22- Brother outlaw!

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Juillet s’achevait péniblement dans des vapeurs métalliques, des fumées floconantes de bateau à aubes haletant le long d’un faible bras de rivière que la mer repousse.

Harassée de chaleur je trainais mon exquis cadavre bruni, pleurant de sel et de sang l’absence de Julien, dans un Porto Cervo aux allures criardes de foire aux vanités, comme les filles du calvaire pleuraient le Christ en croix.


Seule célibataire parmi des couples en état de béatitudes aggravées, je prenais en horreur l’étalage poissé de Monoï de leurs extases.

Dieu que Walter et son amoureux me semblaient niais, lorsqu’ils roucoulaient plus fort qu’un peuple de ramiers aux flèches des cathédrales, leurs têtes mesquines penchées l’une vers l’autre, l’œil rond et sot, irréfléchi, le bec tout sucré par la crème des glaces qu’ils partageaient au même cornet. 

Et que dire de Sasha, rajeunie de vingt ans depuis qu’elle batifolait avec le petit fils, à peine majeur, d’un constructeur automobile Milanais dont elle tentait, mais en vain, d’ébranler la fortune dans les boutiques du Sottopiazza ?

Olivier lui-même, se consumait pour un long lys Bavarois, sorte de croisement improbable entre une Elizabeth frappée de très germaniques mélancolies et un Ludwig délirant de baroques passions au clair d'une lune blême, dont nous nous demandions ce qu’il était bien venu chercher dans un pays ou l'ombre est plus rare que les blanches gelées des jolis matins d’hiver aux dunes des Maldives , sa carnation d'ivoire craignant à tel point le soleil, qu’il passait ses jours claquemuré au plus frais d’une villa forteresse .

"- Tu crois que c'est un vampire ? interrogeait, vaguement inquiète, Sasha.
" - Ca me parait évident, répliquais je. Jamais je n'ai vu Olivier aussi mordu !

Mordue elle aussi, nous avait rejoins une chanteuse de variétés, un peu passée de mode aujourd’hui, que l’on disait sotte et creuse alors qu’elle ne l’était pas du tout, sauf ,bien sur, lorsqu’elles se mêlait d’ avoir des idées, certaines plus communes si possible que les ritournelles désenchantées qu’elle changeait en galettes d’or par la grâce d’une voix dont la rondeur sensuelle palliait au manque de puissance .

Pire encore, notre diva voyait de la conspiration partout et des paparazzi derrière chaque parasol, si bien qu’elle me refilait, dés que nous mettions le nez dehors, le paquet cadeau du sigisbée décharné aux longues boucles cuivrées, aux longs yeux languides de petit faon, aux longues conversations analphabètes, lui tenant lieu de fiancé occasionnel.

Quant à papa, moins idiot que le reste du troupeau, il s’était tiré en mer à bord d’un 18 mètres moteur loué au prix d’un appartement avenue Georges-Mandel, avec pour seul équipage "Belle-maman", mon « frère-à-moitié » et l'espoir secret, hélas déçu, de noyer les deux emmerdeurs entre Naples et Capri.


Julien, de son coté, séjournais en Corse, chez ses parents .

S’il avait bien prévu de me laisser l’y rejoindre, il entendait au préalable, préparer son monde à l’onde de choc que ne manquerait pas de provoquer dans un univers, cossu, feutré et disons le, éminément aristocratique la venue d’une pétasse Parisienne au vocabulaire de carabin et aux manières de fille perdue.

« - Tu comprends, mon amour, m’expliquait il trois fois par jour au téléphone, je n'ai jamais présenté aucune fille à mes parents. Chez nous ce n'est pas le défilé des fiancées potentielles. Le jour ou on présente une fille à sa famille c'est parce que cette fille là est  la bonne. The one. L'unique! Evidément, je suis certain de mes sentiments pour toi, mais laisse moi un peu de temps pour déblayer le terrain. Tu es quand même quelqu'un d'assez spécial, tu en as bien conscience?  Mes parents le sont également, à leur façon, même si  je pense qu’ils sont prêt à accepter ton univers Slave, Baroque et tellement libéré ! Non, le problème c’est mon grand frère ! »

Putain de frangin, parlons en du putain de frangin !

Un gosse d'aristos retourné à la terre pour y exhumer les racines agro-pastorales d’une famille qui n’avait jamais officié que dans les lettres et la magistrature.

Un berger diplômé d’un institut supérieur d’agriculture, bien qu’il se la jouât volontiers autodidacte et homme des bois.

Un égorgeur d’agneaux, un éventreur de porcs, un tueur de marcassins et de colombes.

Un fabricant de fromages et de vins résinés des montagnes, toujours vêtu de treillis ou de bleus de chauffe, fleurant, du moins l’imaginais je, le lait aigre et la piquette tournée.


Un militant Nationaliste convaincu, pour lequel tout ce qui n'était pas Corse et attaché aux traditions ancestrales de l’île - à fortiori les Gaulois, et pour mon malheur j'appartenais dans l'échelle de ses dédains et de ses acrimonies, à la sous éspèce éxtrême; la Parisienne tête de chienne- devait être immédiatement et sans procès, brulé vif en place publique.

Bref, un cauchemar vivant, mais un cauchemar que Julien vénérait.

Un mot de travers au sujet de l’idole et il se fermait comme une clef d’arc scelle une voute.

« - Parle pas comme ça de mon frère ! »

A force de ne pas en parler « comme ça », je n’en parlais plus du tout, laissant à « Beau. Masque » le soin de composer avec son insupportable famille, tandis que je m’étiolais dans un paradis perdu ou la beauté sculptée des Adams moulés dans leurs petits maillots « Roberto Cavalli » laissait indifférents des yeux qui ne voyaient plus rien de ce qui n’était pas Julien.

Du reste, à la plage je n’y allais plus, non par crainte de succomber à des excès de virilité dénudée, mais plus prosaïquement, parce que mon fichu téléphone ne captait pas de réseau dans la crique de Cala di Volpe ou nous avions établi campement et que je redoutais de louper l’appel qui m’aurai fait quitter l’île dans la minute.


Je ne mangeais plus et je buvais trop. Je ne sortais pas, ne dormais pas, je fumais comme une cheminée d’usine.

Je passais mes nuits à affronter la chanteuse et son copain en de furieuses parties de poker, ce terrible jeu de stratégie et de mort; le somptueux désastre de ma vie sentimentale me valant de bénéficier de mains princières.

Au petit matin, plumés jusqu’à l’os mes pigeons allaient se coucher.


Sur ses entrefaites, comme prévenue par un signal secret, arrivait, bougonne et peu amène la dame chargée de l’entretien de la maison.

« -Pas encore couchée ? C’est du joli !


Elle me regardait longuement, pensive et peut être vaguement apitoyée.

« -Mais comment tu fais pour vivre à l’envers de tout de le monde ?

Je répondais que je ne savais pas, que je m en foutais, que je ne voulais surtout pas être comme tout le monde et c’était à peine si je mentais.

Désœuvrée, je déambulais dans l’enfilade de salons qui composaient le rez de chaussée, ouvrais des livres dont je relisais inlassablement et sans m'en souvenir toujours les mêmes trois ou quatre premières pages.

La matinée avançait lumineuse et tropicale.

J’appelais David qui m’engueulait.
J’appelais « La Miss » qui me battait froid.
J’appelais mon père qui me cajolait.

Je rejoignais enfin ma chambre dont le balcon donnait sur la mer. J’apercevais les premiers baigneurs éclaboussés d'azur.

De jeunes Sardes aux mèches noires piquées d'or, à la peau boucanée, aux longs muscles agiles, jouaient à se battre pour de faux, à s enlacer pour de vrai. Leurs cris d enfants se mêlaient au fracas des vagues.

« - Lâche-moi, oh pèdè !

Et j’attendais que sonne un téléphone qui, jour après jours, sonnait de moins en moins souvent.

Mauvaise Graine et les garçons.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant