Sans te voir

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Un hurlement parvint des profondeurs de la forêt. Cachée dans un buisson, Naomi releva vivement la tête, ses yeux verts clairs emplis de terreur. Ses cheveux roux, trempés, collaient à sa peau pâle. Elle tremblait violemment, autant de froid que de peur. La pluie battante semblait ne jamais s'arrêter de frapper la forêt.
Un coup de tonnerre retentit. Naomi sursauta et resserra ses genoux contre sa poitrine. Son petit corps frêle tressautait à chaque bourrasque. Son visage était blême et même ses taches de rousseur disparaissaient sur la blancheur de sa figure. Un vent glacial souffla et Naomi frissona sous son débardeur et son short.
Ses poils s'hérissèrent. Un sentiment de danger hurla dans sa tête. Naomi s'élança vers l'avant tandis qu'une immense mâchoire claquait à l'endroit où elle se trouvait il y a une seconde. Naomi commença à courir de toutes ses forces. Une masse gigantesque la poursuivit, ses quatre pattes foulant le sol avec régularité. Déjà Naomi s'essoufflait : son endurance de petite fille n'équivalait pas celle du molosse qui la pourchassait et ses pieds nus s'éraflant contre les branches la faisaient souffrir. Elle ralentissait sa course et le monstre n'allait pas tarder à la rattraper.
Alors, ravalant ses sanglots, elle puisa dans ses dernières forces et fonça à travers la forêt. Elle slalomait entre les arbres, sautait par-dessus les racines et évitait les branches basses. Bientôt, elle serait à bout de souffle. Le halètement puissant de la bête se rapprochait à chaque enjambée. Naomi sentit son courage la quitter. Elle flancha et s'étala de tout son long dans une clairière.
Le souffle court, elle peina à retrouver sa respiration. Pendant un instant, elle craignit qu'une crise d'asthme, auxquelles elle était accoutumée depuis son enfance, ne survienne. Mais l'air se fraya rapidement un chemin vers ses poumons et ce danger s'écarta.
Cependant, un autre ne tarda pas : d'un bond puissant, le monstre qui la chassait atterrit dans la clairière. Le sol trembla sous l'assaut de ce prédateur. Naomi, terrorisée, se pressa contre un arbre, tentant de se mouler dans l'écorce. Des larmes coulaient à présent sur ses joues. Amères. Salées. Telles un torrent de désespoir, elles dévalaient le visage de la petite fille et gouttaient de son menton. Face à la mort, Naomi abandonna tout.
Ses forces.
Son courage.
Son espoir.
Ne restait que la peur. Peur de la bête. Peur de la douleur. Peur de la mort.
L'énorme chose prit son élan et fondit sur Naomi, qui vivait sa dernière seconde en hurlant de terreur.

Naomi sentait l'haleine fétide de la créature lui souffler au visage. Mais la douleur de ses griffes déchirant sa tendre peau ne vint pas. Elle ouvrit prudemment un œil. Puis l'autre, abasourdie devant le spectacle qui s'offrait à elle.
La gueule grande ouverte du monstre était transpercée par une épée très fine que son propriétaire tenait à deux mains. Celui-ci était dos à Naomi, elle ne pouvait donc voir son visage. Ses courts cheveux noirs flottaient dans le vent et sa peau luisait sous la pluie et l'effort qu'il devait accomplir. Il retira sauvagement son épée du palais de la chose qui poussa un hurlement bestial. Elle reprit son élan et s'élança sur le jeune homme, ses yeux brillant de fureur. Il para l'attaque d'un élégant revers d'épée et enchaîna les coups avec une grâce et une efficacité redoutable. Le fer de l'épée ripait contre la carcasse de la bête et ce frottement provoquait des étincelles.
Naomi était tétanisée. Le combat acharné du jeune homme lui rappelait trop l'époque où elle allait observer son ami Edwin s'entraîner au camp. C'était la même technique, les mêmes parades, les mêmes coups. Aucun doute, le jeune homme était un Furailleur. La mélancolie frappa Naomi en même temps que le sentiment de danger. Elle devait partir. Les Furailleurs étaient devenus dangereux pour elle.
Sans un bruit, elle se leva. Elle recula sans quitter le combat des yeux. Doucement, elle s'éloigna de la clairière. Dès qu'elle n'entendit plus que les bruits de l'épée et de la cuirasse du monstre s'entrechoquant, elle se mit à courir.
Bientôt, plus aucun son de combat ne lui parvint. Elle s'autorisa alors à ralentir. Elle s'arrêta près d'un arbre pour récupérer son souffle. La pluie martelait toujours le sol de la forêt dans un fracas épouvantable.
Un rugissement se fit soudain entendre. Suivi par un galop furieux. Naomi sentit la terreur glacer son sang. Elle se jeta dans un buisson proche, tremblante de peur et de froid. Le galop effréné de la créature se rapprochait. Un coup de tonnerre retentit. Naomi serra ses genoux contre sa tête et ferma les yeux. Elle compta les secondes qui diminuait la distance entre la bête et sa cachette.
Quelque chose freina soudain devant le buisson. Un souffle rapide passa au-dessus de Naomi qui se recroquevilla le plus possible. Le monstre grogna et poursuivit sa route. Ses pas s'éloignaient de plus en plus. Bientôt, Naomi n'entendit plus que le hurlement du molosse.
Elle se releva discrètement. Ses muscles étaient endoloris et ses pieds meurtris par ses courses répétées. Un bruissement se fit entendre derrière elle. Elle se retourna vivement : le Furailleur était là, face à elle. Sa jambe gauche saignait abondamment et son épée pendait à ses côtés, brisée en deux. Son front trempé de transpiration, de pluie et de sang était recouvert d'un bandeau noir. Ses yeux verts brillaient de fatigue. Le combat avait été éprouvant.
Le Furailleur chancela et Naomi hésita. Devait-elle se remettre à courir et fuir ses erreurs passées, au risque de recroiser le monstre et de mourir ? Ou pouvait-elle se permettre de risquer sa liberté et d'accepter l'aide du Furailleur en échange de son obéissance ? Celui-ci s'était redressé et la regardait fixement, sachant pertinemment qu'elle était la cible de sa mission. Il semblait reprendre contenance et ne tarderait pas à prendre une décision pour elle.
Naomi fit son choix : quitte à s'enfuir encore et encore, mieux valait que ce soit des Furailleurs qu'elle connaissait que d'une bête dont elle ignorait tout.
Au moment où elle s'avançait pour rejoindre le Furailleur, une masse énorme tomba entre eux, propulsant Naomi loin du jeune homme. Elle atterrit lourdement sur un tapis de feuilles. Épuisée, à bout de force, désespérée, Naomi ne tenta pas de se relever. Elle resta à terre, sentant les gouttes de pluie s'écraser contre sa peau.
Ses yeux se fermèrent.

Mayappy♪

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