Tombez les masques

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Ils sont tous autres désormais. Ou tout du moins s'apprêtent-ils à devenir autres.

Un foulard vite jeté sur les cheveux, une cape, une veste qu'on enfile ; une voix qui s'élève jusqu'au fond de la salle...et les voilà qui endossent une peau inconnue le temps d'une soirée : roi de l'antique cité de Thèbes ; femme afghane opprimée par son mari ; homme au grand nez et à la verve coupante... Tout est possible, tant qu'ils y croient. Pour un soir, ces âmes discrètes se transforment afin de mieux exploser.

C'est la magie du théâtre.

Vous, vous faites partie de cette troupe. Pour l'instant vous sommeillez dans l'obscurité des coulisses, ce lieu d'entre deux eaux. Vous écoutez ceux qui sont sur scène, ceux qui ne sont déjà plus eux. Vous vous efforcez de rester attentive, mais votre regard dérive sur la grande silhouette qui s'agite non loin de vous... Il s'apprête à devenir autre, vous admirez la métamorphose. Le pantalon tombe avec le déclic métallique de la ceinture, laissant voir de longues jambes, pâles dans l'ombre, velues ; de longues jambes d'homme. Il surprend votre visage tourné vers lui. Vous vous détournez.

Le tee-shirt tombe à terre dans un bruit mat. Vous le regardez à nouveau. Le torse jeune, imberbe, sauf cette ligne noire qui du nombril se perd sous l'élastique du caleçon...

Vous vous crispez imperceptiblement sur le masque entre vos mains, vous raidissez sur la chaise, dans l'espoir de maîtriser l'émotion qui monte en vous, l'image qui germe sous votre front. Ce fourmillement délicieux mais honteux dans vos entrailles. Peine perdue. Toujours, votre regard revient sur lui, presque nu, le dos courbé avec ses côtes qui percent sous la peau comme des ailes papillonnant, enfilant son costume...

Il s'arrête et vous fixe un instant.

A-t-il deviné quelle fièvre singulière trouble vos yeux ? Si oui, il n'en laisse rien paraître. Mais tout à l'heure, toujours dans la douce obscurité des coulisses, côté cœur, il laissera « par mégarde » une main errer sur vous. Sur vos fesses. Vous vous retournerez, questionnerez (avec une pointe d'ironie dans la voix) : - Qu'est-ce que tu es en train de faire là ? - Tu as senti non ? - Oui. - Alors...

Et il se taira. Vous regarderez ses yeux trop grands (tout est démesuré chez lui) en vous demandant ce que cela peut bien vouloir dire.

Vous n'aurez pas le temps de poser la question, ce sera votre tour de vous jeter sur scène, de rayonner sous les projecteurs. De devenir autre. Et tandis que vous déclamerez, vous sentirez une piqûre brûlante sur vous, l'aiguillon d'un regard qui vous couve depuis l'ombre moite.

Patchwork de motsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant