-CHAPITRE VI-

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 La trajectoire du soleil commençait à décliner dans le ciel et Sigváld se dirigeait au trot vers la cité. Son père lui avait intimé l'ordre de rentrer quelques heures avant le début du banquet afin qu'il se prépare et qu'il sache la façon dont il allait faire son récit. Arrivé au château, il se précipita vers ses quartiers, où il n'avait pas encore mis les pieds depuis son retour. En vue d'un discours avec les personnes les plus importantes politiquement aux yeux de son père, Sigváld choisi rigoureusement les habits avec lesquels il se vêtirait. Une fois propre et habillé, le jeune prince descendit rejoindre son père.

«-T'es tu préparé à parler à la foule, mon fils?

-Pas réellement père, mais je ne pense pas avoir besoin de me préparer, les souvenirs sont encore frais dans ma tête, et les cicatrices, elles, n'en sont pas encore malheureusement. Je narrerai mon combat de la même façon que je l'ai vécu.

-Non. Non, tu ne peux pas faire ça. Tout conteur se doit d'enjoliver son récit, c'est ce qui détermine son talent. Par ailleurs, si les conviés apprennent que tu as dû fuir et te cacher avant de tuer le monstre, ceux qui te haïssent déjà ne manquerait pas de faire courir des rumeurs désagréable. Ces lâches ne seraient pourtant pas capable d'accomplir ne serait-ce qu'une infime parcelle de tes exploits guerriers.

-Je ne comprends pas, comment certains peuvent-ils me détester? Je n'ai commis contre eux aucun griefs et n'ai pris aucune décisions importantes!

-Tu as encore beaucoup à apprendre sur les comportements humains, mon fils. Certains chefs de village te détestent du simple fait que tu es mon fils, et qu'ils me haïssent tout autant. Ceux-là sont cependant trop curieux pour ne pas assister à ce banquet exceptionnel et heureusement, peu nombreux. Mais ils représentent tout de même une menace et tu devras t'en méfier lorsque tu monteras sur le trône, peu importe la raison de leur colère, impôts trop élevés à leur goût, terrain mal réparti, leurs prétextes pour t'en vouloir et se débarrasser de toi sont multiples. Le plus souvent, cela vient de querelles entre villages avoisinants, je suis juge dans ces situations et mon choix ne plais généralement guère à celui contre qui va mon jugement. Je t'indiquerais de qui tu dois te méfier à un moment plus opportun, pour l'heure tu te dois de réfléchir à ce que tu vas dire ce soir.

-Je dois avouer que mentir à mon peuple avant même de porter la couronne ne me convient guère.

-Tu feras ce que je te dicte, tu es peut-être le prince de ce royaume mais je suis encore ton roi, tu feras ce que je t'ordonne!

Après cette poussée de colère, le roi fixa longuement son fils dans les yeux qui ne détourna pas non plus le regard.

-J'agis pour ton bien Sigváld, ce que tu as fait dans ces bois est prodigieux, peu importe la façon dont tu l'as fait. Tout ce qu'a besoin de savoir le peuple c'est que tu nous a libéré du fléau. Nous pourrons aménager ces bois, s'en servir, couper des arbres pour avoir du bois, y faire passer une route commerciale reliant la cité avec d'autres villes plus au nord. Il y en d'autre Sigváld, tu ne connais que cette ville gigantesque et ses villages pittoresques l'avoisinant. Des villes de taille honorable se dressent également dans les royaumes du Nord et tu seras chargé de les visiter aussi, car elles seront bientôt sous ton contrôle. Je te demande simplement de tout faire pour ne pas te mettre ces nuisibles à dos, qui sait ce qu'ils sont capables de faire? Bien que les mots «rébellion» et «renversement» ne remontent jamais jusqu'aux oreilles du roi et de sa cour, ne croit pas pour autant qu'il ne sont prononcés dans aucune bouches.

-Je devrais donc narrer une version erronée de mon combat... Bien, si c'est ce que vous souhaitez père, je le ferai.

-Il te reste encore du temps afin de réfléchir à la version que donneras aux conviés. Ne me déçois pas.

Quelques temps plus tard, alors que la lune s'était déjà installé timidement dans le ciel bleu noir de la nuit, les premiers invités commencèrent à franchir les portes de la ville. Des chefs de villages alentours, comme prévu, mais également des nobliaux et de riches personnalités trop contentes de pouvoir se montrer à la capitale en de telles circonstances. Sigváld, s'attendant à une nuée de questions de la part de ces gens se retira dans ses quartiers en attendant que l'on vienne le mander à la grande salle. Il n'avait pas peur de toute cette assemblée, des centaines de personnes pouvaient aisément loger dans la salle aménagée à l'occasion du banquet, mais une fois son discours prononcé, une fois la population avide de questions rassasiée, le vin et la viande coulerait à flot, le roi aimait ces banquets festifs où les cris et la musique produisait un vacarme audible jusqu'au cœur de la ville, en contrebas. Le prince pourrait alors retrouver sa bien-aimée et lui consacrer un peu de temps, bien qu'il l'ait courtement entrevue l'après-midi, cela faisait longtemps maintenant qu'il n'avaient pas passé une nuit d'amour, un moment seul et intime où ils pouvaient se retrouver juste tous les deux. Depuis la veille de son départ. Si Idvír vivait dans un village proche de la ville, elle passait bien la moitié de son temps à la capitale. Sa mère était chargée de représenter son mari auprès du roi grâce à un relais de messager et son père lui avait donné l'autorisation de l'accompagner régulièrement afin d'apprendre les manières de la cour. Le page que l'on avait envoyé convier Sigváld au banquet le trouva debout dans sa chambre, face à la fenêtre, contemplant la vue donnant sur toute la ville éclairée, plus bas. La fête se rependrait à coup sûr dans une grande partie de la ville et l'ambiance serait à la beuverie, à la musique et à la danse cette nuit là.

«-Monseigneur, le roi vous demande, l'assemblée est réunie et les convives vous attendent.»

Sans un mot, la démarche rigide, le jeune homme se dirigea vers la grande salle. Il franchit la porte d'un pas assurée et tous les regards se tournèrent vers lui. Qu'il était élégant, dans sa tenue de cuir et sa cape bleue agrémentée d'une épaisse fourrure lui recouvrant les épaules. Ses longs cheveux blonds et raides coiffés en nattes tombaient jusqu'au milieu de son dos, ses yeux bleus fixés vers l'estrade sur laquelle se tenait son père et le trône. Sa démarche était fière, son épée d'argent fixée à sa ceinture de cuir, Sigváld suscitait l'admiration de toute l'assemblée. Idvír se trouvait également dans la salle et bien qu'il ne la vit pas, cela lui redonna courage pour ce qui l'attendait. Le gigantesque hall s'étalait sur plusieurs mètres et contenait plusieurs centaines de personnes, toutes assises autour de tables de bois sur lesquels trônaient quelques assiettes composée de hors d'œuvre et des pichets de vin tout droit sorti des caves personnelles du roi. Les tables avaient été installées de façon à former un long couloir pour permettre le passage du roi et de ses poches. Tout le temps que dura sa lente marche,le silence se fit d'or dans le grand hall. Une fois arrivé sur l'estrade, il eut une vue panoramique de la salle et s'aperçut du nombre de yeux le fixant avec curiosité. Soudain, Sigváld fut pris d'angoisse et tenta de se calmer en respirant lentement. Il n'avait pas encore prononcé un seul mot depuis son entrée dans la salle du banquet et les convives attendaient impatiemment. Une fois calmé, le prince scruta attentivement le fond de la salle, ferma les yeux un instant et entama le récit de ses aventures.





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