5- Bien avant les jours et les saisons.

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Je le croisais à Rome au printemps dernier.


Il traversait le hall fastueux d’un palace, l’air faussement détaché, presqu’hautain, tenant par le bras une grande poupée Russe, sans doute l’un de ces innombrables aspirant mannequins ayant profité de la chute du mur pour enjamber de leurs pattes faméliques les vestiges du Marxisme, et qu’il escortait égarée et dolente, telle une somnambule.

Lui, le regard dissimulé derrière des lunettes d’aviateur, allait d’un pas de plus en plus large, brutal, hâtif à mesure qu’il s’approchait des portes, un pas d’idole descendue parmi la plèbe, pleine de répugnances et de craintes ingrates, soucieuse de passer inaperçue et dans le même temps susceptible de se chiffonner dés lors qu’elle n’était pas reconnue, abordée, flattée.

Il avait bien tort de s’en faire.

De toutes les ombres indifférentes et silencieuses glissant sur les marbres d’un sol scintillant des gemmes qu’y projetait sur un rythme paisible de carrousel, un magnifique lustre de Murano – celui la même choisi par Visconti pour figurer dans la célèbre scène de bal concluant son « Guépard » -, j’étais bien la seule à me souvenir de son nom.

Le premier saltimbanque d’une longue liste de charmants baladins.

Mon premier amant.

Dix ans s’étaient écoulés depuis que nous nous étions quittés dans une paix armée annonçant une guerre qui finalement n’aurait pas lieu. Durant ces dix années, l’adolescente effrontée à laquelle il avait appris les ruses de l’amour s’était changée en tigresse revenue de tous les plaisirs et de toutes les impostures.
Lui, après avoir connu la gloire passagère d’un rôle vedette au théâtre puis au cinéma, avait lentement sombré dans l’humiliation des soupes télévisuelles.
Je savais pour l’avoir lu dans la presse qu’il tournait pour la R.A.I, l’une de ces interminables séries mélo-raclette dont, l’Italie, ce tremplin à secondes carrières pour les comédiens qui en France n’en ont pas eut de première, est friande.

Je n’avais pas envisagé que nous pourrions nous rencontrer et moins encore qu’il ne me reconnaitrait pas.
Car s’il me frôla de sa manche, s’il tourna, un instant vers moi, un visage ennuyé d’altesse bousculée, son absence de réactions laissait clairement entendre que mon sourire tout de même un peu ému, l’expression plus interrogative que surprise de mon regard, n’avivaient aucune étincelle dans sa mémoire.
J’avais été une Lolita, entre autres, dans son lit de jeune séducteur. Je n’étais plus qu’une passante anonyme à ses yeux fanés de vieux beau.

Du reste, comment lui en vouloir alors que j’avais oublié moi-même la moitié des garçons avec qui j’avais couché ? Et si néanmoins mon orgueil se froissait au spectacle de ce discrédit, il me fallait admette que je me rappelais cet homme, au demeurant très oubliable, uniquement pour lui avoir accordé le privilège, dont il ne mesura pas plus que moi l’importance, de me déberlinguer

L’été 2006, j’allais sur mes 16 ans, pressée de les atteindre sans qu’il y ait de raison particulière à cela. J’aimais ce chiffre rond comme la tête d’une clé dont je pensais qu’elle me donnerait accès à toutes les libertés qu’en fait je m’octroyais déjà.
J’avais passé Juillet à me dorer au cap Martin, avec mes grands parents, je suais, Aout, pratiquement abandonnée de tous dans un Paris qui me faisait penser à la Roumanie tant il pullulait de touristes venus de l’Est.
David, mon meilleur ami, mon presque frère, séjournait à Milan chez sa mère. Olivier, ma " soeur" dans le crime, mon confident gay, était allé se perdre sous les mélèzes de Monêtier-les-Bains. Papa travaillait en Afrique du Sud. L’ainée de mes tantes, Liouba croisait quelque part entre Grèce et Corfou. Sa cadette, Stassia enceinte jusqu’aux yeux ne quittait plus son lit. 

Restait Sasha, ma tante benjamine, coincée en ville par les répétitions d’une pièce dans laquelle elle avait obtenu le seul rôle consistant de son obscure carrière.
Débarrassée de ses moutards, expédiés chez leurs pères respectifs, la ravissante se montra ravie de me « recouillir » comme elle le disait en riant.
Nous nous étions toujours parfaitement entendues, Sasha et moi, aussi notre cohabitation se déroula-t-elle à ravir.

Sasha me laissait libre comme l’air, je feignais en échange de ne pas remarquer que le joli garçon, tout embaumé d'un virevoltant parfum de framboises, de fleurs d'amandier et de clair de femme, assis à la table du petit déjeuner n’était pas le même que celui de la veille.
Du reste, à part tenir le compte des amants de la belle, je ne me trouvais pas grand-chose à faire n’étant à l’époque intéressée par rien, jusqu’au jour ou je me découvris un gout irrésistible pour le théâtre après que le principal partenaire de ma tante, en compagnie duquel nous avions pris un café, à la terrasse des « Deux magots », m’eut trouvé délicieuse.

« - N’y pense même pas, Stan!, avait grogné la louve prête à déchiqueter le bel impertinent pour l'honneur d'une agnelle qui n'en demandait pas tant.

Staniland avait rit de son grand rire aboyant et qui sonnait affamé, m’avais adressé l’imperceptible clin d’œil de celui qui a compris et qui ne dit pas non, tandis qu’il jurait sur ses grand dieux et sur la tête de Sainte Jeanne Moreau que bien évidement, il n’y pensait pas.

Qu’importe puisque j’y pensais pour deux.

Vigoureuses et sombres, les vapeurs d’une sexualité avide nimbaient ce jeune trentenaire aux traits réguliers et aux cheveux ras, d’une lumière sans indulgence, voire même cruelle, par laquelle je me laissais hypnotiser immédiatement, songeant que si mes appétits croissants n’avaient eut pour l’instant d’autre défouloirs que quelques innocents tripotages ou suçotages dont David s’était montré la victime extasiée, ces appétits trouveraient dans les leçons d’indécence délivrées par un professeur de cette qualité, de quoi se repaitre dans toute la barbarie qu’ils appelaient.

Je baratinais donc Sasha pour qu’elle me laissât l’accompagner au théâtre, ce à quoi elle consentit après qu’elle eut à son tour baratiné le metteur en scène auquel elle assura que je l'idolâtrai quand j’ignorai jusqu’à son nom, que je me passionnai pour le théâtre classique , alors qu’abonnée par ma grand mère aux matinées du Français j’en profitais pour y rattraper mes heures de sommeil et qu’en sus je pourrai rendre tout un tas de petit service susceptibles de simplifier la vie à une troupe autant accablée par la chaleur que par la noirceur cinglante d’un texte aux allures de cortège funéraire.

Et c'est ainsi mes chers amis, que je devins le factotum d’une bande d’illustres comédiens occupés à servir la prose cambrée dans une cruelle absence de pitié d’un auteur qui aimait les garçons au point de désacraliser « Les jeunes filles », comédiens me trouvant tous "tellement chou","tellement mignonne" dans mes petits shorts d’été que je retroussais aussi haut que possible sur mes jambes halées, histoire de donner de la motivation, si encore il en avait eut besoin, à celui ,que parmi eux, j’avais froidement choisi comme première victime de mes instincts cannibales et qui quelques rides plus loin ne me reconnaitrait pas.

Mauvaise Graine et les garçons.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant