Une brise fraîche venue du nord faisait virevolter une feuille orangée tombée d'un arbre quelques jours plus tôt. L'herbe verte de la vallée se courbait sous l'effet du vent. Des petits bruits animaux venaient perturber le silence total de la nature. A travers le ciel grisâtre, quelques rayons de soleil parvenaient à percer les nuages et à venir chauffer quelque peu les prêtres habituellement cloîtrés dans leur temple de pierre. Par beau temps, il était courant d'observer des prêtres priant au soleil. Mais le beau temps n'était justement pas présent aujourd'hui. «Priez au dehors; leur avait dit frère Osmond; il nous faut être le plus proche de sa création pour parvenir à communiquer avec lui! Unissez vos esprits, concentrez vous, il nous faut l'avertir de ce qu'il s'est produit, sans quoi sa colère serait si terrible que même notre foi ne nous protégerai pas!» Communiquer avec Gauriandre, en voilà une idée, pensait le jeune Ome. Intégré au temple dès son plus jeune âge, sans qu'on ne se soit pris la peine de lui demander son avis par ailleurs, Ome était devenue il y a peu un frère à part entière, à l'égal de n'importe quel prêtre présent dans la cour. Un cyclope était mort, on le savait maintenant, frère Osmond l'avait senti et personne n'osait mettre sa parole en doute. Bien que lui même n'eut pas ressenti le moindre picotement, certains habitants du temple avaient eux aussi perçu un grand trouble sans pour autant en connaître la source. Ome étudiait depuis plus de dix ans les différentes formes de vie créées par le Tout-Puissant et les cyclopes étaient sans conteste la plus ancienne et la plus puissante. Si un homme était parvenu à tuer l'un des leurs, la colère de Gauriandre serait dévastatrice, et il se pourrait que, dans un accès de rage de sa part, toute l'humanité soit détruite. Osmond avait alors immédiatement fait sonné la cloche et rassemblé tous les prêtres dans la cour principale. D'après lui, en unissant leurs forces et en priant continuellement tous ensemble ils parviendraient à entrer en contact avec leur créateur. Une idée absurde pensaient certains, une mission capitale pour d'autres. Toujours était-il que le choix ne leur était pas donné. Deux jours qu'ils se relayaient, pour manger, dormir et maintenir au moins cent prêtres agenouillés au soleil priant le Tout-Puissant de leur répondre. Alors qu'Ome n'en espérait plus rien, Osmond annonça à ses acolytes avoir perçu quelque chose. En effet, quelques heures plus tard un grondement sourd se fit entendre, ce bruit presque inaudible dura longtemps et semblait provenir des entrailles même de la terre. Au fil des heures, avec les encouragements de frère Osmond les intimant de continuer leur prière, le bruit se fit plus présent. Alors que le sol semblait prêt à se dérober sous leurs genoux souillés de sang à force de prier, les prêtres continuèrent leur discours en tremblant. Le capuchon de leur tenue jaune et écarlate entièrement baissé recouvrait leur visage jusqu'aux lèvres et il était impossible pour tous de reconnaître précisément un de ses frères. Leur capuche était à la fois le signe de leur appartenance au Temple, l'outil leur rappelant constamment leurs vœux et une aide à la prière. En effet, ne pas pouvoir voir, même en ouvrant les yeux permettait de se concentrer plus aisément, et leur tenue était aussi leur bouclier. Personne n'osait s'attaquer à un membre du Temple, même les bandits de grand chemin les laissaient tracer leurs routes, sachant qu'ils ne possédaient rien de valeur. Leur serment était également brodé à l'intérieur de leur capuche de sorte qu'en ouvrant les yeux pendant la prière, ils n'apercevaient rien d'autre que ces lettres leur rappelant leur serment de servir le grand Gauriandre et sa création. Les secousses avaient fini par produire de petites fissures dans le sol pavé de la cour et celle-ci s'élargissaient à l'œil nu. La terre se leva, soulevant les dalles dans un énorme fracas pour former une sorte de cratère grand d'environ six pieds devant la troupe de prêtres apeurés. La majeure partie s'était arrêté de prier et avait relevé son capuchon afin d'observer ce qui se déroulait sous ses yeux. La cloche sonna par trois fois, appelant les frères à venir dans la cour au plus vite. Toute la population du temple était réuni après quelques minutes et la terre s'était arrêtée de trembler. Une lueur bleuâtre sortie du cratère mais personne n'osa s'approcher. Une boule lumineuse, pas plus grande qu'une botte de laine s'éleva dans les airs à hauteur d'yeux et s'arrêta. Un brouillard, bleu lui aussi, s'éparpilla dans la cour, ne permettant plus aux prêtres que de voir à moins de deux pieds devant eux. Une voix caverneuse se fit alors entendre, ne provenant de nulle part en particulier, la voix était partout, elle les entourait:
«-Pourquoi chercher à me contacter?
Certains prêtres éclatèrent en sanglot à l'écoute de cette voix, par émotion ou par crainte, Ome n'aurait su le dire. Osmond éleva alors la parole:
-Ô vénéré Gauriandre, nous implorons ta clémence! Nous sommes tes serviteurs maintenant et à jamais, nous t'avons prié, imploré de venir en ce lieu afin de t'avertir d'un drame survenu dans la forêt dite «du fléau». Un homme y est entré, a réveillé Dramélor, un de tes fils, et l'a lâchement tué durant son sommeil. Nous sommes ici pour te demander de pardonner la race des hommes, puni ce lâche si tel est ton souhait mais ne fait pas payer à tous nos semblables ce crime affreux nous te le conjurons.»
Un vrombissement horrible surgit du cratère, le brouillard disparu instantanément, le cratère se referma et une onde de choc parcouru le temple et ses alentours, les fondations même tremblèrent et les arbres craquèrent, les prêtres furent projetés au sol et un silence d'or se fit alors. Les conversations allèrent bon train ce soir là lors du repas. Bien que la prière du soir ne fut pas obligatoire ce jour là au vue du nombre d'heure passées dehors, certains, comme Ome en ressentirent tout de même le besoin et prièrent silencieusement dans leurs chambres. Une fois la nuit sombre difficilement passée, le jeune frère se dirigea vers la salle principale où tous avaient été conviés par Osmond. Celui-ci leur annonça que la nouvelle serait donnée à la capitale et qu'un des leurs devraient s'en charger. Sans vraiment savoir pourquoi, Ome se porta volontaire, sûrement avait-il envie de voyager, de voir le monde autrement. Après décision du conseil réunissant les frères les plus expérimentés, Ome fut désigné, ainsi que trois autres jeunes prêtres pour apporter la nouvelle au roi Angvár ainsi qu'un cadeau choisi par le conseil. Une effigie en or pur représentant un roi assis sur son trône, la main sur le pommeau de son épée, fut choisie. Deux jours après, Ome et ses compagnons, chargés de vivres et de provisions , partirent tous trois à pied au petit matin. Alors que leurs pieds foulaient l'herbe perlante de rosée à la sortie du temple, Ome pensa aux nombreux miles et aux longs jours de voyage qui les séparaient de la capitale. Les yeux rivés vers l'horizon, le jeune homme attrapa pleinement son bâton de marche et, capuchon rabattu sur les épaules, commença son long voyage.
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La Dernière Marche du Nord
FantasiaDans les royaumes du Nord, où le roi Angvár règne d'une main de fer, une créature incomprise et impitoyable décime la population avoisinante dans un désir de vengeance malsaine. Le fils du roi, Sigváld, décide de libérer ses terres du fléau qui l'ha...