27 juin 1914

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En arrivant à Sarajevo après deux jours de train, Nathaniel se sentit enfin respirer. Il était resté sur ses gardes, ne dormant que peu pour ne pas risquer de trahir ses compagnons – et pour ne pas revoir les visages des morts trop nombreux dans sa vie.

Il laissa à Albuman le soin de remercier le Comte autrichien puis ordonna aux autres de partir immédiatement. Ils devaient trouver un abri d'où ils pourraient observer la situation et envoyer des informations aux autorités françaises. Ils avaient suffisamment perdu de temps. Moins de cinq minutes plus tard, les « pèlerins » disparaissaient dans les ruelles tortueuses de Sarajevo, guidés par Nathaniel.

-Tu sais où on va ? souffla Beaux pour que personne ne les entende

-Bien sûr. On nous attend, pas très loin, grogna Nathaniel qui avait dû apprendre par cœur le plan de cette ville

Ils bifurquèrent dans une rue un peu plus animée et le Niçois frappa à une porte aveugle deux fois, puis cinq, puis trois. Au bout d'une interminable minute, une vieille femme voûtée vint leur ouvrir. Ils montèrent par un escalier en partie moisi, tentant de ne pas toucher les murs suintants. Valentina porta un mouchoir à son visage, de peur de respirer cet air vicié, une expression de dégoût agacé sur ses traits.

-Évitez de faire du bruit, les informa Nathaniel qui ouvrait la marche.

Isabella poussa un soupir et reçut une frappe de son mari à l'arrière du crâne.

-Dépêches-toi d'avancer, siffla méchamment Riziero, et prends garde la prochaine fois.

Elle ravala ses larmes et maudit sa faiblesse. Après tout, elle avait trop souvent déplu à son époux ces temps-ci, alors elle méritait cette correction. Un instant, elle envia la liberté dont disposait encore Valentina, qui avait un métier et pas de mari... Non, elle était folle ! Jamais elle n'aurait supporté de devenir vieille fille !

Ils arrivèrent finalement sous les combles, dans un appartement tout aussi misérable que les escaliers qu'ils venaient d'emprunter. Il n'y avait que deux pièces, une cuisine et une pièce à vivre, mais au moins les murs n'étaient pas humides. En revanche, l'atmosphère y était étouffante.

-Quoi, c'est tout ce que la France peut offrir à ses soldats ? s'exclama Riziero. Elle est belle, votre République !

-Moins fort, abrutit ! ordonna Beaux. La prochaine fois, je te montrerais ce que la République peut faire aux encombrants...

-Soldat Beaux ! cria Nathaniel. Cessez immédiatement !

Beaux se tourna vivement vers Nathaniel, la main vers son revolver.

-De quel droit...

-Je suis votre supérieur, soldat Henry Philibert Arthur Beaux, le coupa Nathaniel, et je vais devoir signaler votre attitude auprès de nos référents. Eux seuls décideront de votre sort.

-Bravo les gars, maintenant tout l'immeuble et probablement ceux d'à-côté sont au courant que nous sommes Français, intervint Albuman.

Beaux inspira un grand coup pour se calmer et adressa un sourire faux à Nathaniel :

-Nous ne sommes plus que trois sur les neuf du départ alors nous ne devons pas nous élever les uns contre les autres, n'est-ce pas ?

En son fort, Nathaniel était terrifié par la menace planant au-dessus de sa tête. Beaux était capable de tout. Cependant, il garda sa façade résignée – son visage de Gaspard – et sera sans trembler la main du soldat. Il se détourna et surprit le regard amusé de Riziero, qui semblait se délecter de cette dispute.

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