28 juin 1914

1 0 0
                                    

-Nom, âge et profession.

-Nathaniel Fibronet, seize ans, soldat.

-Tiens ! le nargua Jakob qui écoutait l'interrogatoire. Tu n'es plus Gaspare, chef du groupe de pèlerins !

-Qui a demandé de ne pas résister sous peine de prendre une balle ? rétorqua avec mauvaise humeur le Français

-Nationalité.

-Français, dit-il après un instant d'hésitation

Autant coopérer et dire toute la vérité. Beaux leur avait fourni un parfait exemple de l'absence de tolérance de von Bozen en se faisant abattre entre leur cellule et les salles d'interrogatoire. Cet homme trop fier avait tenté de désarmer à lui seul un soldat et de le tuer... Il avait lamentablement échoué, le Comte lui ayant promptement fait explosé la cervelle.

-Raison de votre présence ici ?

-Je pense que vous vous en doutez...

Il jeta un bref regard à l'horloge. Minuit quarante-cinq. La nuit allait être longue.

---

-Aucun mal de vous sera fait, mademoiselle.

-Qu'on en finisse, marmonna Valentina. Auriez-vous une cigarette ?

Le soldat chargé de l'interroger lui en tendit une et lui proposa du feu. Elle tira sur sa cigarette et souffla un épais panache de fumée. Ce numéro était là pour se mettre l'homme en face d'elle dans sa poche. Elle ne fumait pas chez sa mère, seulement au travail quand un patient ou un médecin lui en proposait une. Les hommes adorent les femmes qui fument. Ça faisait d'elle une maîtresse-femme, et aucun individu du sexe fort n'y résistait.

-Votre nom, mademoiselle ?

-Valentina Carla Immacolata Dellini, fille de Carla Martina Immacolata Battaglini et de Valentino Valerio Zefirino Dellini.

-Pourrais-je avoir votre âge ?

-Dix-huit ans.

-Quel est votre statut marital ?

-Fiancée à Paolo Albuman, celui qui parle allemand dans la pièce d'à-côté.

Elle crut déceler une étincelle de déception dans le regard du soldat face à elle. Cela dit, si Albuman mourrait, cet Autrichien qui parlait italien de manière si académique pourrait éventuellement l'intéresser... Mais pour l'instant, elle était une fiancée fidèle. Elle ne trahirait pas Albuman.

---

-Monsieur le Comte ? Que fait-on des prisonniers ?

Jakob resta silencieux quelques instants. La nuit avait été longue, il était passé de salles en salles, zigzaguant entre l'infirmière sûre d'elle, le Français trop coopératif, le bâtard franco-allemand et la petite Italienne éplorée. Il avait retenu toutes les informations qu'il avait croisé dans les différents récits et connaissait maintenant leur histoire. Il fixa d'un regard fatigué l'horloge qui ornait le mur du salon où ils se trouvaient, lui et deux autres soldats.

-Neuf heures vingt-sept... murmura-t-il pour lui-même. L'Archiduc a pris le train pour Sarajevo... Comment ont progressé les recherches de l'Italien ?

-Rien trouvé, officier.

-Bon. – il y eut un silence. – Faites sortir les prisonniers et amenez-les-moi. Maintenant.

Le soldat haussa un sourcil mais ne répondit rien. Lorsque les quatre prisonniers furent face à Jakob, celui-ci prit une inspiration et détacha son regard de la rue qu'on voyait à l'extérieur. Sa résolution semblait lui coûter beaucoup.

PROJET KOSMOS - 1914Où les histoires vivent. Découvrez maintenant