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J'arrive à la fac un peu en avance, ce matin. Pour me remettre de mes émotions, je prends le temps de flâner entre les arbres et les haies verdoyantes du jardin extérieur du campus, déambulant parmi les étudiants qui discutent avec gaieté. Je surprends quelques regards à mon intention, surtout de la part de la gent masculine. Je réalise que je n'ai pas pris le temps de m'enfermer sous ma sempiternelle capuche, ni de me cacher derrière mes grosses lunettes. Mes cheveux courts volent sur mes joues légèrement rougies par ma récente colère et embaument mon shampooing aux senteurs d'aloe vera. Je distingue chez certains étudiants des regards insistants, voire très insistants. Sérieux ? C'est moi qu'ils regardent ? Je zieute alentours, persuadée qu'une jolie fille marche à mes côtés et que cette attention toute particulière ne m'est pas destinée... mais non, je suis seule et leurs regards me suivent jusqu'à ce que je pénètre dans la bâtisse.

Je me rends à la bibliothèque pour y débuter mon travail. Sur place, je constate que quelques étudiants sont déjà attablés, plongés dans leurs livres, silencieux et studieux. Rassérénée par ce spectacle apaisant, je pénètre dans le bureau de mon supérieur et y dépose mon sac et ma veste. Avant de sortir, une voix m'apostrophe :

— Madame Farrell, bonjour.

Je me tourne vers la porte du bureau et avise le bibliothécaire en chef de l'université, un quinquagénaire à la calvitie appuyée et au ventre rebondi.

— Bonjour, Monsieur Cooper.

Je réponds machinalement tandis qu'il bataille pour retirer sa veste en tweed grise et la dépose sur le dossier de son fauteuil.

— Vous tombez bien, je voulais justement vous voir. Asseyez-vous, je vous en prie.

D'une main, il me désigne la chaise en face de son bureau. Il n'est pas rare que mon supérieur s'entretienne avec moi mais cette fois-ci, j'ai comme un mauvais feeling. Je ne saurais pas expliquer pourquoi. Je m'installe néanmoins, impassible.

— Il y a un problème, Monsieur Cooper ?

— Non, non, aucun, Madame. Je voulais simplement vous prévenir que j'ai reçu un appel, hier soir, avant de partir du bureau. Il vous concernait.

Le mauvais pressentiment enfle dans ma poitrine et me comprime les poumons.

— Quelqu'un demandait après vous... ou du moins souhaitait savoir si une certaine "June Spencer" travaillait bien ici.

Bordel, non.

— J'ai répondu qu'il n'y avait pas de "June Spencer" parmi nous mais qu'il y avait bien une "June Farrell".

— Qui était—ce ?

J'ai posé cette question d'une voix lointaine, comme sortie d'un long tunnel sombre et humide. Les sourcils de mon supérieur s'écarquillent légèrement mais il me répond tout de même :

— L'homme n'a pas dit son nom et a raccroché. J'imagine que c'était une erreur, mais je voulais tout de même vous en faire part, au cas où vous le connaissiez.

— Je ne vois pas de qui il s'agit, mais vous avez raison, c'était sûrement une erreur.

De l'extérieur, je parais on ne peut plus normale et détachée. De l'intérieur, je me disloque petit à petit, terrassée par une angoisse que je ne connais que trop bien.

— Dans ce cas Madame Farrell, vous pouvez vous mettre au travail.

Il me congédie ainsi et je me vois lui hocher la tête en sortant de son bureau. Je marche vivement vers le fond de la bibliothèque et me dissimule derrière une haute rangée de vieux livres en attente d'être rangés, puis je laisse libre court à ma terreur.

Mon Vampire (Is it Love? Conrad)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant