De la gare à mon hôtel, il n’y avait pas loin et mon sac pesait moins que mon pas dans la jonchée de feuilles mortes voltigeant tristement avec des cris secs de petit bois brisé aux pieds mélancoliques des platanes.
Nous étions un Vendredi, de ça je suis certaine, un Vendredi tout étourdi de fin d’Automne que le Mistral froissait, un Vendredi au ciel crissant de givre, crevé de passereaux, nombreux comme des taches, l’année, je ne sais plus.
J’étais descendue la veille à Marseille pour y rencontrer un croisiériste Américain intéressé par nos programmes touristiques. Je devais dés le Lundi suivant prendre part à un jury appelé à choisir parmi une dizaine de candidats, les deux accompagnateurs chargés d’animer un tour hommage au peintre Paul Cézanne, développé par mes employeurs en partenariat avec l’office du tourisme de la ville d’Aix-en-Provence.
Ainsi, je disposais de trois jours de farniente que je n’entendais pas gaspiller à flâner autour du vieux port et de la place Thiard, ni à me tremouser, légère et au court vétue, au plus noir des nuits rouges d'une ville si peu sage qu'on la disait folle, pas plus que je n’avais l’intention de gouter aux charmes d’un vieil Aix à mon cœur plus familier encore que mon Paris natal car sujet passionnant et passionnément traité de mon mémoire de fin d'études.
J'avais mieux à faire et un crime à commettre.
Pour la toute première fois et, me jurai-je, la dernière, je m'apprêtai à tromper Julien.
Ni de gaité de cœur, ni de gaité de corps, mais dans toute la farouche détermination avec laquelle on tranche dans une chair que la maladie ronge.J’aimais encore « Beau Masque » et déjà «le Comédien»
Encore de ce dernier point n'étais-je pas certaine.
Pas plus que du premier à la réflexion!Si la liberté de passer d’un homme à un autre avec cette légèreté amusée, charmeuse, aguicheuse qui, dans le tapage des discothèques, fait basculer les filles volages de partenaire de danse en partenaire de jeu, sans qu'elles n'en aiment aucun autrement que par boutade, m’avait jusqu'ici donné à sourire; ce sourire séducteur, triomphant et cynique fanait cette fois ci en rictus désenchanté.
Contrairement à Stéphane, je n’avais pas désiré voir que nous étions destinés, par une configuration méchante des planètes ou plus simplement parce que nos absolues différences se plaisaient à jouer les aimants, à nous aimer déraisonnablement.
De cet amour qui ne se cherchait plus de raisons depuis qu’il les savait toutes mauvaises, nous voulions penser qu’il grifferait durement la surface de nos corps sans trop altérer l’intégrité de nos cœurs, qu’une fois nos pulsions sanguines apaisées, la soif dévorante que nous avions du gout de l’autre assouvie, il se retirerait sans espoir de retour, comme au théâtre la troupe salut avant un dernier rideau, ne laissant d’autres traces sous les fards et les masques que l’écho des bravos , l’ivresse de la scène et la nostalgie des tréteaux .
Nous pensions sincèrement pouvoir comme si de rien n’était revenir à la simplicité de nos vies séparées, lui folletant de sexes en bouches avec sa blonde désinvolture de faux adolescent ; moi retrouvant la pesanteur indulgente des bras d’un Julien qui avant moi savait, qui mieux que moi savait.
Stéphane ne m’attendait pas plus à l’hôtel qu’il ne m’avait attendu à la gare. J’en éprouvais, à vrai dire, un lache soulagement. Je ne me sentais pas prête à le voir, moins encore à le toucher, à l’embrasser. Il me fallait un peu plus de temps pour que Julien se détache complètement de moi et le SMS enjoué que ce dernier venait de m’adresser n’aidait pas à l’affaire. J’espérais sourdement que « Le Comédien » aurait renoncé, qu’il ne quitterait pas son village de Saint Cannât, que nous ne nous retrouverions pas.
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Mauvaise Graine et les garçons.
Romance"Je le rencontrais par hasard et je ne fis rien pour chercher à lui plaire. L’homme de ma vie, de mes vies, de toutes mes vies ! Ma vie réelle, ma vie rêvée. Ma vie en grisaille, ma vie en enluminures. Ma vie cassée nette, figée dans la bulle d’Ambr...