Les branches craquaient sous ses pieds. L'herbe détrempée émettait un bruit sourd à chacun de ses pas. Sigváld était aux aguets. Difficile de ratisser toute la forêt à la recherche du monstre à ce rythme là, mais adopter une allure de course risquait d'être beaucoup moins discret. S'il venait à se faire prendre par surprise, la tâche serait alors bien moins facile surtout que le jeune prince ne savait ni à quoi ressemblait le cyclope ni où il pouvait se trouver. Il erra ainsi, seul dans la forêt, tous les sens à l'affût du moindre bruit, durant de nombreuses heures . Alors que le soleil arrivait à son zénith, Sigváld aperçut une forme grise et immobile à travers les rochers. Il prit l'initiative de contourner le lieu pour venir se hisser par delà le promontoire, de façon à se trouver juste au dessus de la bête. Elle semblait dormir adossée contre un rocher, profitant des rayons du soleil perçants à travers les branches aux feuilles orangées. Le jeune prince saisit sa lance à pleine main, d'ici, il pourrait aisément viser la nuque du monstre.
"-Tu t'es égaré en choisissant ton chemin... Cela pourrait te coûter la vie."
La voix semblait s'élever des profondeurs même de la terre, comme nourrie par elle, caverneuse, puissante, terrorisante.
Sigváld en resta figé sur place, pris de panique. La masse de pierre se redressa, s'imposa à lui de toute son immensité. L'unique œil du monstre le fixait avec insistance, son énorme main grise s'approcha dangereusement du cou du jeune homme à la chevelure dorée. C'est à ce moment que Sigváld sortit de sa torpeur et fendit l'air avec la pointe de sa lance en poussant un hurlement, prêt à l'attaque. La lame trancha sec, entaillant largement la peau du cyclope du dessus de l'index jusqu'au poignet.
"-Oh... un guerrier? Lança-t-il avec une sorte d'horrible sourire. J'imagine que c'est le chef d'un de ces villages piteux en aval qui t'envoie?"
Cette voix... cette voix reflétait la puissance toute entière de son être, Sigváld se sentait comme écrasé sous la voix tonitruante de Dramélor. N'obtenant aucunes réponses de la part du jeune homme, le monstre continua:
"-Tu as dû gravement fauté pour que l'on t'envoie à moi? Mais assez discuté, ils auraient dû choisir quelqu'un de plus vieux, la perte aurait été moindre pour toi comme pour ceux qui t'ont envoyé."
Sur ces mots, Dramélor fixa son interlocuteur durant quelques instants avant de violemment balayer l'air de sa main tachée de sang, emportant Sigváld dans son élan. Celui ci retomba dos contre un rocher, le souffle coupé. Il se tâta les côtes du bout des doigts, deux d'entre elles étaient fêlées ou brisées. Sa lèvre supérieur saignait abondamment. Dramélor abattit une fois de plus son large bras sur le sol. Le jeune guerrier parvint tout juste à rouler sur le côté pour esquiver et à se relever en prenant appuie sur sa lance tombée au sol. Chaque mouvement le faisait atrocement souffrir. Sortant son épée de sa ceinture, il se mit à courir comme il le pouvait en trébuchant et en soulevant des mottes de terre sur son passage. Dramélor le poursuivait de son pas lourd et lent. Prendre de l'avance sur le monstre était, pour l'instant, la seule chose à faire. Une fois le cyclope perdu de vue, Sigváld s'assit un court instant afin de reprendre son souffle. Le sol de la forêt était tapissé de feuilles mortes, il ne serait pas compliqué de se dissimuler dans les sous-bois. Sigváld changea de direction en prenant bien garde de ne laisser aucunes traces sur le sol. Après deux heures de course effrénée, le jeune homme repéra un ensemble de rochers, il entreprit alors de ramasser des feuilles, par petits tas pour ne pas attirer l'attention, et de les ramener au creux des rochers. Il détacha sa cape de son cou et s'en servit comme d'une couverture, son sac de voyage lui tint office d'oreiller et, une fois le corps recouvert de feuilles d'arbres, il put enfin souffler et fermer les yeux. Le jeune guerrier était en piteux état, jamais il n'avait autant souffert. Il avait beaucoup de mal à respirer et son visage était maintenant couvert de sang et de terre. Deux heures passèrent ainsi, le regard aux aguets en attendant que la nuit tombe enfin. Une fois le ciel noir et clairsemé d'étoiles, Sigváld ferma les yeux et s'endormit, la main posée sur la garde de son épée d'argent.
Ce fût la fraîcheur du matin et le chant des oiseaux qui le réveillèrent le lendemain matin. Le jeune homme se leva difficilement et quitta son campement le plus vite possible. La faim le tenaillait à présent et Sigváld commença à pister un lapin qu'il avait aperçu courir entre les arbres. La besogne fût vite accomplie, le lapin était gras mais faire un feu pour le cuire risquer d'attirer l'attention du cyclope. Le guerrier blessé exposa la viande de l'animal au soleil sur un rocher afin de la faire& sécher. Pendant que la viande durcissait sous les rayons du soleil, Sigváld s'occupa de chercher des plantes à effets curatifs et de bander ses blessures superficielles mais ses côtes le faisaient encore horriblement souffrir. Il passa une grande partie de sa journée à se reposer et à se soigner en attendant le coucher du soleil.
*
Dramélor avait perdu la trace de l'homme au cheveux blonds dans l'après-midi. Il avait hurlé sa rage à travers toute la forêt avant de retourner à l'endroit même où Sigváld l'avait trouvé. Le jeune guerrier viendrait le chercher, il en était convaincu, et quand il s'approchera, alors cette fois ci, il n'en réchapperai pas. Aucuns humain n'avait osé porter la main sur lui depuis la mort de la jeune fille. Son corps fragile s'était brisé entre ses mains comme une feuille par temps d'automne. Il en sera de même pour ce perturbateur, ce guerrier à la lance aiguisée mais à l'esprit faible. Dramélor chassa donc en attendant la venue du soir. Attraper un cerf et lui briser le cou d'un simple tour de main était plus délectable pour lui que le goût de la chair fondant dans sa bouche. Il aimait beaucoup tuer les animaux, pas nécessairement pour se nourrir d'ailleurs, juste pour le plaisir de voir leurs pupilles sans vie rouler dans leur orbite pendant que le corps s'agitait encore, sous l'effet des nerfs. Assis contre un rocher, proche de l'endroit où il avait vu l'ombre de son ennemi se glisser derrière lui, Dramélor dégustait une cuisse de cerf, attendant que tombe la fatigue. Il ne craignait pas le petit soldat. Les paupières se faisant lourdes, le gigantesque cyclope, fléau des terres du nord, ferma les yeux quelques minutes. Il rêvait encore de cette horrible journée, une mélodie, chantée par une jolie voix, un cri strident, une course puis le bruit sourd provoqué par la chute du cadavre encore chaud de la jeune fille. Une douleur cuisante sur le haut du crâne, une sensation atroce, un liquide chaud coulant sur ses joues. Ce n'était pas un rêve cette fois, Dramélor tenta d'ouvrir l'oeil, paniqua, tout ça se fit en quelques fractions de secondes, il eût froid, ses dernières pensées se tournèrent vers cette jeune et jolie habitante de la forêt et soudain, il ne ressentit plus rien.
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La Dernière Marche du Nord
FantasyDans les royaumes du Nord, où le roi Angvár règne d'une main de fer, une créature incomprise et impitoyable décime la population avoisinante dans un désir de vengeance malsaine. Le fils du roi, Sigváld, décide de libérer ses terres du fléau qui l'ha...