Les yeux relevés de son ordinateur, Eden regarde par la fenêtre. Il pleut. Certainement l'une des dernières grosses pluies avant que Taike ne s'installe, deux mois, pour refaire place à Tan, pour revenir à Ieol, la période la plus froide et la plus Mabkanne qu'il existe. D'ailleurs, elle ne se souviens pas de la dernière fois qu'elle a passé un de ces moments enneigés ailleurs que dans une école. Il n'y a pas de festival particulier, de ou de fête nécessitant son retour à la maison. Et puisqu'elle a toujours été de ces enfants que l'on cache lorsqu'ils nous embarrassent...
De déprime, elle revient aux dernières lignes qu'elle a tapées.
Aiden est retourné sur le continent Loronol, pour ce bal en Tanglen, qu'il devait organiser. Elle a préféré rester là, après leurs dernières... interactions. Il faut dire qu'elle est plus motivée que jamais à terminer ce livre rapidement, noircissant page après page, purgeant elle-même une certaine quantité de choses une fois qu'elle les a imprimées, et à présent, elle profite de la réouverture de la bibliothèque pour sortir un peu de chez elle. Ou plutôt, de chez lui. Ou... de chez eux ?
Elle secoue la tête.
La bibliothécaire passe près d'elle en remontant ses lunettes de repos, inquisitrice, et s'installe en face, avant de se mettre à corriger la correction qui a été faite. Parce que, oui, Eden a réussi à contaminer quelqu'un d'autre. Et en tant que lectrice de littérature de loisir, Madame Aeto, Bosfanaise d'origine, mais polyglotte à cause de sa mère Lanarienne, se fait un plaisir de la relire, en cette quatrième langue qu'elle maîtrise aussi bien sur le plan visuel que les trois autres : le bosfanais, le lanarien, le mabkan, et pour finir, celle qui intéresse le plus l'écrivain en herbe, le tearl moderne.
Enfin, en herbe, façon de parler, parce qu'à la vitesse à laquelle elle avance, elle pourrait se targuer d'être devenue un arbre, assez robuste, et d'une hauteur sage. Mais il n'en n'est rien. Car en dépit des exercices qu'on lui a donnés à faire pour se trouver un style, l'étudiante est bien loin de s'être transformée en Elian de la littérature, et ne se sent pas encore, dans une armure trop étincelante, à aller à la charge de lecteurs, qui la liraient simplement pour lui donner un avis, plutôt qu'une montagne de corrections à apporter.
- Je ne comprends pas très bien, commente soudain la dame à lunettes, avec un accent pincé, l'air de s'étouffer avec toutes les voyelles.
Elle tend la feuille, obligeant Eden à s'arrêter, pour regarder à son tour ce qui a bien pu faire défaut. Le passage souligné de rouge lui fait froncer les sourcils, et elle ne se relit pas une fois, mais trois, pour essayer de se comprendre. Elle jure, marmonnant quelques mots étrangers qui font arrondir les yeux de sa correctrice de stupeur, et écrit, entre les mots, et sous le paragraphe, les mots visiblement manquants.
Il faut croire qu'à vouloir taper plus vite que son ombre pour ne pas écrire plus que ce que l'on veut, on finit par en oublier la moitié.
Elle corrige donc tout de suite sur son appareil, une fois qu'elle l'a rendu, et avise l'écran allumé de son téléphone portable.
- Excusez-moi, chuchote-t-elle en se levant.
Elle sort à grandes enjambées, tellement qu'elle en manque de se prendre les pieds dans le tapis, puis de se prendre la porte, pour se prendre finalement la pluie, qu'elle avait totalement oubliée.
- Eden ?
- Oui ? demande-t-elle en se bouchant l'oreille, pour l'entendre par-dessus le vent. Si je ne chope pas la mort, on aura de la chance.
- Tout va bien ?
D'un rire, elle hoche la tête :
- Oui, ça va, ne t'en fais pas pour moi. On a de la pluie, mais pas encore de la tempête.
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La Vie de Château
ParanormalEden est un génie des langues, capable d'en parler huit, et d'en inventer. Elle n'a pourtant que vingt-deux ans et s'est lancée dans le projet de devenir écrivain. Mais si elle est si douée dans la philologie, elle est une catastrophe ambulante, et...