6- Coulisses.

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Elle serpentait sous la scène, la rampe, le parterre, le foyer, allait se perdre dans des profondeurs ou le théâtre bougonnait ses humeurs capricieuses tel un très vieux cabot mâchant entre ses dents des paroles indistinctes, remontait brutalement vers les étages pour repiquer aussitôt suivant une pente vertigineuse en direction du hall sur lequel elle débouchait.


Cette galerie alambiquée, entrecoupée de courts paliers, de volées de marches en colimaçons, de passages en arceaux ou il fallait se courber pour ne pas heurter de la tête les rouages d’une machinerie dont on ne savait trop à quoi elle servait, et que l’on appelait « Le Tunnel » comme s’il s'agissait d’une attraction de fête foraine ou d’un énigmatique boyau bruissant d’ombres et de périls qui aurait mené les plus téméraires jusqu’à une hypothétique salle aux merveilles, bien qu’elle fut encore éclairée par de faibles ampoules et soigneusement fléchée, n’était plus empruntée depuis qu’à la libération de Paris les F.F.I s’y étaient réfugiés pour échapper aux tirs Allemands.

Je trouvais ce labyrinthe follement romanesque. Il me semblait, lorsque Stan m’y entrainait dans une course haletante contre le temps et qui se fichait bien des risques encourus, il me semblait que je galopais de toute ma vigueur dans la magie d’un film de Truffaut et qu’à tout moment, à l’angle de n’importe quel virage, Catherine Deneuve pouvait apparaître, retenant d’une main les velours incarnat de sa robe du soir lacérée tandis que de l’autre elle élevait vers un visage tendu de conspiratrice le feu brasillant d’une lampe tempête.

Au plus profond du gouffre, presqu'à demi dissimulée derrière les plaques de carton pâte d’un décor Florentin représentant la silhouette en lambeaux de Santa Maria dei Fiore, une vielle banquette, rouge, pelucheuse, poussiéreuse, achevait de moisir . C’est sur ce siège douteux ou j’imaginais que tant de culs illustres avaient étalés leurs rondeurs satisfaites les soirs de Générale, que nous faisions l’amour, aiguillonnés par la hâte et la crainte, retenant nos cris, nos gémissements, nos fous rires, nous cassant la figure plus souvent qu’a notre tour , nous relevant aussitôt , salis, esquintés mais toujours disposés à continuer la bataille.

On a peur de rien lorsqu’on a 15 ans et surtout pas d’un amour qui ne daignait pas montrer sa face suave et sotte de chérubin, puisqu’il n’était question entre Stan et moi que de sexe, enjoué ou sévère, brusque ou caressant, dépravé ou benoît, mais débarrassé des scories sentimentales avec lesquelles ni l'un, ni l'autre n'avions l'intention de nous compliquer l'existence.


De la vie de Stan,en dehors du théâtre, je ne savais rien et ne cherchais pas à savoir.
Seuls m’importaient les plaisirs que nous partagions et dont, une fois débarrassée de ma virginité comme on se débarrasse d’une corvée, je devenais chaque jour un peu plus dépendante, Stan comblant au centuple tous les espoirs que j’avais mis en lui.

De là à ce que je me prenne pour Sarah gaillardement bousculée par Mounet-Sully dans des extases rococo-"1900", il n'y avait pas loin!

Toutefois, s'il me restait encore quelques doutes concernant mes dispositions à rafoller des garçons, l’obscurité chancie des coulisses d’un théâtre, les dispersa comme les rayons du soleil dispersent en gouttes de lumière le givre aux bouches des fontaines.

J’étais femme, définitivement femme, ni fâchée ni honteuse  de cet état, même si je n’exultais pas d’imbécile fierté, femme à tel point que je raisonnais déjà en parfaite petite salope, rêvant parfois, tandis que je prodiguais à Stan une de ces gâteries dont j'avais sinon le secret du moins le talent de bien faire, à tous ces merveilleux garçons qui dés la rentrée repeupleraient Paris de leurs grâces viriles et auxquels, à peine effarouchée pour la comédie, cependant un rien triviale par gout de la fanfaronnade, je révélerai mes nouvelles et précieuses compétences.

Ma candeur tout juste écornée, ignorait encore que rien, pas même la plus potinière des reines pédoques, et bien qu’il ne soit pas interdit de cumuler, n’est plus cancanier, clabaudeur, papotier, qu’une troupe de théâtre et que je me précipitais au devant d’une de ces bouffonnerie ridicule que la vie semblait prendre un vilain plaisir à me destiner , à moins que je n’eusse inconsciemment la malice de les provoquer moi-même.

Mauvaise Graine et les garçons.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant