25 juin 1914

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Isabella dormait profondément, appuyée sur l'épaule de Valentina. Les autres « pèlerins » étaient eux aussi dans ce wagon miteux, réquisitionné par l'armée, dormant ou en alerte. Pas un bruit ne provenait des passagers, malgré la vingtaine de soldats installés à l'avant. L'infirmière tentait de calmer les tremblements de ses mains qui l'empêchaient de tricoter convenablement. La mort de Cauluzac, ce prêtre-soldat si silencieux, l'avait profondément affectée. Elle n'avait pas pu le sauver, faire son travail, ce pourquoi Albuman l'avait emmenée. A quoi servait une infirmière si elle ne soignait pas les blessés, si elle n'empêchait pas la mort de faire son travail ?

Elle réprima un geste d'agacement et posa son ouvrage et ses mains à plat sur ses genoux. Elle devait se calmer. Faire comme Gaspare, qui malgré la terreur qui filtrait de lui, demeurait fier et droit. Si c'était bien son vrai nom... Elle l'avait entendu plusieurs fois murmurer dans son sommeil le nom de « Nathaniel ». Son petit frère, peut-être ? Ou un proche ?

Valentina leva les yeux et fut surprise de voir von Bozen s'asseoir en face d'elle.

-La guerre ne devrait pas être imposée aux femmes, dit-il avec une once de compassion. Vous teniez à cet homme qui est mort, c'était votre mari ?

-Je suis infirmière, et je n'ai pas pu le sauver... regretta-t-elle en caressant les cheveux d'Isabella endormie. Mon mari est là-bas. Paolo Albuman.

-Votre sœur ?

-Oui, et l'épouse de l'homme là-bas, ajouta-t-elle pour couvrir son demi-mensonge

Ils se tournèrent vers Riziero qui dormait dans un coin, à l'écart des autres. Von Bozen avait un mauvais pressentiment concernant cet Italien. Il se détourna pour observer le visage de Valentina, qui s'était remise à son ouvrage. Elle croisa son regard et fronça les sourcils.

-Qu'y a-t-il, Comte von Bozen ?

-J'ai l'impression de vous connaître, vous, votre sœur, son mari et cet homme là-bas, avoua-t-il en désignant Nathaniel du menton. Vous aurais-je déjà vus ailleurs ?

-Je ne pense pas, réfuta la belle Italienne. Mais pour tout vous avouer, moi aussi j'ai eu cette impression en vous rencontrant.

-Et vous avez fui, lui rappela-t-il avec une pointe de reproche

-C'est vrai.

Albuman adressa un regard interrogateur à sa fiancée : la présence de ce soldat ennemi avec elle ne le rassurait pas. De plus, étant incapable de comprendre l'italien, il n'avait aucune idée de ce qu'elle racontait. Cependant il se doutait qu'elle ne les dénonçait pas, sinon Gaspard et Beaux seraient déjà intervenus. Valentina capta son regard inquiet et baissa les yeux vers ses aiguilles.

-Je ne pense pas pouvoir vous renseigner plus, Comte von Bozen.

-Je comprends, déclara l'Autrichien jetant un regard agacé vers Albuman. Madame Albuman...

Il suspendit son mouvement alors qu'il allait se relever, comme s'il venait de s'apercevoir de quelque chose, et sourit d'un air mauvais à l'infirmière :

-Ce n'est pas très italien comme nom, « Albuman » ...

Valentina ne répondit rien. Le Comte retourna avec les autres soldats autrichiens à l'avant du wagon, et l'un de ses semblables remarqua son expression renfrognée.

-Alors Jakob, on essaye de voler une femme mariée ?

-Très drôle, Oschmann, grommela von Bozen. Ces pèlerins m'intriguent, j'ai l'impression de les avoir déjà vus... d'en connaître certains...

-Peut-être dans les individus recherchés ?

Il haussa les épaules mais fit signe à l'un des hommes sous ses ordres.

-Quand nous serons à Sarajevo, surveille-moi ces gens et rapporte-moi les faits étranges, lui ordonna-t-il tout bas. Sois discret.

Le soldat acquiesça et le Comte posa un regard froid sur le groupe misérable au fond du wagon.

PROJET KOSMOS - 1914Où les histoires vivent. Découvrez maintenant