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Les coups résonnent dans le hall du manoir des Bartholy comme un gong dans mon esprit. Toutes mes cellules me hurlent que ce qui va suivre s'annonce mal. Un mauvais pressentiment me gagne, je me fige entre les bras protecteurs de Conrad qui n'est pas dupe de mon changement d'attitude. Il me décoche un regard brûlant, anesthésiant immédiatement toute pensée néfaste. Hélas, cette courte accalmie ne dure que le temps d'un battement de cil puisque l'instant d'après, avant même que Nicolae amorce un geste pour se relever du canapé, la porte d'entrée du manoir s'ouvre dans un fracas assourdissant.

Lorsque mes yeux avisent la silhouette longiligne et parfaitement bien proportionnée de la folle qui m'a agressée quelques jours plus tôt, une hargne sans nom me parcoure des pieds à la tête. Blondie est de retour et visiblement, elle n'est pas contente. Pas contente du tout !

La vampire aux cheveux couleur de blé tourne sa tête vers nous, nous ausculte de son regard acéré, puis me sonde avec une flamme de glace dans les prunelles. Evidemment. Son comportement à mon égard me laisse perplexe et pour le moins agacée. Je ne connais même pas son nom et elle me hait suffisamment pour me faire sentir que je suis un moustique sur sa peau. Bordel, j'ai la rage. Les crocs, même (sans mauvais jeu de mots).

Blondie se dirige vers nous comme si elle glissait sur le sol, avec une grâce propre aux vampires. Surnaturelle, donc, et indéniablement subjuguante. Elle se plante à quelques mètres de nous, ignorant superbement les trois frères Bartholy et la petite Lorie pour darder son regard de félin sur moi. Et surtout, sur les bras de Conrad autour de ma taille. Si un regard pouvait tuer...

— Conrad, ne me dis pas que tu as fait ça...?

Sa voix glaciale semble étouffée par la haine et l'incompréhension. Dans mon dos, je sens l'intéressé s'éloigner de moi. Conrad défait son étreinte et s'avance vers la blonde sculpturale sans me regarder, me plongeant dans un état proche de la démence. Putain. Il me fait quoi, là ?! C'est pas vrai... j'hallucine !

— Syanna, calme-toi, ordonne-t-il.

Malgré sa fermeté, je perçois de la douceur derrière cette invective. Et ça me retourne l'estomac. Si mon cœur pouvait encore battre, mon rythme cardiaque crèverait le plafond. Je serre les poings, atterrée, confuse, atrocement perdue.

— Je croyais qu'elle ne représentait rien pour toi... que tu ne la voyais que comme un moyen de te rapprocher de—

— Tais-toi, Syanna !

Bien malgré moi, je sursaute légèrement face au ton employé par Conrad. Mais sa sécheresse soudaine ne m'aide pas à calmer la colère qui enflamme mes veines et contracte mes mâchoires. Encore une fois, un filtre rouge s'étend sur mes yeux, embrouillant ma vision, annihilant ma raison. Dans mon esprit tourmenté, je m'imagine sauter à la gorge de cette Syanna de malheur et lui tordre son cou de cygne, avant de me servir de ses cheveux pour l'étouffer. Ces images me donnent la force de ne pas craquer. Je me concentre dessus comme je le peux... mais je ne sais pas combien de temps je vais tenir.

— Je ne peux pas le croire... non... pourquoi tu l'as transformée ?! Gémit Syanna avec un rictus mauvais dans ma direction. C'est contraire aux règles !

— Questionnerais-tu mes agissements, Syanna ?

— Non... Conrad...

— Dois-je te rappeler la hiérarchie ?

La vampire blonde secoue la tête et l'abaisse, soumise. Je crois bien que c'est à ce moment-là que ma raison s'efface complètement et laisse place à la colère... à vrai dire je ne sais pas, mais tout d'un coup, mes mains se ruent vers la gorge de Syanna.

Mon corps bondit, ma bouche s'arque et mes canines s'allongent en même temps. Toute ma haine est dirigée vers cette grognasse. Seulement, je ne l'atteins pas. Conrad me stoppe avant, ses mains sur mes hanches, sa tête dans mes cheveux.

— Non, June, murmure-t-il dans mon oreille. Ne fais pas ça.

Ce chuchotement me déchire plus que n'importe quel autre. Je réalise dans ces intonations implorantes tout ce que je n'aimerais pas comprendre : sa relation avec cette femme, son importance, le désir qu'il a que je ne la blesse pas... Je me retourne vivement et lui assène une gifle monumentale, dont le claquement se répercute en écho dans la pièce redevenue silencieuse. Puis, excédée, je hurle :

— C'est quoi ces conneries, putain ?!

C'est la première fois que je me montre aussi grossière devant mes employeurs... et devant Lorie. Je pense que c'est d'ailleurs son regard ambré et inquiet qui brise instantanément la montée de rage qui m'entoure. Je ferme les yeux, me concentre sur ma respiration, sur mes membres tendus, sur mon envie de reprendre mes esprits... sur tout et n'importe quoi.

— De quel droit oses-tu, vermine ?! Crache Syanna dans mon dos.

Je ne lui accorde même pas un regard, focalisée sur celui de Conrad qui me happe entièrement. Je sens son irritation, son envie brutale de me remettre à ma place... et un autre désir, bien plus abrupt, bien plus fiévreux. Un désir qui grimpe dans mes tripes, incendie mon bas-ventre, fait pétiller mes veines. Il se rapproche, je me rapproche. La chaîne qui nous lie est faite d'une matière que je ne saurais identifier, mais elle est incassable. Sans jamais rompre le contact visuel, Conrad ordonne :

— Syanna, laisse-nous.

Je sens Blondie se contenir, derrière moi, puis me jeter un regard hargneux et méprisant avant de tourner les talons.

Avant que le bruit de la porte d'entrée ne claque à la suite de son départ, la main de Conrad s'est refermée sur la mienne et il me tire d'autorité vers l'étage. Il me semble que Nicolae veut ouvrir la bouche mais mon vampire interrompt son élan en lâchant sèchement :

— Plus tard.

Nous grimpons alors avec aisance les escaliers du hall pour nous engouffrer dans le couloir de l'aile ouest, comme deux affamés s'apprêtant à assouvir leur insatiable appétit.


A suivre... 

Mon Vampire (Is it Love? Conrad)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant