23 juin 1914

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-Où sommes-nous ?

Nathaniel tenta de repérer leur position sur sa carte, sans succès. Ils avaient tourné trop de fois, se trompant de route ou doutant dans la forêt.

-Je crois qu'on est perdus, annonça-t-il penaudement à Beaux.

-Comment ça, « perdus » ? s'emporta le soldat. Ne me dis pas que tu as oublié comment reporter une position sur une carte !

-Fais-le à ma place, pour voir ! rétorqua vivement Nathaniel en lui tendant ses instruments et en dépliant sa grande carcasse.

Il dépassait d'une bonne tête le brun, malgré les cinq ans qui les séparaient. Si être le plus vieux donnait l'impression à ce Parisien qu'il était meilleur que ses camarades et qu'il pouvait les contrôler, Nathaniel, son mètre quatre-vingt-dix et sa carrure de lutteur étaient là pour lui rappeler l'humilité.

Beaux détourna le regard, grogna quelques paroles incompréhensibles et attrapa la carte. De son côté, Riziero s'amusait plutôt. Il venait de saisir l'une des failles de ce groupe : un conflit d'autorité entre le véritable chef de mission et le soldat Beaux. C'était intéressant à savoir.

-Nous pourrions demander notre position dans le prochain village ? proposa Valentina. Il y a forcément une maison quelque part dans les alentours !

-Quelqu'un sait-il au moins parler hongrois ou allemand ? lança narquoisement Riziero malgré les regards inquiets que lui lançait sa femme

-Si c'est d'un interprète allemand dont vous avez besoin, je suis là, intervint Albuman en allemand, qui avait vaguement saisi le sens de la question malgré la barrière linguistique

L'assurance de l'Italien se fendilla légèrement mais, trop fier pour le laisser paraître, il poussa juste un bâillement ennuyé.

-Sa mère était allemande, le nargua Beaux. Fin de discussion, nous devons avancer.

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Ils errèrent tout le jour dans la campagne avant de trouver enfin une route, puis un village étrangement vide et silencieux. Les femmes se signèrent craintivement et Beaux ordonna par un geste à Albuman de servir d'interprète. Le soldat à l'accent du Nord s'approcha d'une porte de bois sombre et frappa deux coups secs.

-Nous sommes des pèlerins allant à la Sainte Jérusalem, et nous vous demandons l'hospitalité pour une nuit ! Ouvrez, pour l'amour de Dieu !

Aucun son ne leur parvint de l'intérieur de la masure, malgré son insistance. Ce fut de même pour les autres maisons du hameau.

-Je ne comprends pas... souffla le soldat. Il n'y a personne ici, comme si un grand fléau s'était abattu ici...

-Ce fléau, c'est la guerre qui se prépare, murmura Cauluzac, fataliste. Les gens ont senti son parfum de mort, et ils se sont enfuis.

-Au moins, le pauvre Thomas et son éternelle confiance en la paix n'en souffriront pas, tenta de se consoler Nathaniel

Soudain, une voix chevrotante leur parvint de l'autre bout de la place où un vieil homme avançait péniblement à leur rencontre, courbé en deux sur sa canne :

-Pauvres fous qui pensez encore que Dieu peut vous sauver ! La guerre est à nos portes !

-Nous ne demandons l'asile que pour une nuit, plaida Albuman

-Fuyez, mes pauvres enfants, tant que vous le pouvez encore ! Rentrez chez vous, et dites à vos familles de fuir l'Europe ! Nous sommes tous maudits ! Dieu nous a abandonné !

PROJET KOSMOS - 1914Où les histoires vivent. Découvrez maintenant