Cher inconnu,
J'ai envie de pleurer sur toi, parce que tu me renvoies à la future petite vie bourgeoise que je ne manquerais pas d'avoir (et dont je ne veux pas), et au sens de celle-ci. Je te connais seulement par un regard, quelques paroles échangées rires furtifs partagés, par l'amour dans les yeux de ta mère quand elle me parle de toi. Je vis ta vie par procuration, je te vois t'engager, la trentaine s'approcher. J'ai envie de te crier de courir, de fuir tant qu'il est encore temps. Fuis, fuis le mariage rangé avec la jolie petite employée de banque. Fuis, fuis, les deux enfants le labrador crème le pavillon aux volets blancs. Fuis ! Montre-moi qu'il est possible de vivre autrement. Qu'on peut encore connaître la bohème en 2015. Fuis, fuis, les canons sociaux, l'injonction à l'engagement et à la sédentarité, la passivité déguisée entre prêt à rembourser, clopes, gosses à torcher, impôts à déclarer... Fuis, si tu ne veux pas dans dix ans te réveiller cette question sur la bouche : "Qu'est-ce que j'ai fait de ma vie ?"
Tu as fait comme tout le monde, c'est tout, cher inconnu.