Sigváld n'avait pas attendu le lendemain pour rendre visite au roi. Sitôt les prêtres entamé le chemin du retour, il s'était rincé le visage à l'eau froide, avait rajusté sa longue queue de cheval et s'était élancé d'un pas rapide dans les grands couloirs de la demeure royale. Il ne lui fallut que quelques minutes pour atteindre les appartements de ses parents. Malgré l'heure tardive, il savait pertinemment que ni le roi ni la reine ne dormaient, ils devaient probablement tous deux être très angoissés par les événements récents, et à raison. Le prince fut arrêté et interrogé à l'entrée de la grande porte menant au bureau de son père.
«- Je dois parler au roi, tout de suite, ouvrez-moi.»
Les deux gardes hésitèrent quelque peu mais le regard insistant du jeune homme poussa l'un d'eux à aller annoncer sa venue à ses parents. Il revint quelques minutes plus tard et invita Sigváld à entrer.
«- Père, mère. Navré de vous déranger à une heure si tardive mais ce que j'ai à vous dire ne peut attendre.
-Tu as bu. Remarqua calmement Elda.
Sigváld ignora le reproche.
- C'est moi qu'ils veulent.
En disant cela, il regarda tour à tour son père puis sa mère. Si le premier paraissait tout à fait calme et serein, la reine écarquillait grands les yeux, abasourdie.
- Quoi? Mais qui te veut? De quoi est-ce que tu parles?
- Le Temple. Lui répondit son mari.
La voix d'Angvár trancha nette, comme une lame de couteau. Il avait compris, il savait depuis le début, ou du moins il le soupçonnait. La reine aussi, au courant de tous les événements survenant dans le royaume, avait tout de suite compris. S'ensuivit un silence pesant pendant quelques secondes.
- Tuons les! L'ordre avait jailli avec colère de la bouche d'Elda et l'on pouvait voir, à sa mâchoire crispée qu'elle luttait pour contenir ses larmes.
- Non, nous ne pouvons pas faire ça. Le regard haineux, le roi crispa les poings avant d'abattre violemment le droit sur la table avec un hurlement de rage.
- Venir sous mon propre toit, pour oser menacer mon fils lorsque j'ai le dos tourné? Que me propose le Temple? Troquer la vie de mon fils unique, ma propre chair, l'héritier du royaume, contre une vulgaire statuette dorée? Le roi fulminait, se faisant, il attrapa justement cette dernière et l'abattit avec fracas contre l'épais mur de pierre. La statuette retomba sur le parquet du bureau, nullement endommagée, la pointe de sa petite épée, pointée vers le roi, comme en signe de provocation.
*
«Je les convoquerai demain à une audience.»
Tels avaient été les derniers mots du roi à l'encontre de Sigváld. Il s'était ensuite retranché dans sa chambre, refermant la porte derrière lui, le laissant seul avec sa mère. Durant un court instant, il crut que celle-ci allait éclater en sanglots devant lui mais elle n'en fit rien. Elda ravala ses larmes et se nicha entre les bras de son fils désormais bien plus grand qu'elle. Celui-ci lui rendit son étreinte sans dire un mot.
«- Je ne les laisserai pas faire.»
Sigváld ne répondit rien, embrassa sa mère sur les deux joues et quitta la pièce. Il emprunta les couloirs du château tout en songeant aux conséquences que pourraient avoir de tels événements à l'échelle du royaume tout entier. Le Temple possédait de très nombreux partisans et chaque habitants du royaume vouait un culte à Gauriandre. Si le roi entrait en conflit avec le Temple, alors les répercussions en seraient catastrophiques. Les leçons d'histoire dont lui avait dispensé le mestre du château lui avaient appris qu'une guerre avait déjà opposé le Temple au pouvoir royal. Les prêtres ne se battaient pas et n'avaient reçu aucun enseignements militaires mais en cas de conflit, ils trouvaient aisément de fervents adeptes prêts à se battre pour les protéger. Des mercenaires pourraient tout aussi bien faire l'affaire, les caves des temples habités par les prêtres étaient toutes remplies de richesse, d'offrandes et de pierres précieuses. Le Temple dans son intégralité pouvait facilement se constituer une armée imposante. Il s'était déjà battu contre le roi, Sigváld ne l'ignorait pas, et cela s'était terminé en un bain de sang.
*
Lorsqu'il rouvrit les yeux le lendemain matin, la tête d'Ome le faisait atrocement souffrir. Il ne conservait que peu de souvenir de la veille, mais quand il dut soutenir les regards de ses frères, lourds de reproches, il comprit qu'il en avait sûrement dit plus qu'il ne le fallait. En silence, il traversa la grande pièce pour s'asperger la tête avec de l'eau fraîche qu'une servante avait apportée à leur intention. Sans qu'il ait besoin de prononcer le moindre mot, on lui rappela les événements de la soirée. Ils avaient bu, mangé et ri, ils s'étaient laissé manipulés par le prince qui n'attendait que l'ivresse de l'un d'entre eux pour apprendre la véritable raison de leur long voyage: convaincre le roi d'apaiser la colère de Gauriandre. Les répercussions allaient être terribles s'ils ne parvenaient pas à livrer Sigváld en sacrifice. Le créateur allait abattre sa colère sur les humains, quels qu'ils soient, des dizaines de villages allaient être détruits, peut-être même des villes entières. Personne n'avait encore pris l'initiative d'annoncer à Angvár cette tragédie, mais annoncer ouvertement au prince qu'il lui faudrait mourir était probablement la pire des choses à dire. Seulement Ome ne se souvenait pas d'avoir tenu de tels propos. Les relations entre le roi et le Temple allaient gravement s'envenimer, et il y était pour quelque chose. Le jeune homme avala quelques bouchées sur le plateau d'argent qu'on leur apporta et pria, toujours silencieux. Lorsqu'il se releva, quelques minutes plus tard, il s'excusa longtemps devant ses frères, tout en sachant qu'une aussi lourde erreur ne lui serait pas pardonnée si rapidement. Alors que les premiers rayons du soleil commencèrent à percer le ciel encore sombre, trois coups se firent entendre à la porte. On les emmenait chez le roi.
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La Dernière Marche du Nord
FantasyDans les royaumes du Nord, où le roi Angvár règne d'une main de fer, une créature incomprise et impitoyable décime la population avoisinante dans un désir de vengeance malsaine. Le fils du roi, Sigváld, décide de libérer ses terres du fléau qui l'ha...