En plein sommeil, un bruit en sourdine vient me déranger. Au fur et à mesure que j'émerge de mon sommeil profond, je reconnais la voix de Jacques Brel dans Amsterdam provenant de mon réveil. En évitant de faire le plus de geste possible je balance mon bras en arrière pour l'éteindre. En vain. Je me retourne et stoppe la musique pour de bon. Je me laisse retomber sur le dos, admirant les étoiles qui commencent à ne plus briller à cause du soleil qui se lève et transperce les rideaux de ma chambre.
Je referme les yeux et la première image qui me vient à l'esprit est celle de Thomas. Je ne devrais plus penser à lui, il m'a déjà brisé le cœur une fois. Mais c'est plus fort que moi. Cette sensation, ces frissons qui m'ont parcouru la colonne vertébrale alors que sa peau caressait la mienne. Ce sentiment, ce feu qui ne cesse de s'embraser un peu plus chaque jour depuis...
Merde. Je rouvre les yeux en sursaut et saute de mon lit. En vitesse j'attrape un jean noir déchiré au niveau du genoux gauche et le gros sweat gris de mon père. Je descends les escaliers en trombe. Dans le salon ma mère dort toujours. Rapidement je la secoue pour la réveiller.
"Dépêche-toi je suis déjà en retard.
- Vas-y. Je vais me débrouiller. Marmonne-t-elle pas complètement réveillée.
- Bisous maman. A ce soir."
Dans la cuisine j'avale un verre de jus d'orange et attrape une pomme. J'enfile mes chaussures à plateforme bordeaux et récupère mon sac de cours et de sport au vol avant de quitter la maison. A grands pas je me dirige vers l'arrêt de bus. J'en étais sûre, je viens de le rater. Je n'ai plus qu'à attendre le prochain.
Je m'assoie sur le rebord du trottoir tout en mangeant ma pomme. Dans ma poche de jeans mon téléphone vibre en continue.
"Salut Ricki. Déclarais-je.
- Béa qu'est-ce que tu fous ? T'es à la bourre ! M'assome-t-elle.
- Je sais. J'ai malencontreusement loupé mon bus.
- Tu m'expliqueras tout à l'heure on va rentrer en cours.
- Ouaip. Bye." Concluais-je avant de raccrocher.
Après vingts bonnes minutes d'attente le porche du lycée s'impose enfin à moi. Je m'avance non sans une certaine petite angoisse vers le secrétariat pour avoir un billet de retard. C'est la première fois que je suis en retard depuis mon entrée en sixième. Mais c'est en tournant la tête furtivement derrière moi que mon angoisse redouble d'intensité.
Je continue d'avancer en me concentrant sur mes pas et non sur les siens qui résonnent sur le carrelage du hall derrière moi. Au secrétariat je demande nerveusement un ticket de retard.
"Deux." M'interrompt-il en venant s'appuyer contre le comptoir tout en me rentrant dedans au passage.
Je tente de garder les yeux sur la pionne mais il fait tout pour me déconcentrer. De mon épaule à mon avant-bras je sens ma peau qui me brûle au contact de la sien malgré l'épaisseur de mon pull.
"Vos noms et votre classe. Nous demande la surveillante.
- Béa Robert...
- Thomas Mendes. Me coupe-t-il une nouvelle fois la parole. On est en terminale ES 3."
Inconsciemment je me sens rougir en l'entendant prononcer ce pronom personnel "on". Je suis la première à sortir de ce maudit secrétariat. Je marche vite pour laisser le plus de marge possible entre lui et moi mais je sens encore son regard me scruter de la tête aux pieds.
Devant la porte de la salle, je m'arrête et m'apprête à frapper quand Thomas me bouscule à nouveau pour entrer sans frapper. Je soupire un grand coup pour me calmer et entre à mon tour.
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Dis-le.
RomanceDans une de ses chansons Jacques Brel a dit : Il y en a qui ont le coeur si large qu'on y rentre sans frapper. Il y en a qui ont le coeur si frêle qu'on le brise d'un doigt. Il est le grand coeur. Je ne suis que le coeur frêle.