chapitre 14

517 19 13
                                    

Théo grandissait, il était beau et il commençait à avoir les mêmes yeux que son père : verts profonds. La ressemblance était frappante. Pour lui, j’essayais d’aller à la fac de droit, je le faisais garder soit par Trevor, soit par une baby-sitter. Je ne voulais pas que son propre avenir soit gâché par le mien. Il me souriait et parfois je sentais mon cœur chavirer dans ma poitrine. Sa fragilité, tout son petit être, me désarmait. Aujourd’hui j’avais prévu d’aller faire un tour au parc du quartier, lui dans son landau. Le soleil rayonnait, le ciel était radieux, désert de tout nuage.  Courtney et Juliette auraient dû venir, mais elles avaient toutes les deux des partiels à préparer, sachant que pendant tout le semestre, elles avaient passé la plupart de leur temps en soirée. Mon cœur se brisa quand je repensai à Caleb. Tout mon être était en manque. Je ne mangeais plus, je ne dormais plus comme avant, je ressassais les moments que nous avions passés ensemble, mais surtout je repassai dans ma tête la dernière fois que l’on s’était vus : « Je t'aime aussi, mais comment puis-je rester avec toi, avec ton gosse qui n'a pas une goutte de mon sang coulant dans ses veines ? » Ses mots résonnaient dans ma tête, me torturaient jour et nuit. Théo s’émerveillait devant la nature, il était très éveillé cet après-midi. Ses yeux s’agrandissaient et son corps s’agitait. J’aperçus Trevor dans une allée qui faisait son jogging :

« -Hey !

- Hein ? Ah, c’est toi Eden », s’exclama-t-il. « Ca va ?

-Oui, mieux qu’hier et toi ? », mentis-je.

-« Cool ! Moi ça va. » Il marqua une pause.  « C’est vraiment fini entre toi et Caleb ?

-Je suppose…

-Ok, vu ta tête il faut que tu te changes les idées. Tu veux pas que je passe chez toi après mon sport ?

-Oui je veux bien, ça serait pas mal. »

Le début du repas se fit dans le silence, puis je pris la parole :

« -Tu sais, je suis vraiment désolée, je n’ai pas à te faire subir ça. C’est pas juste, je veux dire, t’as rien fait. J’aurais dû me maîtriser et engueuler le et la responsable. Quoique ce soit dur de s’engueuler soi-même. »

J’étais idiote, c’était fou.

« -Oww trop mignonne », commença-t-il en riant. Je voulus protester mais il continua : « Non non je ne me fous pas de ta gueule, calme-toi. Fin si un peu, mais j’accepte tes excuses. En même temps, je te comprends. Moi aussi j’aurai pété un câble. C’est un putain de salaud. Il te trompait avec tout ce qui bouge, et même si c’est dur pour l’instant, je sais, je ne crois pas qu’il était bon pour toi. 

-Comment tu peux dire ça ? Tu le connais pas ! Tu sais pas ce qu’il a fait en soirée que je sache t’étais pas avec lui ! Comment tu peux savoir ce qu’il faisait putain ?

-Tout le monde était au courant, mais il y avait juste toi qui te voilais la face. Le truc, c’est que tu voulais pas voir la vérité parce que tu l’aimes, voilà la vérité ! »

Je ne répondis pas, je gardai les yeux baissés et les poings serrés.

« -Je…

-Le pire c’est que tu as raison », murmurai-je, un sourire amer s’accrochant à mon visage. « Je le sais depuis le début, tu vois. Mais je suis passée au dessus de ça, parce qu’il est une drogue pour moi, tu comprends ? J’arrive pas à m’en détacher, j’arrive juste pas à tourner la page. Mais c’est fini, maintenant, hein ? Ouai c’est fini, et je suis debout quand même, mais j’ai mal. Alors m’envoie pas tout ça à la gueule, s’il te plaît.

-Désolé, Eden. J’aurais pas dû dire ça.

-T’inquiète. »

Il partit vers 14 heures, me laissant seule dans mon appartement, je le trouvais trop grand maintenant, et dans un même temps je me sentais oppressée.  Je ne comprenais pas pourquoi  il y avait des filles faciles, et des garçons séducteurs. Si une fille couchait avec un garçon pour une nuit, elle en avait peut-être, et même sûrement aussi envie que lui.  Et elle avait peut-être quelque chose à oublier. Parce que cette nuit-là, j’avais beau être dans un sale état, une certitude était gravée dans ma tête : Caleb couchait avec une autre fille, en ce moment-même. Si je ne le surveillais pas, il lui suffisait juste de rester un quart d’heure à parler avec la fille qu’il voulait baiser. Et l’affaire était faite.

 J’avais une seconde certitude : j’étais atrocement jalouse. Rien que d’avoir cette pensée me tordait le ventre, et j’avais besoin de boire pour oublier. Il fallait que je casse avec lui, mais ne pas être à ses côtés était pire. Je croyais que je n’étais pas une de ces filles, qui se laissaient traiter comme un chien juste parce qu’elles n’avaient pas le « courage » de rompre. Mais quand je lui avais parlé la première fois j’avais su que je ne pourrais plus jamais me passer de lui, même si j’allais beaucoup souffrir. Notre relation était malsaine depuis le début. Mais je n’avais pas eu le choix, vu que j’étais amoureuse et que mon amour était viscéral. S’il avait été à moi entièrement, j’aurais tout de même souffert le moindre centimètre qui séparaient nos deux peaux. Il était cruel.  Pas qu’il en soit conscient, non. Ces filles-là, celles d’un soir, c’était juste du sexe. Juste.

 J’aurais tellement voulu être la seule à pouvoir le toucher, je voulais qu’il soit mien. Mais c’était impossible, parce qu’il n’avait pas les mêmes valeurs, ni les mêmes normes que nous. Caleb était animal, il agissait sans se rendre compte des conséquences. Il m’aimait toujours, à sa façon. J’étais la femme vers qui il revenait à chaque fois, son point de repère. Et je me taisais, parce qu’il n’y avait rien à dire. Parfois, j’arrivais dans ma chambre, et je jetai tous les objets en ma possession sur un des murs. Tout ce qui ne pouvait pas se casser. Mes cahiers, mon maquillage, mes livres, ma couette, mon oreiller. Puis,  je m’asseyais sur le sol à regarder le chaos que j’avais orchestré. Et je me disais intérieurement que ce chaos était bien calme par rapport à celui dans ma tête. C’était comme si je comparai une bibliothèque nationale avec un slum indien.Ce maelstrom n’avait pas la même échelle. 

Peut-être que j’avais eu besoin de cette nuit, après tout. Inconsciemment, c’était peut-être ma façon de me détacher de lui. Il fallait une bonne raison, une raison bien rationnelle pour nous séparer. Par exemple qu’il ne soit pas le père de mon enfant. Mais je n’avais pas mesuré à quel point ça allait faire mal, c’était quand même une sorte d’inconscience. Même s’il me faisait mal, j’aurais peut être dû rester avec lui. Maintenant, il y avait Théo, et Théo était un être humain qui ne méritait pas que sa mère se transforme en loque. Sans lui, je pensai que j’aurais passé une étape.

 Un soir, je serais rentrée, et j’aurais énuméré toutes mes raisons de vivre. Et il n’y en aurait eu aucune. Il était à la fois la raison de mon malheur et la source de mon bonheur.  J’aurais peut-être dû reconsidérer l’offre de tyler. On aurait pu baiser ensemble. Bien sûr, il ne remplacerait jamais Caleb. Ce serait un substituable, comme pour les drogués. Logiquement, quand on était en phase de désintoxication, il y avait une phase entre être drogué et aller mieux. On ne savait jamais,  cette guérison pouvait être rapide. Je ne voyais pas pourquoi j’aurais eu des remords puisque Tyler avait aussi quelqu’un à oublier apparemment.  Mais je me trompai peut-être sur Caleb, il s’en voulait, sans doute.  Je pris machinalement mon téléphone et composai le numéro de Tyler, il me l’avait donné sur facebook juste avant que je parte le rejoindre au pub. On ne savait jamais, ça pouvait être une idée un peu moins pire que de se suicider.  

On a toujours le choixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant