Chapitre 8

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Dans notre rue, je rejoins Taylor qui, comme toujours, est belle à couper lesouffle. Elle est habillée d'une veste en cuir, d'un jean slim et d'une paire debottes montantes. Ses cheveux sont attachés en une haute queue de cheval.Quelques mèches s'en échappent pour encadrer son visage fin. Le rouge à lèvresflamboyant qu'elle a mis la rend encore plus féminine qu'elle ne l'est déjà.

Autant dire tout de suite que ma confiance en moi n'est pas au beau fixe avecmon simple manteau, mon petit pull en cachemire et mon pantalon. L'écharpeclaire autour de mon cou amène tout de même un peu de gaieté à mon teint. 

Pendant le trajet, Taylor parle beaucoup et me fait rire en me racontant desanecdotes du lycée. Elle m'avoue aussi qu'elle souhaite devenir mannequin plustard. Mon éclat s'évanouit dans la nuit en découvrant que nous sommes en pleincentre-ville et qu'aucun bowling n'est à portée de vue. Au contraire, ma nouvelleamie s'approche d'un bar.

— Euh... Taylor, l'appelé-je. 

Par-dessus sa fine épaule, elle me jette un coup d'œil et s'arrête. 

— Nous n'étions pas censées aller au bowling ? 

— Changement de programme. 

Les gars nous invitent à boire un verre.Les gars ? Est-ce que Jase est là ? Je suis tiraillée entre l'envie de le voir et lecontraire, encore gênée par ce qui s'est produit dans la cabane. Taylor se placeface à moi.

— Au fait, Malia, il faut que je te confie un truc. Je n'en ai pas parlé aux fillesparce que je les connais, elles vont me juger. 

Pour qu'elle me révèle quelque chose qu'elle ne dira pas à ses plus anciennesamies, c'est que je dois compter pour elle. Touchée, je la rassure d'un sourire etl'invite à poursuivre. 

— Tu te rappelles vendredi, au lycée, lorsque nous étions au coin fumeur etque Jase est venu me voir ? 

Oh non... Ça ne va pas me plaire. Tout en redressant le menton, je tente degarder la face. Je ne dois rien lui montrer de mes émotions... contradictoires.

— Oui, je m'en souviens.

 L'appréhension est à son maximum. Mon cœur s'accélère. Que va-t-ellem'annoncer ? Je m'attends à tout sauf à ce qu'elle me lance, le sourire montéjusqu'aux oreilles :

 — Il veut qu'on ressorte ensemble.

L'expression « mourir sur place » prend tout son sens. Quelque chose dedésagréable pique ma poitrine. Pas parce que je suis amoureuse de lui, loin de là,mais parce que je viens de comprendre qu'il s'est joué de moi.

— Qu'est-ce que tu lui as répondu ? demandé-je, la gorge nouée.

 Paraître décontractée n'est pas une mince affaire. Jase a réveillé un nouveausentiment en moi : la colère. J'ai beaucoup souffert, j'ai vécu et vis encore deschoses qu'aucune adolescente ne devrait endurer, mais, à part mon père, je n'aijamais été autant furieuse envers quelqu'un. Peut-être parce que je me suisimaginée dans un livre. Celui où la naïve et gentille fille rencontre un mauvaisgarçon et le change en un claquement de doigts. Les auteurs se rendent-ilscompte des bêtises qu'ils écrivent ? Dans la réalité, un connard reste un connard.

— Je le fais languir, qu'est-ce que tu crois ? Il m'a jetée comme une vieillechaussette, à lui de montrer qu'il me veut.

 Pas le temps d'assimiler ses paroles qu'elle m'attrape le coude pour m'attireravec elle vers le bar. À travers la vitre, j'aperçois deux garçons, Ethan et... Jase.Il faut que je fasse demi-tour ! Mais Taylor me pousse presque à l'intérieur etm'emboîte le pas. À contrecœur, j'avance en traînant les pieds. Nous passonsdevant une scène où un homme, une guitare à la main, joue un air de Bob Dylan.L'endroit est peu éclairé, il y a beaucoup de bruit et ça sent l'alcool et latranspiration. Trop étroit pour le monde présent, ce bar ne me plaît pas du tout. 

Pourquoi les filles ne sont-elles pas encore là ? J'ai besoin de l'humourd'Emily pour me changer les idées. 

— Ah enfin ! On vous attend depuis dix minutes, les autres ne peuvent passortir, crie Ethan pour se faire entendre.

 Avec regret, je comprends alors que nous ne serons que tous les quatre. Taylorgrimpe sur le haut tabouret en bois face à Jase en lui adressant un sourireéblouissant, mais c'est moi qu'il observe. Embarrassée, je prends place devantEthan.

— C'est sympa que tu aies pu venir, déclare ce dernier.

Une grimace crispée, c'est tout ce que je suis en mesure de lui offrir. Lesgarçons commandent deux bières et Taylor un mojito. Comme il est hors dequestion que je consomme de l'alcool, j'opte pour un soda. Taylor et Ethan enprofitent alors pour me taquiner et Jase me fixe encore. Depuis que je suisarrivée, il n'a pas dit un mot.

Taylor me donne un coup de coude.

 — Au fait, je ne sais même pas pourquoi tu as quitté New York pour un trouperdu comme High Beach.

 C'est une chance qu'avant de sortir, j'ai pensé à réviser mon texte. 

— Ma mère a été licenciée et a fait une petite dépression. Alors elle a décidéde changer de vie et je l'ai suivie. 

Est-ce que mon nez va finir par s'allonger comme Pinocchio ? 

— Et ton père, où est-il ? 

Le verre à mes lèvres, je me retiens de justesse pour ne pas recracher maboisson. Non... Pas cette question...

 — Il est parti juste après ma naissance. 

Encore un mensonge. Ma voix est assurée, mais mes mains tremblent. 

— Oh, comme Jase, déclare Taylor sans gêne. Enfin, lui, c'est sa mère.

 En un rien de temps, le concerné la fusille du regard.

 Taylor ne le remarquemême pas et continue de me sourire. Elle ne peut pas balancer ce genre dechoses comme ça ! J'imagine que pour Jase, c'est lourd à porter et qu'il n'a pasenvie d'en parler à n'importe qui. Après un dernier coup d'œil mauvais endirection de son ex, il soupire et boit une gorgée de sa bière. 

Même si je n'ai pas vécu l'abandon de mon père, c'est à cause de lui que nousen sommes là aujourd'hui, ma mère et moi. 

the hidden secretOù les histoires vivent. Découvrez maintenant