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— Tu crois sérieusement qu'un mec pareil peut flasher sur une fille aussi quelconque ?

— Ouais, elle est même pas dans la moyenne, impossible qu'il s'intéresse à elle...

— Moi j'ai entendu dire qu'en échange d'un boulot stable, elle se tapait le bibliothécaire.

Je soupire lourdement, ma capuche fermement juchée sur la tête, en passant dans la cour extérieure des espaces verts du campus. Les murmures, qui n'en sont pas vraiment, s'intensifient à mon passage, comme d'habitude depuis presque une semaine. Je presse le pas et applique une technique ninja pour me faire passer inaperçue, tout en grinçant des dents.

Ce genre de ragots est une étape obligatoire dans chaque ville, village ou communauté dans le monde. Je sais que je ne devrais pas y accorder d'importance, que les conversations vont finir par se lasser pour enchaîner sur d'autres rumeurs plus au goût du jour... Seulement là, je commence à paniquer.

Quand j'ai débarqué à Mystery Spell, j'ai consciencieusement fermé toutes les portes de mon passé, de ma vie d'avant. Je ne voulais pas qu'on puisse me retrouver. Je voulais devenir invisible aux yeux de celui que j'ai fui sans prendre le temps de regarder en arrière. Si, à cause de ce genre de rumeur, la direction de l'université était mise au courant, je ne donnerais pas cher de ma peau. Il suffirait d'un rien, d'un mini doute sur mes intentions, pour qu'une enquête sur mon passé soit lancée. Après tout, en venant ici et en postulant pour ce second job d'employée de bibliothèque, je n'ai fourni que de très vagues informations.

J'atteins enfin la grande et belle bibliothèque de l'université et me sens tout de suite un peu mieux. J'aime être entourée de livres, j'aime jusqu'à l'odeur un peu entêtante de la poussière sur les couvertures de cuir. Ce travail, c'est un peu mon paradis de calme et de sérénité. S'il m'est enlevé à cause de mon attitude ambiguë envers Conrad et des bécasses qui se sont chargées de colporter des rumeurs absurdes, je ne m'en remettrai pas ! Point positif : le vampire ne s'est plus pointé sur le campus depuis ce jour... et je ne l'ai plus revu non plus.

Quand j'ai posé la question (feignant l'indifférence) à Nicolae, celui-ci m'a répondu que Conrad ne revenait au manoir que bien après l'heure du coucher, très tôt le matin, et partait aux aurores en ville. Le jeune homme est resté très vague, je ne voulais pas l'alarmer aussi n'ai-je pas pousser plus loin l'interrogatoire. Je sais très bien pourquoi le vampire m'évite, je sais que j'aurais dû me montrer plus raisonnable, plus sensée... mais avec lui, je ne me contrôle plus. Le masque que je m'évertue à porter en permanence s'effrite en sa présence et je ne peux que me rendre à l'évidence : je suis désespérément attirée par lui. Au risque évident de me brûler les ailes.

La journée passe et ressemble aux précédentes. Le travail m'est de plus en plus pénible à mesure que l'heure de retourner au manoir avance, même si je suis impatiente de retrouver ma petite tornade de boucles roses et de grands yeux de poupée. Le vague à l'âme que me procure l'absence et l'indéniable rejet de Conrad me mine le moral. Son comportement me blesse plus profondément que je ne l'aurais pensé. La situation me ramène brutalement à la réalité : c'est un vampire et je suis une pauvre et pitoyable humaine sans le moindre talent. Vraiment, qu'espérais-je ? Ah, je me donnerai des claques !

Je rassemble mes affaires avec une démotivation manifeste et sors de la bibliothèque après avoir éteint les lumières. Sur le chemin du manoir, je sens étrangement quelques picotements au niveau de ma nuque, comme si j'étais observée. Cette sensation, je la connais bien. Elle est moins vivace et moins évidente à déceler que dans les films (ici, pas de musique à suspense, pas de plan large sur les alentours du héros ou de l'héroïne, juste un malaise inidentifiable), mais je la ressens indéniablement. Je me mets à zieuter chaque ruelle, chaque personne que je rencontre, avec calme et sang-froid. J'ai déjà fait ça, j'ai déjà été suivie et observée, espionnée même... mais là, quelque chose me dit que je n'ai rien à craindre.

Mon Vampire (Is it Love? Conrad)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant