Prologue

97 17 5
                                    

Le temps s'arrête.

Mon corps comprend avant mon cerveau. Mon cœur pleure alors que mes joues restent obstinément sèches. Je tombe à genoux tandis qu'un liquide poisseux se répand jusqu'à moi. Du sang.

Beaucoup de sang. Trop de sang.

Allongée par terre, ses doigts se tendent vers moi. Les grands yeux bleus et rieurs, toujours emplis de malice, ont cédé la place à la terreur ; les ombres grignotent l'innocence à jamais perdue. Je saisis sa main dans la mienne, le regard rivé sur le sang séché qui macule son corps d'adolescente, alors qu'un flot incompréhensible jaillit d'entre ses lèvres. Ma respiration se coupe, j'ai la sensation que l'air ne pénètre plus mes poumons. C'est trop tard, je le sais. La rivière de sang forme une auréole autour de ses cheveux blonds comme les blés. Les ténèbres dansent dans l'océan de ses yeux et moi, je m'agrippe fermement à elle, comme si ce simple geste suffisait à la garder près de moi. Mais elle s'éloigne, inéluctablement, réduisant mon cœur en poussière.

Le dernier souffle qui s'échappe de ses lèvres engloutit ce qu'il reste de vie en moi. Je sens mon âme se fragmenter, la peine m'inonder, comme un raz-de-marée violent.

Alors que mon regard d'enfant balaye la pièce, la rage face au carnage qui s'étend me pulvérise. Pourtant, je reste paralysé, sans réaction. Il ne demeure que la haine que je sens naître au plus profond de mes entrailles. Tout le reste est vide, terriblement vide.

Plic Ploc Plic Ploc...

J'ignore si c'est le robinet de la salle de bains que personne n'a réparé, ou le sang qui s'écrase dans ce silence assourdissant. Mes doigts glissent sur la rivière rouge à mes pieds, dont je suis désormais couvert, je fais un pas en arrière de façon compulsive, le regard lié à la forme devant moi, avant de me raviser.

Ma main s'avance vers ses paupières, que je clos de mes doigts tremblants.

Comme hors de moi, je me redresse sur mes pieds. Les mains sur les oreilles, les joues striées de larmes, je cours à en perdre haleine, poussé par la force du désespoir. Alors que je trébuche et m'étale au sol, j'ose jeter un œil par-delà mon épaule, et mon sang se fige dans mes veines. Ils sont là. Ils se rapprochent.

Je me sens incapable de bouger, je reste à terre et ferme les yeux, les sanglots étouffant mes cris, ma révolte, mon chagrin. Puis un bras me tire sans ménagement, mais je ne résiste pas.

— Il ne faut pas rester ici ! chuchote une voix de femme.

Je secoue la tête, en proie aux visions mortuaires dont j'ai été témoin. Ce sang... tout ce sang...

Je me frictionne les bras, j'en suis encore maculé. Il a séché, mais s'agrippe sur mes chaussures, sur mes vêtements. J'entends encore les hurlements, le bruit des os que l'on brise, le son guttural des cris d'agonie lorsqu'ils les ont égorgés.

Mon cœur s'agite et ses battements résonnent contre mes tempes. Puis soudain, plus rien, c'est le trou noir ; je suis dans un état second, comme anesthésié. Je me laisse traîner, puis cacher dans un placard. J'entends que l'on prononce un sort, puis le néant. Je m'endors, les flaques de sang poisseux grignotant ma vision. Et ma raison...

Je me redresse en sursaut, paniqué. Je referme les paupières et compte mentalement jusqu'à cinq, le temps que mes yeux s'accommodent à la légère lueur qui perce du volet entrouvert, et que les battements anarchiques de mon cœur s'apaisent.

Un cauchemar. Ce n'était qu'un cauchemar venu me hanter. Ils sont étranges. Vécus comme un adulte, mais avec des souvenirs d'enfants... Tellement plus terrifiants...

Mes poings se serrent devant l'inéluctable vérité. Même après toutes ces années, je demeure désespérément impuissant...

***

Voilà le prologue. Bon, comme tout bon prologue, vous ne comprenez pas grand-chose ^^

Normal, l'histoire commence réellement au prochain chapitre, que je vous posterai en début de semaine prochaine !

Bon week-end !

Sang-NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant