Sang-Noir

3. Silas (1)

Trente minutes plus tôt

Accroupi dans le noir à même le sol, je passe consciencieusement le doigt sur la lame de la dague de façon presque compulsive, jusqu'à m'entailler la peau. Le sang perle alors sur le métal qui vibre et s'illumine. Je caresse avec tendresse les pourtours des symboles qui ornent le manche et qui me lient malgré moi au passé.

Néanmoins, ma nonchalance ne masque pas ma concentration, je reste à l'affut.

Je relève la tête vers le ciel. La nuit est claire malgré l'orage qui s'est abattu un peu plus tôt. Mes yeux, accoutumés à l'obscurité, distinguent le moindre mouvement, le moindre bruit suspect.

— J'ai soif.

La voix ô combien agaçante de Zakaria me fait serrer les dents. La paix relative que je ressentais explose comme une bulle de savon, mais je me garde bien de répondre à ce crétin que je me coltine malgré moi.

— Pas un humain à buter dont je pourrais récupérer un peu de sang, se lamente-t-il en reprenant son souffle.

Je parcours le sol du regard. Deux sorciers gisent, la bouche entrouverte et les yeux exorbités. Y'a pas à dire, il sait se battre !

— Ferme-la !

Je lance à Zak un coup d'œil exaspéré tandis qu'il fait passer un vampire énervé par-dessus son épaule. J'observe le monstre un court instant le temps qu'il se redresse, le visage déformé par la fureur, puis je saute sur mes pieds lorsqu'il se précipite vers moi. Sans me presser, je range la dague en bronze – inutile pour tuer le monstre, pas comme pour les sorciers – et sors le pieu coincé entre mon dos et mon jean, empalant dans le même temps le vampire, qui explose dans un bruit de splash assez désagréable.

Un mouvement subit derrière Zakaria attire mon attention. Je saisis à nouveau la dague et me précipite vers lui : le vampire est aux prises avec un de ses congénères alors qu'une autre créature l'approche par derrière.

Deux contre un, c'est pas très réglo !

Zak manque de peu l'épée qui tente de le décapiter, je lève la dague pour venir à son secours, mais le sorcier – à n'en point douter, un membre de l'Ordre – anticipe mon geste et se retourne soudainement. Ses pupilles luisent d'un éclat incandescent, une teinte sombre qui flirte avec le violet. Cette lueur mauvaise, surnaturelle, me fait dresser les poils sur mon échine. Pas à cause de la peur – Oh non ! –, c'est plutôt la rage qui me submerge sans grand contrôle, malgré les apparences. À cet instant précis, je pourrais sans conteste faire sauter ses globes oculaires pour m'en faire un collier.

Il esquisse un geste sur la droite avec un sourire sadique pour contrer le coup que je lui porte, avant d'ôter l'arme de ma main d'un geste de la sienne. Elle s'écrase quelques mètres plus loin grâce au sort qu'il a jeté.

Sous le choc, je ne parviens pas à contrer son attaque. Un flux de chaleur brûlante me décolle du sol pour me plaquer contre le mur humide de la ruelle. Le froid des briques contraste avec l'embrasement qu'il m'inflige. Du coin de l'œil, je distingue son poing se fermer et ses lèvres se mouvoir pour prononcer des paroles inintelligibles. Ma trachée se comprime et je perçois nettement les os de mes bras craquer, les uns après les autres.

Alors qu'à peine quelques secondes se sont écoulées, j'ai la sensation que ce sont des jours entiers. Des gouttes de sueur perlent le long de mes tempes, ma respiration s'alourdit.

— Tu ne peux rien contre moi, Gardien.

Sa voix gutturale résonne jusqu'aux tréfonds de mon esprit. Son pouvoir est immense, je le sens couler dans ses veines, irradier tout autour de lui. Pourtant, il n'a jamais été aussi loin de la vérité. Galvanisé par tout ce qu'il représente, je lutte désespérément. Je n'ai peut-être pas ses pouvoirs, mais j'ai la hargne qu'il n'aura jamais. Mes paupières se serrent, je me concentre intensément. Mes paumes s'ouvrent, je tente de repousser son pouvoir. Pour combien de temps ? Je le sens nettement supérieur à moi...