Chapitre 1

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« Comme vous le savez, les femmes et les hommes sont séparés par une frontière que personne ne peut franchir. Cette frontière et ces deux mondes sont présents car il y a de longues années, les deux sexes ne s'entendaient plus, cela créait beaucoup de guerres, engendrait beaucoup de morts. Pour arrêter ce massacre ainsi que pour épargner des vies, le conseil des présidents a décidé de séparer les deux sexes. Voilà donc d'où vient notre monde si parfait où aucun homme ne pourra vous gâcher la vie.

« Madame Gale ? intervint une élève de ma classe.

- Oui ? Quelle est ta question ?

- Comment les femmes font-elles pour tomber enceinte sans homme ?

- Pour des élèves de troisième vous vous y connaissez beaucoup sur le sujet. Mais c'est une très bonne question. Les scientifiques ont inventé un sérum qui s'injecte chez la femme et qui fait naitre un fœtus. Chaque femme le souhaitant peut concevoir un enfant, là est l'avantage de notre monde. »

Voilà ce que nous a raconté notre professeure de sciences lors d'un de ses cours. Je m'appelle Victoire, j'ai 15 ans et je baigne dans le monde des femmes depuis ma naissance, comme toutes les autres depuis des années. Je vis seule avec ma mère et bien entendu ma famille n'est composée que de femmes. Après des mois à aller au collège puis retourner chez moi, vivre ma vie normale d'adolescente, ma mère se décide enfin à m'amener chez ma grand-mère le temps d'un repas en compagnie de ma tante. Je sors rarement voir les femmes de ma famille étant donné que ma mère n'est pas en bon terme avec elles. Arrivées là-bas, ma mère commence la discussion :

« Bonjour maman.

- Mes filles adorées, Victoire ! Quel plaisir de te voir ! s'exclama ma grand-mère.

- Toi aussi tu m'avais manqué mamie !

- Mes filles chéries est-ce que vous pourriez aller chercher du pain, j'ai complétement oublié.

- Maman sérieusement ? râla ma mère.

- Allez hop je ne veux rien entendre, je garde Victoire en attendant. »

Ma mère et sa sœur sortent en ronchonnant.

« Chérie...

- Oui mamie ?

- Tu sais je suis vieille et, j'ai bien envie de me détacher de mon quotidien et de partir du Village Des Fleurs. Écoute je dois te confier quelque chose.

- Je t'écoute, répondis-je en m'asseyant confortablement sur le fauteuil du salon.

- Quand j'avais ton âge, j'étais contre toutes ces restrictions à propos des hommes et des femmes, de cette frontière. Je me suis donc demandée comment pouvait être l'autre monde, le côté des hommes. Je m'y suis aventurée en cachette, je ne sais même pas comment j'ai réussi à passer aussi facilement mais j'ai réussi. Je suis arrivée et un garçon était planté là, face à la frontière. Nous nous sommes vus, nous sommes tombés amoureux mais nos parents nous ont séparés...

- Où veux-tu en venir, mamie ?

- Écoute, elles vont bientôt rentrer. J'aimerais que tu changes le monde, que tu rencontres un garçon, je veux que tu ailles à la frontière et que tu me racontes comment c'était.

- Mamie, pourquoi tu me demandes tout ça ? demandai-je en commençant à croire qu'elle perd la tête.

- Des choses très importantes que tu comprendras plus tard si tu y vas, fais-le pour moi ma puce. »

Avant que je puisse répondre et surtout refuser, ma mère et ma tante entrent, elles déposent le pain et partent dans la salle de bains pour se remaquiller. Je suppose comme à chaque fois que le vent a du "endommager leur maquillage" comme ma mère aime le dire. Ma grand-mère me supplie littéralement de faire ce qu'elle demande. Je me dois de réaliser son plus grand rêve. Je finis par accepter à contre-cœur.

Nous rentrons avec ma mère en voiture, je regarde par la fenêtre et tout est terriblement féminin. Des magasins de maquillage, de vêtements, des publicités clichés à ne plus pouvoir respirer. J'entre dans la maison et je n'arrête pas de penser à la manière dont je vais bien pouvoir sortir dans un premier temps et dans un second temps, à comment je vais passer la frontière.

Il est vingt-deux heures et je me dis que c'est le moment parfait pour sortir en douce de la maison, je prends un sac à dos dans mon placard et le remplis de toutes les affaires chaudes que j'ai pu trouver. Je descends et prends des provisions dans la cuisine. J'ouvre la porte d'entrée doucement pour ne pas éveiller les soupçons ni réveiller ma mère et je la referme tout aussi silencieusement. Les rues sont vides, complétement désertées, il n'y a pas un chat, enfin plutôt pas une chatte. Même les animaux doivent être de sexe féminin chez nous, et je suppose que c'est la même chose pour les hommes. Il n'est donc pas étonnant que les animaux commencent à disparaitre petit à petit. Je marche calmement, la frontière est très loin de ma ville. Je pense marcher jusqu'à l'aube.

Il fait nuit noire et j'aperçois la frontière face à moi, je me cache rapidement derrière une sorte de cabane et je patiente le temps de retrouver mes idées.

Comment mamie a-t-elle réussi à traverser ? La frontière grouille de soldats et d'armes au cas où quelqu'un voudrait tenter de pénétrer de l'autre côté, dans l'autre monde. Je longe les petites cabanes alignées pour essayer de passer en douce. Je fais une roulade – telle une héroïne de films - et je me retrouve dans un endroit rempli de gazon aussi vert que les feuilles d'un arbre en été. Je cours pour rejoindre le trait blanc qui symbolise la frontière mais j'entends une voix qui me stoppe dans mon élan.

« Je peux savoir ce que tu fais gamine ?

- Et bien, je me suis perdue, balbutiai-je.

- Attends, tu ne serais pas la petite fille de Caroline ? La veuve du village des Fleurs ?

- Et bien si.

- Tu cherches à passer comme ta grand-mère, pas vrai ?

- Elle me l'a demandé. »

Je ne vois pas son visage, l'inconnue porte une casquette qui cache sa figure. Je ne vois rien du tout de cette personne. Elle se retourne, regarde au loin et relève légèrement sa casquette. C'est une vieille femme, bien plus vieille que ma grand-mère qui me dit qu'il y a de longues années, elle l'avait arrêtée alors qu'elle tentait de traverser la frontière. Elle me fait un grand sourire, me demande de ne rien dire à personne, d'être discrète et elle me laisse continuer en m'indiquant le chemin.

J'ai toujours été une personne très curieuse et à la fois très peureuse : je sais que si l'endroit où je vais me trouver me plait alors je l'explorerai davantage. En revanche, je ne pourrai pas faire ce voyage seule, je craindrais trop de tomber sur des choses monstrueuses, des personnes mal attentionnées.

Je n'ai pas le temps de regarder aux alentours que je sens mon téléphone vibrer dans ma poche. Je le sors rapidement et vois un message signé de ma grand-mère s'afficher sur l'écran d'accueil. J'ouvre l'application et vois qu'elle me demande simplement si j'ai réussi à accéder à la frontière. Je ne savais même pas qu'elle avait un téléphone. Je lui réponds rapidement que j'ai bien réussi sans trop de difficultés, je lui demande mon chemin et je reçois ce message :

« Je ne sais pas si c'est encore comme cela mais à l'époque, l'endroit où le trait blanc était tracé c'était une grande prairie avec du gazon bien vert. Tu vas devoir longer cette bande blanche pour arriver à une immense tour. Dans la muraille de cette tour tu devras trouver une pierre qui ne sera pas fixée comme les autres et tu rentreras à l'intérieur pour désactiver le mur invisible que personne ne peut passer. Compris ? »

Je réponds un « oui » simple, m'assois dans la grande prairie en effet remplie de gazon et soudain une question me traverse l'esprit : comment ma grand-mère sait-elle tout cela si elle s'est fait attraper par ses parents à la frontière ? Je l'appelle pour lui poser la question et elle refuse de me donner plus d'informations.

Ouah, on dirait réellement que je suis l'héroïne qui va sauver le monde dans les films, alors que je ne suis qu'une gamine de quinze ans qui est trop curieuse, qui fait ce qu'on lui demande de faire. Je relève la tête et vois comme un reflet bleu et non loin de là une silhouette qui ne me parait pas être celle d'une femme. Mon corps se paralyse pendant la peur monte en moi. Je respire profondément en tentant de me calmer puis je sors un paquet de biscuits ainsi que mon téléphone pour me donner une occupation. Je commence à fourrer les biscuits dans ma bouche quand soudain une voix arrive à mes oreilles :

« Excuse-moi, mais si je ne me trompe tu n'es pas un homme. »

L'Autre MondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant