Il lui semblait n'avoir jamais tant approché l'essence même de la jeunesse qu'en embrassant ses lèvres fraîches.
Elle se détacha la première, le sachant déjà possédé et voulant éprouver la force de cette possession. Il resta les bras ballants, le rêve de l'instant passé flottant encore dans les yeux. Elle réalisa qu'elle aurait pu, d'un mot, d'un geste, entacher l'immaculée perfection de ce songe de baiser, le piétiner là, dans l'eau sale à leurs pieds.
Elle ne le fit pas. Des moments comme ceux-là n'existaient qu'une ou deux fois par vie, ils en avaient l'intime conviction tous deux. Elle savait qu'elle garderait pendant plusieurs jours l'empreinte de ses doigts sur sa peau, de son souffle sur ses lèvres, et surtout, la clarté limpide de son regard noué au sien.
Elle aurait voulu pouvoir être seule, s'allonger, fermer les yeux et se remémorer la scène en se laissant étreindre encore à la gorge par cette petite main lisse et brûlante - qu'elle avait déjà connue, moins intensément cependant - avant que son esprit l'efface peu à peu, avant qu'elle devienne floue et impalpable.
Ils se regardaient, graves mais grisés, les yeux envahis par une douce mélancolie : celle du temps d'avant, d'avant leur baiser, quand ils étaient encore dans l'attente, dans l'ivresse de la quête de cette réunion.
La nuit faisait de leurs yeux des puits sombres et sans fond, inquiétants de vide. La pluie avait commencé à tomber sans qu'ils en prennent conscience. Ils marchaient, désormais. Côte à côte, ils n'osaient plus se regarder. Chacun fixait ou l'étroit périmètre qui leur était donné de voir sans tourner la tête, ou ses pieds. Une pudeur tardive les emportait ; que faire maintenant que tout avait été dit sans mots, dans toute la force d'un regard ?
Alors ils marchaient en silence dans le murmure collant de la pluie.