Chapitre 1

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La sueur coulant le long de sa colonne, Grimm s'assit brusquement dans son lit. Le souffle court, il se frotta nerveusement la poitrine alors que la douleur continuait à lui déchirer le dos.

Même plus d'un siècle après la chute d'Adriel, il faisait le même cauchemar, comme si son esprit refusait de tourner la page. Si perdre ses ailes avait été atrocement éprouvant, ce n'était clairement rien comparé au manque qu'il ressentait en permanence.

Voler lui manquait. Tirn'ânog lui manquait. Sa foutue vie lui manquait.

Les muscles frémissants sous les souvenirs, Grimm abandonna son lit, ses pas plus silencieux que la mort sur le parquet ancien de son appartement à Maer'tân. S'il avait été un ange mineur et non pas un guerrier d'élite, la déchéance l'aurait sûrement tué.

Après tout, au sol, un ange incapable de voler était un ange mort, d'autant plus que les démons les voyaient comme des trophées de guerre. Ramener le crâne d'un déchu était une ultime réussite dans ce monde, une prouesse que peu arrivaient à réaliser.

Quant aux profondes cicatrices au milieu de son dos, ç'avait été un véritable coup de poker. Par chance, il était tombé sur un tatoueur qui se foutait pas mal de son client tant qu'il alignait les billets.

Ç'avait pris trois jours pour couvrir son torse d'encre, surtout pour dissimuler les énormes vestiges de ses ailes entre ses omoplates, mais le résultat était plus que respectable. Même en y passant les doigts, ils étaient indiscernables.

Au moins, il se fondait dans la masse sans attirer l'attention ; les démons n'étaient pas si différents des anges. À l'exception des ailes, leurs corps se ressemblaient, presque identiques si on excluait les rainures qui recouvraient le crâne de ceux de son espèce.

Du moins, pour les mâles ; les cornes des femelles avaient tendance à être un peu plus évidentes. De toutes les formes et tailles, elles étaient bien plus difficiles à cacher ou à imiter.

Mécaniquement, Grimm lança la cafetière avant de rejoindre la salle de bain et sa douche immense. Cet appartement était génial, bien meilleur que la chambre de soldat à laquelle il avait eu droit toute sa vie.

Bien loin des histoires qu'on en racontait, le monde terrestre n'était pas si mal. En tout cas, Maer'tân était un épicentre plutôt agréable. Dans tous les cas, les arènes de combat payaient bien et il pouvait profiter de sa vie de déchu sans trop de problèmes. C'était le cas de celle à laquelle il était affiliée ; il lui suffisait de se pointer quand on le lui demandait et de gagner pour vivre comme un roi.

Si on excluait la solitude. Et le fait qu'il doive cacher ce qu'il était.

— Merde, gronda Grimm en avisant l'hématome laissé par ses doigts sur son biceps droit.

À chaque fois, chaque putain de fois qu'il cauchemardait, il agrippait son bras brisé et revoyait le regard mort de son archange. Les cris de ses frères qui tombaient sous les coups de l'ennemi lui emplissaient le crâne et il manquait de se réveiller en hurlant.

La chute de Tirn'ânog remontait à plus d'un siècle, cent longues années qu'il avait passées chez les démons, pourtant les souvenirs étaient toujours aussi vifs. Ce n'était pas comme s'il avait cherché à s'intégrer, après tout.

Incapable de se lier d'amitié avec qui que ce soit, habitué à une atroce solitude, le guerrier n'avait jamais cherché à remplacer les périodes douloureuses de son histoire. Elles le définissaient, étaient gravées dans son âme, et il le savait.

À l'exception de quelques grandes pontes de Maer'tân, Grimm avait gardé ses distances et protégé jalousement son secret. Personne ne pourrait le découvrir à moins de le scalper pour savoir si son crâne était rainuré ou non, mais on n'était jamais trop prudent.

[1] Grimm [PUBLIE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant