafiole » et j'en passe. Tu n'es même pas bon à retourner des grillades dans une chaîne de restaurants bas de gamme. Quand tu connais les bonnes personnes, tu deviens un « artiste excentrique », un être adulé pour sa singularité. Je pourrais débarquer en tutu rose, maintenant que je suis un auteur reconnu, je signerais le lancement d'une nouvelle mode.

Vraiment, je ne comprends rien au fonctionnement de cette société, bien plus étrange que moi. Je déambule dans le flot de voyageurs, ils me mèneront au point de récupération des bagages. Je ne suis peut-être pas le plus futé quand il s'agit de m'intégrer, mais je sais me fondre dans la masse lorsqu'elle est devenue une éclaireuse.

J'observe les multitudes de valises et sacs défiler sur le tapis noir, tout en repérant où se dirigent ceux qui semblent connaitre les lieux. Une main tapote mon épaule. Paniqué, je pousse un cri aigu. Tous les yeux sont rivés sur moi. Terminé de jouer les moutons, je suis catalogué. Le tutu rose serait de bon ton finalement.

Natascha est venue, comme convenu, me chercher. Elle ne cesse de caqueter durant tout le trajet. Je suis troublé par sa façon d'être. Elle joue les guides touristiques, posant de temps à autre sa main sur la mienne. Elle s'approche de moi, caressant mon épaule, effleurant ma cuisse, comme si elle attendait que je l'embrasse. Puis, elle interrompt la connexion qu'elle a elle-même établie. Elle se plaque contre la portière à l'opposé de moi, en scrutant l'écran de son téléphone qu'elle dissimule, un sourire jusqu'aux oreilles. Quel drôle de manège !

L'image de sa chambre rose dans la maison de sa grand-mère est ancrée dans ma mémoire. J'appréhende l'instant où elle va ouvrir la porte de l'appartement. Elle tourne les clés dans les verrous, sous mes yeux interrogateurs.

— C'est un quartier assez sûr ici, mais mon voisin est un sale pervers.

Si elle savait qui elle invite à résider chez elle. Pas le temps d'analyser cette pensée, je suis époustouflé par le logement. Un style épuré, moderne, spacieux, noir et blanc. Très classe. Absolument pas chaleureux, stérile même. De grands volumes vides, éclairés par les immenses baies vitrées. Je m'y sens déjà mal à l'aise. Parfait. Aucun risque que je m'attache à cet endroit ou à sa propriétaire.

Douche, installation — valise jetée au fond du placard – fermeture des volets dans le bureau/chambre d'amis où je vais squatter, la nuit tombe déjà. Alors que je passe mon caleçon, Natascha entre d'un coup dans la pièce. Elle rougit, puis détourne rapidement le regard. Incompréhensible cette fille. À notre dernière rencontre, sa bouche s'est fourrée dans mon pantalon plus rapidement que du chocolat dans celle d'une obèse, là elle me joue les mijaurées parce que je suis torse nu.

— Désolée, j'ai l'habitude de vivre seule. J'aurais dû frapper.

J'attrape ses hanches pour la plaquer contre moi. Je murmure tout près de son oreille, laissant ma main descendre le long de sa cuisse :

AnormalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant