1 - Premiers mots échangés

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Hiver 2010


Il y a un nouveau garçon dans le village. Je ne sais pas quand il est arrivé, mais je l'ai vu en allant au marché avec papa. Il était là, avec son grand frère et sa grande sœur. Je pensais que c'était son papa et sa maman, mais Elisa m'a dit que non. Elle les connaît, elle est en classe avec eux, ils sont là depuis peu. Le lendemain de notre première rencontre, il a rejoint mon école, mais il n'a pas dit un mot. Il est resté dans un coin et moi dans le mien. Je crois qu'on est un peu pareils, lui et moi...


Ce matin, je vais encore au marché avec mon père. Il adore cet endroit, et moi, j'adore l'accompagner. Il ne veut pas que je me promène tout seul dans le village, il dit qu'à six ans, je suis trop jeune pour sortir tout seul, et je préfère, je n'ai pas du tout envie de le faire. Je me sens mieux quand je suis avec mes parents ou ma sœur, plus en sécurité... Les autres enfants ne m'aiment pas trop, et moi, je n'aime pas trop les voir s'il n'y a pas un membre de ma famille derrière qui me cacher ou à qui je peux tenir la main. Mais au marché, j'ai le droit de remonter les allées tout seul comme un grand. Papa connaît tous les commerçants, et ils ont tous un œil sur moi.

Une fois, j'ai voulu rentrer à la maison par moi-même, mais je n'ai même pas eu le temps de poser un pied hors de la place, Nati m'a pris par la main pour me ramener à mon père avant de retourner s'occuper des gens devant son stand. Impossible de quitter le marché, tout le monde me surveille. J'aime bien.

Aujourd'hui, je me promène dans les allées. Je ne m'arrête pas devant le vendeur de chocolats sinon il va absolument vouloir m'en donner et je vais me faire gronder parce que j'aurai mangé juste avant l'heure du repas. Maman n'aime pas ça. Elisa me glisse toujours des choses sucrées en secret parce qu'elle sait que j'adore ça. Mais notre mère ne doit pas le savoir !

Fuyant mon stand préféré, je me dirige vers le grand sapin du village. Je l'adore, c'est le plus grand du monde ! Il monte haut, très haut, et dessus, j'ai accroché la belle étoile que j'ai fabriquée avec ma sœur et que j'ai décorée tout seul, comme un grand.

Une fois devant, je souris de joie et d'admiration. Il est vraiment magnifique. Mais je suis tiré de ma contemplation par quelque chose à ma droite. Ou plutôt quelqu'un. Assis devant le sapin, il y a ce petit garçon. La maîtresse a dit qu'il venait du Japon et qu'il s'appelait Sora. Je trouve que c'est un très joli prénom. Je ne comprends pas pourquoi il a toujours l'air si en colère alors qu'il a un beau prénom. Moi, à sa place, je serais très fier et heureux.

Triturant le bas de mon écharpe, je regarde à droite et à gauche. Je ne sais pas quoi faire. Sora a la tête baissée, il a vraiment l'air fâché, mais aussi triste. Je voudrais lui parler, mais j'ai peur...

« Sois gentil avec lui, Eliott, ce n'est pas facile d'être le petit nouveau. Pourquoi tu n'essaierais pas de le connaître et de voir si vous pouvez être amis ? » Les mots de mon père me reviennent, son sourire me donne du courage. Je m'avance vers le petit garçon aux cheveux noirs et fins. Ses yeux se lèvent vers moi. Quand il me regarde, je remarque qu'ils ont une forme spéciale, différente des miens. Je trouve ça très beau, j'aimerais beaucoup avoir les mêmes. J'ai entendu quelqu'un dire à l'école que c'est parce qu'il est japonais, mais je n'ai pas bien compris le rapport.

— Bonjour, dis-je d'une petite voix en arrivant à sa hauteur.

— Bonjour...

— Ça va pas ?

— Je suis fâché, avoue-t-il.

— Contre qui ?

— Hiroki.

— C'est qui ?

— Mon frère.

— Pourquoi tu es fâché ? demandé-je en m'asseyant à côté de Sora.

— Il m'a pris mon appareil photo parce que la maîtresse a dit que je m'étais bagarré.

— Mais c'est pas vrai !

Je le sais, j'étais là. C'est Ulysse qui l'a poussé, Sora n'a rien dit, et après, Ulysse a été pleurer à la maîtresse que Sora l'avait tapé. C'est un sale menteur !

— Je sais ! s'écrie Sora. Et Hiro a dit qu'il savait aussi.

— Alors pourquoi il a pris ton appareil ?

— Il dit qu'il veut le protéger parce que Nanou va me le confisquer pour me punir. Il le prend pour éviter ça, il dit que je peux continuer à m'en servir en cachette, mais je n'aime pas ! Je le veux avec moi...

— Nanou ? l'interrogé-je.

— La dame qui s'occupe de nous.

— Tu n'as pas de parents ?

Il secoue la tête. Je trouve ça très triste, je n'aimerais pas ne pas avoir mes parents, je les aime beaucoup.

— Juste mon frère et ma sœur. On est tout seuls ici...

— Tu es triste ?

Cette fois, il hoche la tête.

— Si tu veux, on peut être copains et tu ne seras plus seul !

Sora se tourne vers moi, surpris. Est-ce que c'est la première fois qu'on lui propose d'être ami avec lui ? Je ne comprends pas pourquoi, je suis sûr qu'on va bien s'amuser lui et moi.

— Eliott !

C'est la voix de mon père. Je tourne la tête dans sa direction et lui fais un signe. Il sourit en me voyant et m'indique qu'on rentre à la maison.

— Je dois y aller, dis-je. On se reverra à l'école, ou tu pourras demander à Nanou si tu peux venir à la maison jouer avec moi ?

— Vraiment ?

— Oui, ça serait trop bien !

Je me lève, excité et heureux. C'est la première fois que je vais avoir un ami. Sora va être mon ami, mon meilleur ami, même, j'en suis sûr. En tout cas, je ferai tout pour. Et avec un peu de chance, j'arriverai à effacer l'air triste sur son visage. Ça serait vraiment génial.

Je lui fais un signe de la main avant de partir, et soudain, un petit sourire timide se dessine sur son visage. Quelque chose bat fort, je crois que c'est mon cœur, et j'ai chaud au niveau de mes joues. Je ne sais pas du tout ce que ça veut dire, mais j'aime beaucoup ce sentiment, vraiment beaucoup. 

Les étoiles de décembre - Histoires bonusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant