4 - L'amour en chaussons

119 20 33
                                    

Automne 2017


Je déteste le collège, je déteste les gens. Je pense que je vais rester enfermé ici toute la journée, et peut-être le reste de la semaine. D'ici là, tout le monde aura oublié que je suis venu en chaussons à l'école et ces brutes idiotes auront trouvé une autre victime...

— Eli ?

Je ne suis pas là ! Je voudrais qu'on me laisse tranquille. Je suis à deux doigts de pleurer, je ne veux voir personne, sauf si c'est ma sauveuse de sœur ou quelqu'un qui vient me dire que j'ai le droit de rentrer à la maison et de me cacher sous ma couette jusqu'à Noël...

— Eli, c'est moi, je suis tout seul.

Je réalise que c'est Sora et relève mon visage. Je m'éclaire, soulagé d'entendre la voix du garçon que j'aime le plus au monde, mais je replonge très vite dans mon chagrin. Je ne veux pas qu'il me voie non plus. Je me suis assez ridiculisé comme ça.

— Laisse-moi... dis-je.

— J'ai séché le cours de français, tu ne vas pas me laisser passer l'heure tout seul ? Si je reste là, un pion va finir par me voir.

— T'as qu'à passer par le trou.

Dans le grillage qui entoure notre collège, il y a un trou que certains élèves empruntent pour aller fumer ou sécher les cours sans qu'on puisse vérifier leur carnet. Je ne l'ai jamais pris, Sora non plus, je crois, mais on sait tous les deux qu'il est là.

— Viens avec moi, dit-il.

— Je ne vais pas sécher les cours, mes parents me tueraient.

— Tu sèches déjà, là.

— Mais j'ai prévenu Elisa, elle va m'apporter des chaussures.

— C'est pour ça que tu te caches ? À cause des chaussons ?

— Je ne veux pas en parler !

Je veux oublier cette histoire. J'aimerais n'avoir jamais quitté la maison ce matin. Je me sens tellement stupide...

— Je les trouve jolis, moi.

Je rougis, comme s'il venait de me faire le plus beau compliment du monde. Je suis heureux qu'il ne puisse pas me voir sinon il se douterait que mes sentiments pour lui ne sont pas ce qu'ils devraient être. Ils sont quoi, d'ailleurs ? Je ne sais pas moi-même ce que je ressens, je sais juste que ce n'est pas comme avant, pas comme avec les autres garçons. Je l'aime, mais je crois que je l'aime plus que je ne le devrais. Enfin, je ne sais pas, je n'ai pas d'amis à part lui, je suis perdu.


Le silence s'est installé dans les toilettes des garçons. Cela fait au moins cinq minutes qu'il n'y a plus aucun bruit, plus aucun son. Je me dis que Sora est peut-être parti, lassé de m'attendre. Je le comprends.

Je frotte mes yeux humides qui recommencent à me brûler. Et soudain, je vois une paire de chaussures apparaître sous la porte en fer des toilettes où je me suis caché. Je la reconnais, c'est celle de mon meilleur ami.

Il n'y a toujours pas un bruit, alors j'ouvre la porte, les chaussures dans mes bras, et là, je vois Sora, de dos, en train de regarder la cour vide.

Je ne sais pas quoi dire. Il est en chaussettes, il ne pose pas les yeux sur moi, il se contente d'attendre.

— Sora ?

— Oui ? demande-t-il.

— Qu'est-ce que tu fais ?

— J'attends que tu aies fini pour qu'on retourne en classe, ou à la vie scolaire, Elisa finira par y passer.

— Que j'aie fini quoi ? m'étonné-je.

— Bah de faire pipi, ou ce que tu veux.

Je fronce les sourcils. Sora détourne la tête et recommence à contempler la cour de notre collège qui n'a rien de bien intéressant à dévoiler.

Il me faut une bonne minute pour comprendre ce qu'il fait, pour réaliser qu'il m'a écouté et se contente d'agir exactement comme j'ai besoin qu'il le fasse. Il me prête ses chaussures et il ne parle plus de mes chaussons. Pour lui, cette histoire n'existe pas, elle n'a jamais existé, si je suis aux toilettes, c'est par besoin primaire et humain, certainement pas pour me cacher du reste du monde.

En pleurant silencieusement, j'enfile ses chaussures qui ne sont pas tout à fait à la bonne taille. Quand c'est fait, Sora commence à avancer, et je le suis, la tête baissée. Nous n'échangeons pas un mot, mais ce n'est pas nécessaire.

Même si je le voulais, je ne saurais quoi dire à ce garçon qui est aussi mon héros du jour. La seule chose que je parviendrais à exprimer, c'est l'amour que je lui porte et qu'il ne doit pas entendre.

Oui, je suis amoureux de Sora. J'en suis certain. Je ne sais pas depuis quand, mais je le suis. Et si cela me rend triste parce que cela ne pourra jamais être réciproque, cela me rend aussi heureux parce que c'est la première fois que je suis amoureux de quelqu'un. C'est un sentiment doux et chaleureux, comme Noël. J'aime beaucoup ça.

Les étoiles de décembre - Histoires bonusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant