20- Les ailes du désir.

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Après l'anicroche d'Autheuil, une fois mes rires et mes moiteurs, mes migraines épathiques et mes hébétudes narcotiques dissipées, je me sentis de fureur sacrée, pousser ,membraneuses, amples ,vibrantes des ailes de Sucube qui, crevant la nudité de mon dos, déchirant mes muscles en de violentes blessures, m’élevèrent jusqu'à des sommets inconnus de barbarie ou des serpents pythons semblables à mes rancœurs nouaient leurs anneaux d’aveugle sensualité autour du corps d’un Julien livide et supplicié.

De mon gladiateur sacrifié, cependant, je ne perdais pas le gout, encore moins le désir de ces merveilleux désirs dans lesquels, tombant de fièvre quarte en chaud mal, de martyrs en voluptés, des semaines durant, je me consumais.

Suppléant à une routine de médiocre tenue, l’effervescence ou je me débattais dés le saut du lit, lorsqu’elle ne dévorait pas mon sommeil de ses flambées impures apportait un éclairage nu, cru, frontal sur une existence pitoyablement bourgeoise, morne, indolente et atone en dépit des brèves secousses dont je talonnais ma monture afin de maintenir cette allure du petit galop qui jamais ne prenait un virage en dehors mais qui me semblait, toutes paupières cousues, plus épique encore que les chevauchées de hautes couleurs de ces preux d'Angleterre ,qu’emportaient dans un grand vent de pétales et d’oriflammes , les harmoniques baroques d’un poème de Beuern mis en musique par Carl Orff .


La rage aux dents, encensant sous l’insulte d’une phrase mesquine -petite merde, petite salope,  petite bourge avait il dit - dont les ricochets suffisaient à me glacer d’écume, je m’acharnais à prouver à quelqu’un qui ne me demandait rien, plus qu’à moi-même qui n’en demandais pas d’avantage, que je valais mieux que ce que mes nuits cocaïne et champagne, ma vagabonde et farouche tribu Tzigane, mes blêmes amours mortes-nées dont les effigies de cire s’exhibaient dans un musée des erreurs entre la rue Beaubourg et le Boulevard Beaumarchais , laissaient entrevoir d’une personnalité en démolition avant même que de s'être construite .

A la stupéfaction générale je congédiais mes dealers et mes amants, ne conservant pour le bon équilibre de mes nerfs qu’un petit rouquin dont le cul blanc comme un rêve de crème aimait à être battu jusqu’à l’incarnat des feux d’infamie et dont je me souviens qu’il se parfumait à la même eau de cédrat et de verveine que ma grand-mère, contrariant par là des ardeurs qui cependant ne demandaient qu’à s’épanouire ce à quoi elles consentaient de bien bonnes grâces, une fois le bambin , savonné , rincé et talqué à la poudre d’Iris .

Plus étonnant encore je repris le chemin de la fac, me fondis, sage et bien peignée, débarbouillé ede mes paillettes et de mes fards, privée de mes colifichets, de mes colliers d'émaux ,gardant juste au cou une croix de corail dont je pensais qu'elle me portait bonheur, dans la masse houleuse et moutonnante d’une promotion que j’imaginais fade et triste , alors qu’elle était rieuse et bohème, me découvris le gout des livres et de l’étude , l’amour de l’histoire , de l’art , de l’histoire de l’art et finalement passais comme en me jouant des examens que l’on disait redoutables .

Dans la foulée et puisqu’un bonheur n’arrive jamais seul, je décrochais un entretien d’embauche – des entretiens devrais je écrire car on demanda à m’entendre six fois –auprès du tour opérateur plein de mansuétude et d’abnégation qui aujourd’hui m’emploie encore. 

« -Ainsi, riait Julien tandis qu’il embrassait mon ventre nu, c’est un peu grâce à moi que tu es ce que tu es.


J’étendais mes doigts en serres pour agripper ses boucles brunes et drues, tirais en arrière sa belle tête halée.

« - Au vu du résultat, il n’y a pas de quoi pavoiser

Julien détachait mes mains de ses cheveux, pesait sur mes avant-bras jusqu'à ce qu'ils cèdent, tandis que son corps sur le mien devenait plus lourd.

« - Et si je te disais que cette après midi là, à Autheuil, petite merde, petite salope, petite bourge, si je te disais que moi, je t’aimais déjà !

Je cherchais à croquer une bouche irrégulière, vivante, mobile, une bouche de beurre, de sucre, de rhum doux et qu’il me refusait.

« - Je te dirais moi, qu’il faut laisser aux vrais menteurs le soin de bien mentir, Monsieur l’observateur pernicieux de la vie des autres, Monsieur le journaliste !

Avec violence, avec douceur, enfantin, il me mordait au sein.

« - Je te haïssais, c’est donc que je t’aimais un peu

Je me dégageais de son étreinte, roulait sur le flanc pour mieux revenir aussitôt me pendre à son cou. 

« - J’aime bien quand tu m’aimes moins, et mieux lorsque tu me détestes un peu

Graves et beaux ses yeux du bleu perçant des pervenches viraient au mauve presque noir des violettes Italiennes et des eaux profondes. 

« - Une chose est certaine, mon terrifiant amour, devrais je vivre cent ans et faire cent fois le tour du monde, il n’y a aucune chance que je recroise un jour une plus somptueuse tête à claques que toi.

Mauvaise Graine et les garçons.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant