PROJET KOSMOS - 1914

13 juin 1914

Nathaniel ferma son sac sous l'œil acéré de son commandant. Les responsabilités rendaient nerveux le pauvre homme, disait-on en se jetant des coups de coudes dans le camp, en pensant à ce vétéran de l'armée française, l'officier général Joffre. Une plaisanterie que Nathaniel savourait, pour ne rien répondre aux sèches réflexions du général sur son accent chantant du sud. C'est vrai qu'à Paris, on n'en voyait pas trop, des Niçois, et encore moins des gars comme lui. Blond comme les prés, il posait sur tout un chacun son regard doux et sombre, trahissant les origines italiennes de sa mère. Et si ça ne suffisait pas à faire chavirer ces demoiselles ou à attendrir ses camarades de régiment, il avait sa taille incroyable et sa stature imposante qui le faisaient respecter partout où il allait.

-Eh, Gaspard ! ricana un brun au fort accent du Nord. Comment c'était avec ta Roseline, hier ?

-Soldat Albuman, grogna son supérieur au milieu des rires de leurs camarades. Taisez-vous et dépêchez-vous de vous préparer. La guerre ne vous attendra pas.

-Oui, m'sieur, répondit l'autre en jetant un clin d'œil à Nathaniel.

Nathaniel sourit. Ici, il était Gaspard Fibronet, 21 ans – bientôt 22, seigneur ! –, soldat dans la division parisienne des renseignements de l'armée française, et pseudo-fiancé de la jeune et séduisante infirmière Roseline Villadoux. Sa mère ne l'aurait jamais laissé quitter sa Nice natale si elle avait su qu'il tomberait entre les bras de cette charmante créature. Mais elle n'était plus là pour le gronder gentiment – ou faire quoi que ce soit, d'ailleurs, depuis son petit cercueil payé avec les dernières économies du jeune homme avant qu'il ne parte à Paris.

L'officier général fixa d'un œil sévère les dix soldats puis s'adressa à eux gravement.

-Vous vous apprêtez à effectuer une mission extrêmement périlleuse, où vous ne pourrez compter que sur vous-même. Vos noms ont été supprimé de tous les registres de l'armée, et si vous échouez, la République française ne vous sera d'aucun secours. Je vous rappelle l'objectif : vous devez vous approchez le plus possible de l'Archiduc François-Ferdinand d'Autriche-Hongrie, et obtenir des informations sur ce que projette l'Autriche-Hongrie. Une fois que le train vous aura déposé à la frontière, vous passerez par le nord de l'Italie et rejoindrez le plus vite possible nos ennemis. Vous avez un mois et demi pour nous faire parvenir des résultats. Compris ?

Les soldats acquiescèrent puis saluèrent leur supérieur avant de quitter la base militaire. Albuman se tourna vers Nathaniel :

-On doit t'appeler « chef » maintenant, chef ?

-Soldat Albuman, taisez-vous et dépêchez-vous d'avancer. La guerre ne vous attendra pas, railla Nathaniel en imitant Joffre.

-A vos ordres, Chef Fibronet ! s'exclama le brun

-Moins fort, Albuman, gronda un autre blond. On est en infiltration, alors nous sommes seulement des chrétiens voulant rejoindre Jérusalem par la terre.

Nathaniel se signa, imité par quelques autres, puis sourit au blond :

-Bien dit, Cauluzac. A présent, dépêchons-nous, le train va bientôt partir.