Chapitre 11

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Eden lit ce livre que la princesse lui a offert quand le train marque le troisième arrêt en gare. Le trajet s'effectue dans un calme relatif, rythmé par les ronflements du voisin de derrière, le tic tac de la montre des deux hommes assis en face d'elle et leurs assourdissants passages dans les tunnels. D'un coup d'œil agacé, Aiden regarde son bracelet mécanique encore une fois. Si la jeune femme ne s'en préoccupe pas, à côté de lui, le garde du corps se fait plus nerveux à chaque soupir. Elle finit par donner un léger coup de pied à son colocataire, et par se pencher vers lui :

- Tu ne veux pas aller faire un tour ? demande-t-elle doucement.

Il secoue la tête en croisant les bras. Elle n'ose pas insister. Plus massacrant au fil des milliers de roues parcourus, l'étudiant à atteint un seuil de contrariété qu'elle ne lui a jamais vu, et elle lui en veut un peu, de ne pas lui avoir montré. Parce qu'elle ne se doute pas qu'il ait un caractère de cochon. Elle ne s'attendait seulement pas à ce qu'il le cache si bien. Ça l'avait surprise, lors de ses premiers jours chez lui. Elle referme le livre. Elle n'arrivera plus à lire, maintenant que leur arrêt arrive.

- Simon va aller à la fac aussi, pas vrai ? demande-t-elle soudain.

Aiden sursaute presque, et se tasse dans son siège.

- Quatre ans. Ou moins. Trois, je dirais. Je crois que ce sera son tour des que j'en serais sorti.

- Il devra prendre la même filière que toi ?

Il fronce le nez.

- Je ne sais pas. Il n'en n'est pas encore là, pas vrai ? Pourquoi ?

Elle repense à cette bosse, sur son indexe. La bosse que ceux qui écrivent beaucoup à la main ont. Pourtant, Aiden va en cours avec un ordinateur, et elle est prête à parier que son jeune frère aussi. Après tout, les progrès de la science sont énormes, pour ceux qui en ont les moyens. Sans parler du fait que les thearliens ne sont pas aussi conservateurs que les genequiens sur l'écriture manuscrite...Elle masse sa propre bosse sur sa main gauche, le livre refermé sur ses cuisses.

- Pour rien.

Eden colle sa tempe à la fenêtre, songeuse. Il la regarde faire un brin inquiet, avant de se dire qu'il pourra toujours lui demander ce qu'il en est quand ils seront seuls. L'idée de sa future tranquillité le détend un peu. Pas assez pour ne pas soupirer d'avantage. Mais suffisamment pour laisser sa montre tranquille.

Quand il faut monter sur le bateau une heure et demie plus tard, il se félicite de ne pas être en retard, bien qu'il n'y puisse pas grand chose. Et quand sa compagne de voyage demande à marcher sur le pont, il l'accompagne pour ne pas avoir à se retrouver tout seul dans leur cabine. C'est assez étrange, comme sentiment, de ne plus supporter la solitude après un si bref moment d'existence à deux, quand on a été seul une grande partie de son quotidien avant.

- Tout va bien ? demande-t-il en s'appuyant contre la paroi de métal, face à la mer.

- Je vais bien, j'ai hâte de rentrer, lui avoue-t-elle. La bibliothèque me manque.

Il rit. Il ne voulait pas le faire, mais le fou-rire qui le prend est tel qu'il manque de s'étouffer avec. La bibliothèque. Bien entendu, à quoi pensait-il ? Bien sûr que la bibliothèque lui manque, n'était-elle pas émerveillée par celle du palais ?

- Moi j'ai hâte que tu te repenche sur ton livre.

Elle frissonne.

- J'écris mal.

- Ce n'est pas le plus important. Tu as quelque chose à raconter. Je pense que ça suffit. Et tu travaille dur pour les références, et sur tes recherches. Avec beaucoup d'attention et du temps, je pense que tu pourrais réussir à le terminer. Même si tu n'es pas douée du tout.

La Vie de ChâteauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant