25- Feuilleforte.

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La maison d'Autheuil est pleine de murmures et pleine de sourires.


Paisible elle chuchote et puis se moque un peu.

De son grand corps solennel et de ses majestés, de ses tourelles aux angles et qui jouent à la guerre, celle des dentelles, celle des rubans. Anne, ma sœur Anne,  embusquée qui ne voit rien venir, rit de ses colombages et de ses colombiers, de ses métairies ou de blondes citadines s’amusent « à la fermière » dans des trench de soie et des jupes à damier.


C’est une maison heureuse, une maison de cinéma.


En tendant bien l’oreille on l’entend raconter un film de Sautet, « Vincent, François, Paul et les autres », « Une histoire simple », sa simple histoire.

Ceux qui avant nous l’occupèrent n’y ont pas fait de drames.

Nous en ferons surement, nous sommes tragédiens.

Nous mettrons du baroque aux bronzes des cheminées, de la confusion au tour d’escalier et d’improbables fantômes plein les greniers.

Des dames de Sibérie en hermines tachées y donneront à baiser leurs jolis doigts de brume aux boyards repentis coupables de les avoir égorgées.

Et des impératrices aux lèvres empoisonnées cravacheront la nuit, des amants princiers cambrés comme des gueux.


Déjà un vent de Russie aiguillonne la paix Normande, détonne, doux et rugueux de prénoms étrangers: Boris, Ivan, Liouba, Stassia, Sasha, Lara.


C’est du Tchékhov que l'on donne sous les cerisiers.

Trois sœurs se chiffonnent en attendant l’été.


Passent  papa Vania et son escorte de fausses blondes.


Il flotte dans la maison , entre parquets et plafonds, une ombre bienveillante et silencieuse, quelque chose d'un temps perdu à jamais retrouvé, quelque chose de l’ordre des choses, une sorte de force désincarnée, implacable et immuable touchant à la majesté et au sacré et qu'il serait criminel de contredire ou de contrarier.


Appelez cela le poids de l’histoire si vous voulez.

Personnellement je crois volontiers que le supplément d’âme que possède cette demeure, si simple et si énigmatique, confère un éclat de noblesse à ceux qui l’occupent, un peu comme un adoubement, une légitimité.


Si elle nous a accepté, si elle a bien voulu se transformer en foyer pour les métèques, les apatrides que nous sommes c’est parce que nous avons cédé à ses conditions.


Ainsi, hormis les inévitable restaurations et l’apport d’une légère touche Slave dont elle semble apprécier les couleurs tziganes, nous avons tenu à lui garder tout son cachet, tout son lustre un peu austère de résidence seigneuriale, et c’est toujours avec beaucoup de prévenances que nous bousculons ses habitudes.


La plupart des meubles ont étés achetés avec les murs.

Les vernis Martin, les rognons ou les bouillotes, les bridges, les bergères ou les cabriolets, les ottomanes, les causeuses, les liseuses, les bonnetières, les cabinets arrivés avec nous viennent tous de propriétés cousines. Certaines de ces pièces se retrouvent après des siècles de séparations, d’autres se découvrent, se séduisent et entament de jolies histoires d’amour qui dureront plus longtemps que les nôtres.


Bien entendu, nous avons conservé au domaine son nom de « Feuilleforte ».

Certains prétendent que Nina Companeez s’en est inspiré pour créer celui ou vit la famille de Fanny Ardant dans « Les dames de la côte ».

Mauvaise Graine et les garçons.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant