Épilogue

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En cet après-midi tardif de mars, le soleil se voilait déjà dans les nuages de l'horizon.

Deux cavaliers filaient sur le chemin de terre. Un était vigoureux, majestueux et vêtu d'une riche cape, tandis que l'autre était plus petit mais tout aussi vif, vêtu d'un ensemble bleu, blanc et brun.

J'éperonnai Grimm et me couchai sur son dos lorsque nous arrivâmes dans la dernière ligne droite qui menait à l'étang de Comolo, et je parvins in extremis à dépasser à toute vitesse Epona. Mon destrier se cabra en arrivant au rivage et je sautai à terre en levant les bras en l'air en signe de victoire tandis que mon père me rejoignait. 

"J'ai gagné !!! Qu'est-ce que je disais ? C'est une question de talent ! lançai-je à mon adversaire en provocation en menant par la bribe mon cheval vers l'eau pour boire.

- Je m'incline pour cette fois," reconnut mon père en hochant les épaules, un sourire aux lèvres tandis qu'il entraînait lui aussi sa jument vers le lac avant de s'asseoir à mes côtés sur la rive.

En voyant l'Epée purificatrice posée à mes côtés, resplendissante dans son fourreau, mon géniteur me demanda en tendant la main :

"Puis-je ?"

Suivant son regard et comprenant son intention, je lui passai alors avec précaution l'arme. Il la dégaina avec habileté et l'observa longuement sous les rayons déclinants du soleil, effectuant de temps à autres quelques mouvements simples en souriant de nostalgie.

"Lorsque tu m'as donné cette épée camouflée avant mon départ pour la région Gerudo, tu savais qu'il s'agissait de la Lame Purificatrice."

À l'entente de ces mots, je vis mon père émettre un léger sourire en coin pour lui même.

"Pourquoi ? demandai-je finalement, la question me brûlant aux lèvres. Comment savais-tu que j'étais le Héros et que je pourrais manier cette arme ?

- J'ai eu une prémonition, le jour de tes 17 ans, m'expliqua alors mon géniteur sans quitter l'objet mythique des yeux. Un rêve étrange qui te visait comme ma successeure. Il disait qu'un nouveau danger invisible et imprévu planait sur le royaume, et qu'il était temps de désigner un autre élu avec une pureté et une vigueur nouvelle. Et alors je t'ai vu, la Lame Purificatrice à la main pourfendant le Mal.

- Alors que tu es toujours en vie et capable de te battre ? soulevai-je, perplexe.

- Je ne suis plus un chevalier Raphaëlle, raisonna mon père en se tournant vers moi, un sourire néanmoins triste aux lèvres. Et je commence à vieillir. L'Épée de Légende ne prend pour maître qu'une personne jeune, atteignant tout juste l'âge de la sagesse et possédant encore innocence et ardeur. Et elle semble t'avoir reconnu ces qualités, tout comme je les ai vues en toi lorsque j'ai fais le choix de te transmettre cette arme sacrée, tout en la maquillant car il est important que la révélation ne doit se faire qu'au moment venu. Et la bénédiction d'Hylia s'est bel et bien manifestée alors que, face au Mal, tu as fais preuve de courage et de dévotion sans même connaître la véritable nature de la lame que tu brandissais. Et c'est cette pureté que les déesses ont salué en te désignant comme élue", conclut-il en me rendant l'épée avec solennité, une profonde fierté logée dans ses iris azur.  

Caressant précautionneusement la garde de l'objet, je repensai à ces sages paroles en m'efforçant de m'en imprégner pour en devenir un jour digne.

Un silence apaisé s'installa alors pendant de longues minutes entre nous tandis que nous écoutions les clapotis de l'eau à nos pieds, le vent dans le chêne à notre gauche et les oiseaux chanter dans le ciel.

"Tu sais Raphaëlle... reprit alors mon père d'une voix calme en fixant l'horizon, changeant de sujet. Contrairement à ce qu'on peut penser, c'est ta mère qui m'a sauvé, et non l'inverse.

- Ah oui ? m'étonnai-je, lui apportant toute mon attention suite à cette révélation inattendue.

- Oui, confirma mon interlocuteur en replongeant dans ses souvenirs. Avant de devenir proche d'elle, j'étais un garçon très renfermé, froid et prude. Nombreux étaient ceux qui me croyaient muets, c'est pour te dire. Mais quand je suis devenu le chevalier-servant de Zelda, même si on ne s'est pas tout de suite bien entendus, elle a donné un sens à ma vie. Je voulais pouvoir servir Hyrule et son roi, alors servir sa fille était pour moi un immense privilège ! Elle a finit par s'ouvrir à moi, et petit à petit, nous nous sommes rapprochés. Nous étions inséparables par le devoir, alors autant que nous soyons inséparables par les sentiments."

Mon géniteur changea de position, la tête inclinée sur le côté avec mélancolie tandis que les nuages rougeoyants défilaient dans le ciel. 

"Elle m'était d'un grand soutien tout comme je lui était d'un grand soutien également, poursuivit-il, le regard toujours dans le vague vers le lointain. Je restai très discret en apparence, mais je me sentais libéré d'une pression quand nous passions nos journées ensemble, à arpenter le royaume : elle me racontait tout ce qu'elle savait, me partageait ses peurs, ses joies, et même si j'écoutais avant tout, j'avais l'impression qu'elle savait tout de moi du fait que nous portions le même lourd fardeau. C'est ces sentiments qu'elle m'apportait qui m'a poussé à m'interposer entre elle et ce Gardien, le jour de la résurrection de Ganon. 100 ans inconscient et 10 mois de cavale pendant lesquels on me parlait d'une princesse que j'avais oublié comme l'objectif ultime de ma quête. Ça m'a obsédé, et j'ai finis par m'éprendre d'une femme que je ne connaissais que via le récit d'autrui. Et puis les souvenirs ont refait surface, et dès que j'ai compris ce que je faisais dans le sanctuaire de Résurrection, j'ai accouru sauver mon ancienne protégée."

Il marqua une pause. Il ne me regardait toujours pas, il fixait un point au loin. Moi je ne le quittai pas des yeux, hypnotisée par la beauté de son récit. Je me tus, attendant la suite. Il finit par reprendre une inspiration et poursuivre, toujours dans ses pensées :

"Quand je me battais contre le Fléau, c'était sa voix, angélique survenant de nul part, qui me guidait. Dès que je l'entendais prononcer mon nom pour m'encourager, une nouvelle énergie affluait en moi, et les blessures que m'avait infligé Ganon me devenaient indolores. Quand elle m'est apparue après le scellement de Ganon, j'étais réellement devenu muet. Quand elle m'a demandé si je la reconnaissais, je n'ai pu qu'acquiescer, mais je le regrettai aussitôt :  j'ai su que plus jamais je serais cet homme effacé et muet que j'ai été pendant 117 ans. Elle avait tant souffert, tant subi... plus jamais je ne lui infligerai un silence qui pouvait paraître désintéressé à ses yeux. Alors je suis devenu la personne que tous connaissent aujourd'hui. Mais je n'ai pas toujours été comme cela, loin de là. C'est pour cela que je dis que c'est ta mère qui m'a sauvé, Raphaëlle. Alors loin de moi l'histoire du chevalier sauvant la princesse. Car sans elle Raphaëlle, Hyrule ne serait aujourd'hui que cendre et ruine. Encore plus que si je n'avais pas été là. C'est elle l'Héroïne."

Je détournai mon regard pour regarder dans la même direction que mon père, méditant sur ses paroles.

"Tu vois ? Finalement c'est la princesse qui a sauvé son homme, et non l'inverse, conclut mon père sur un ton plus détendu. Tu viens peut-être d'en faire l'expérience, je me trompe ? Il semblerait que ce schéma soit devenu une tradition familiale, n'est-ce pas ? ajouta-t-il avec un sourire caustique.

- P-Père ! m'offusquai-je en rougissant, baissant la tête de gêne.

- Excuse-moi, me répondit mon géniteur après un léger fou rire. Je te laisserai tranquille sur cette histoire dorénavant, mais je pensais important de t'apprendre aujourd'hui que les apparences ne sont pas toujours ce qu'elles paraissent être, et que l'entraide doit être réciproque au même prix que les sentiments, Raphaëlle. Mais j'ai confiance en toi, car si tu n'as pas le cœur d'une reine..."

Link plongea son regard dans mes yeux assortis aux siens.

"Tu as celui d'un Héros."

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Aventures de Zelda Raphaëlle Hyrule : 1. Sauvetage chez les YigasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant