Princesse : Le bal (partie 2)

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Il est déjà vingt heures trente et tous les invités sont présents, sauf la famille de Jacksowie.
Je commence à m'inquiéter de leur retard, surtout que mes parents ont déployé d'incroyables efforts pour organiser ce bal. J'ai promis la présence de nombreuses personnes et elles sont toutes là : le Duc de Monreuil, la Marquise de Lombour, et bien d'autres.
La salle de bal est noire de monde. L'orchestre joue une douce musique d'ambiance. Le froufrou des robes couvre presque le bruit des conversations. Je jette un regard lassé vers la grande porte de bois. Les discussions de mes parents ne m'intéressent guère mais je suis dans l'obligation de rester auprès d'eux jusqu'à l'arrivée d'Arthur.
Une main se tend devant moi et je lève les yeux.
- Je me présente, Hernan du Douven, Comte de Brokille, votre future Altesse, récite un jeune homme aux cheveux noirs en s'inclinant.
Son nom me paraît étrange ; cela fait depuis bien longtemps que les nobles possèdent plusieurs prénoms, et non pas un seul. Je lui rends sa révérence en me présentant.
- Émilie Léa Solène Amélia de Hugialia, princesse de Tesmonie.
- Je sais qui vous êtes, répond-il avec un sourire, qui ne vous connaît pas ? La fiancée du célèbre Alex de Jacksowie, prince d'Ostregon, qui a tant fait pour son peuple.
Ses dernières paroles me laissent perplexe.
- Que voulez-vous dire ? Je demande avec surprise.
C'est à son tour de me regarder avec étonnement.
- Comment, vous ignoriez ? Oh, je m'en veux de vous mettre dans l'embarras...
Comprenant qu'il ne continuera pas sa phrase, je lui demande.
- Je vous en prie, expliquez-moi de quel acte vous parliez.
Il semble hésiter et jette un regard nerveux vers mes parents. Je comprends sa réticence et nous éloigne d'eux. De toute évidence, ils sont trop occupés à parler avec la Marquise de Lombour pour prêter attention à moi.
- Vous pouvez parler en sûreté, je dis dès que nous sommes loin des oreilles indiscrètes.
- Bien, je vous demanderai la plus grande discrétion concernant cette affaire : il y a peu, un bandit connu sous le nom de Le Masque a réuni beaucoup d'autres malfrats et a commencé à attaquer les habitants d'Ostregon. Bien évidemment, les soldats se sont empressés de défendre la population, mais même si certains protagonistes ont été arrêtés, Le Masque restait insaisissable et les crimes continuaient. Le roi et la reine de Jacksowie étaient désespérés ; ils étaient à court d'idée. C'est à ce moment que le prince Alex intervint : il élabora un piège afin de capturer Le Masque. Celui-ci fut enfin attrapé et mis en prison en attente de son jugement. Malheureusement, il réussit à s'échapper suite à l'erreur d'un garde. Avant de s'enfuir, il laissa un mot dans sa cellule disant qu'il se vengerait du prince.
Je suis stupéfaite. Je n'aurais jamais pensé Arthur capable d'une telle ingéniosité. Je ne peux m'empêcher de lui poser une dernière question.
- Par un hasard fabuleux, ne sauriez-vous pas où Le Masque se cache ?
- Des patrouilles l'ont aperçu aux abords de vos terres, c'est pour cela que je pensais que vous étiez alertée de cette aventure.
Tout s'éclaire à présent : l'angoisse de mes parents, la demande de rompre les fiançailles... Même le retard de la famille de Jacksowie s'explique grâce à cela ; ils ont sûrement quelques détails à régler.
Tout en réfléchissant, je fronce les sourcils ; les parents d'Arthur voulaient certainement nous protéger en rompant les fiançailles, ils ne sont pas mauvais et savent qu'Arthur et moi nous apprécions. Ils désiraient simplement ne pas nous mêler à la vengeance du Masque. Mon cerveau tourne et retourne la situation dans tous les sens. Comment mettre hors de danger ma famille et celle d'Arthur, tout en restant fiancés ? Je réfléchis tellement que je commence à avoir mal à la tête. La solution la plus évidente est d'arrêter Le Masque. Mais s'il a réussi à s'échapper une fois, il pourrait très bien recommencer. Un autre moyen s'impose à mon esprit mais je le rejette de toutes mes forces. De plus, il reste toute sa bande qui est toujours libre et risque de se venger.
Hernan attend patiemment la fin de ma réflexion. Je décide de lui demander son avis sur la situation.
- Évidemment, le moyen le plus sûr de vous mettre à l'abri est de rompre tout contact avec la famille royale d'Ostregon. Mais si vous souhaitez également protéger votre fiancé, il faudrait mettre Le Masque hors d'état de nuire. Définitivement.
Un soupir discret s'échappe de ma bouche. Que les grandes personnes sont violentes ! Hernan semble sur le point d'ajouter quelque chose lorsqu'une petite tête blonde apparaît soudainement et s'accroche à son bras.
- Grand frère ! Je te cherche depuis une demi-heure ! Qu'est-ce que tu fais ?
Elle s'aperçoit de ma présence et ses yeux du même brun que ceux d'Hernan s'agrandissent de surprise.
- Princesse Émilie de Hugialia ! Veuillez excuser mon comportement ! Récite-t-elle en faisant la révérence.
Son empressement me fait rire et elle se redresse, soulagée. Hernan se gratte la nuque, gêné.
- Mia, ce n'est pas un comportement à adopter en présence de membres royaux !
La petite fille lève la tête vers lui et fais une moue boudeuse. Elle est tellement craquante, comment lui en vouloir ? Mia m'offre un sourire resplendissant tandis qu'Hernan éclate de rire.
- Craquante, oui, mais seulement devant les étrangers ! Autrement c'est une véritable plaie !
Je rougis, comprenant que j'ai parlé à voix haute.
- Bien, puisque ma sœur s'est imposée, je vais faire les présentations. Princesse Émilie, voici Manon Ilona Alix du Douven, comtesse de Brokille.
- Vous pouvez m'appeler Mia ! Interrompt la petite avec un sourire sincère.
- Et la princesse de Tesmonie, mais je vois que tu la connais déjà, termine Hernan, un sourire légèrement moqueur sur le visage.
Je ris doucement devant la complicité et la rivalité évidente des deux personnes devant moi.
- Enchantée de te rencontrer Mia.
Au moment où je termine ma phrase, la musique s'interrompt et une sonnerie tonitruante de trompette retentit. Un héraut annonce.
- Le roi et la reine d'Ostregon, les princes d'Ostregon !
Un sourire étire mes lèvres. Ils sont arrivés ! Je file rejoindre mes parents après un dernier signe vers Hernan et Mia. Celle-ci a déjà oublié ses bonnes manières et se précipite vers la grande porte pour ne pas rater l'entrée de la famille royale tandis qu'Hernan lui court après en lui criant qu'un enfant bien élevée ne doit pas courir.
Je pouffe de rire et me place aux côtés de mes parents. Le père d'Arthur s'avance, sa femme au bras. Leurs quatre fils les suivent, bien alignés. Je suis une fois de plus impressionnée par leur ressemblance ; bien qu'ils soient d'âge différents, tous arborent une chevelure dorée semblable à celle de leur père. Seuls la couleur de leurs yeux varie : Arthur les a aussi bleu que le fond de l'océan, tandis que ceux de ses frères virent vers le brun.
Ils s'arrêtent devant nous et tirent une révérence que nous leur rendons. Arthur et moi échangeons un clin d'œil complice, signe du départ de notre plan. Mon fiancé se place devant moi, un genou à terre et me baise la main. J'entends des soupirs de ravissement dans l'assistance tandis que nos parents sont stupéfaits. Notre but est de paraître un couple parfait aux yeux des nobles et des membres royaux au cours de cette soirée. Ainsi, l'idée de rompre les fiançailles abandonnera peut-être l'esprit des parents d'Arthur. Du moins, c'était ce que je pensais avant ma discussion avec Hernan.
La musique se remet à résonner. Arthur et moi dansons au centre de la salle, de sorte à ce que tous nous voient. J'aperçois nos pères en grande discussion. Je guide Arthur plus près d'eux afin d'entendre ce qu'ils se disent, mais je ne perçois que des bribes de conversation.
- ... Fiançailles... Décision juste... Bien évidement... Garnisons renforcées... Le nécessaire pour... Protection d'Émilie... Le Masque...
Je me crispe et Arthur me lance un coup d'œil inquiet. Je l'entraîne à l'endroit où Hernan m'a révélé l'histoire du Masque.
- Cela ne présage rien de bon... Je dis d'un air sombre.
- Qu'est-ce qu'on peut faire de plus ? Me demande Arthur, une lueur nerveuse au fond des yeux.
- Je ne sais pas... Il nous faut un plan pour capturer Le Masque.
Arthur sursaute et s'éloigne d'un pas.
- Attends... D'où connais-tu Le Masque ?
- Eh bien... Le comte de Brokille m'a raconté son histoire et aussi que c'était grâce à toi qu'il avait été capturé.
Mon fiancé soupire et me regarde, l'air las.
- J'aurais préféré que tu ne sache rien. Je savais que notre plan de couple parfait était voué à l'échec, car j'avais deviné que mes parents voulaient te protéger du Masque, mais je n'ai pas eu le courage de te le dire.
- C'est bien ce que je disais : il nous faut un autre plan, je déclare, déterminée.
Arthur est stupéfait ; il ne s'attendait pas à cette réaction. Un mouvement de foule attire notre attention vers la salle de bal. Roby de Jacksowie, le plus jeune frère d'Arthur, se tient au centre, en face d'une fillette de son âge, poussée par sa mère. Elle s'avance et tend une rose rouge, symbole de fiançailles. L'assemblée éclate en applaudissements. Les parents de la fillette vont concrétiser la demande de fiançailles avec le roi et la reine d'Ostregon, laissant les enfants s'amuser ensemble. Je reconnais la mère de la petite ; c'est la reine de Théa, un royaume éloigné du nôtre.
Je jette un regard en coin à Arthur : son sourire est si grand qu'il s'étale sur la moitié de son visage. Il me surprend à le fixer et son sourire s'agrandit. Il me prend la main et m'entraîne derrière lui. Nous nous arrêtons devant Roby et sa probable future fiancée.
- Alors Raphaël Orano Baptiste Yann, tu t'es trouvé une amoureuse ? Demande Arthur à son frère.
Roby rougit et la petite fille étouffe un rire derrière sa main.
- C'est pas mon amoureuse je la connais même pas ! Rétorque Roby.
Un éclair de déception passe dans les yeux de la fillette et je sens une vague de compassion m'envahir. Arthur écarquille les yeux, l'air choqué.
- Attends un peu, petit ingrat ! Fulmine-t-il, tu crois peut-être que tu pourras choisir celle que tu veux comme épouse ? Que tu rencontreras la femme de ta vie, que tu l'aimeras et que vous vivrez ensemble pour le reste de vos jours ? Ça n'existe que dans les livres ça ! Retombe sur Terre : ce sont nos parents qui nous marient ! Tu crois que je connaissais Elsa lorsque nos parents nous ont fiancés ? Nous étions des bébés ! Et pourtant, nous nous entendons très bien et souhaitons nous marier !
En disant cela, il se retourne vers moi comme pour chercher un consentement. Je hoche la tête et une lueur de soulagement passe dans ses yeux. Je reste dubitative : depuis quand me demande-t-il mon accord pour parler de notre mariage ?
Arthur fixe d'un air de défi son frère qui se dandine, penaud.
- Ou-oui, m-mais...
- Un prince ne bégaie pas, le réprimande Arthur.
Un silence s'installe. Je ne sais quoi faire. Arthur ne voudrait sûrement pas que je m'interpose.
La fillette, restée muette jusque-là, s'avance et fait une révérence pour Roby.
- Je me présente : princesse Irène Laurie Lana Yollande Suzie de La Hauteroche, héritière du royaume de Théa. Vous pouvez m'appelez Illys, votre Altesse, ajoute-t-elle en se redressant.
Roby fait une grimace et lance un regard suppliant vers Arthur. Celui-ci le pousse vers la petite en lui chuchotant quelque chose à l'oreille.
- Prince Raphaël Orano Baptiste Yann de Jacksowie pour vous servir, princesse Illys, récite Roby en rendant la révérence.
Un sourire éclaire le visage d'Illys et elle prend la main de Roby avec douceur. Roby sourit lui aussi, plus timidement. Arthur les regarde fièrement et semble soudain se souvenir de ma présence.
- Elsa ! Dit-il d'un air catastrophé, on a pas de plan pour Le...
La suite de sa phrase se perd dans la sonnerie des trompettes. Nous nous retournons vers nos parents, alignés auprès des trônes avec le roi et la reine de Théa. Le père d'Arthur prend la parole cérémonieusement.
- Nous vous annonçons officiellement les fiançailles de notre fils, Raphaël Orano Baptiste Yann de Jacksowie, prince d'Ostregon, avec la princesse de Théa, Irène Laurie Lana Yollande Suzie de La Hauteroche !
L'assemblée applaudit si fort que mes oreilles bourdonnent. Était-ce ainsi le jour de mes fiançailles avec Arthur ?
Bon, l'événement a un autre point positif, outre d'avoir fait le bonheur de deux enfants ; les parents d'Arthur semblent avoir momentanément oublié leur volonté de rompre nos fiançailles. Ce qui nous laisse plus de temps pour échafauder un plan.
Arthur et moi nous regardons d'un air entendu : nous devons nous dépêcher d'arrêter Le Masque.

La suite sera royalement mouvementée...

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